vendredi 9 janvier 2009

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 2



Selon J.-M. Schaeffer (1992: 269), la théorie nietzschéenne de l'art postule une définition cognitive («l'art est une connaissance extatique de l'être intime du monde, de son fonds dionysiaque«) et une autre cosmologique («l'art est le jeu que l'univers joue avec lui-même») qui se renvoient l'une à l'autre. Cette théorie est fondatrice de la pensée et la pratique des avant-gardes, tel que le constate L. Ferry: «c'est le double mouvement de l'esthétique nietzschéenne -d'un côté l'hyper relativisme (ou hyper individualisme) selon lequel il n'y a pas de vérité «en soi»(...) d'un autre côté «l'hyperréalisme»d'un art devant viser une vérité «brisée, plus profonde, plus secrète»(...) qui constituent l'équation philosophique sous-jacente, sinon à l'art contemporain tout entier, du moins à (...) l'«avant-gardisme»»(Ferry, 1990: 50).

En tant qu'il est «indissolublement lié à la figure du sujet brisé, sur son versant hyper individualiste«, les valeurs que l'avant-gardisme glorifie «sont celles de l'innovation, de l'originalité, de la rupture avec la tradition»(Ferry, id), débouchant sur le culte généralisé de l'Homme Nouveau, que l'on retrouve dans tous les domaines de la production d'avant-garde, du design jusqu'à la politique en passant par la haute couture. Ainsi, aux extrêmes de cet amalgame qu'on appelle les avant-gardes, que ce soit dans le domaine du constructivisme soviétique ou dans celui du futurisme, ou même encore dans celui, ultérieur et antagonique, des réalismes socialistes et fascistes, la figure dionysienne de l'Homme nouveau est un des rares points de cohésion, relevant plus du Zeitgeist que des mouvements eux-mêmes.

A ce sujet le fonctionnalisme du Bauhaus est particulièrement intéressant car il s'éloigne au moyen de son caractère agressivement apollinien du fond nietzschéen. Néanmoins, il suffit d'analyser son évolution pour voir comment elle fut marquée dès sa naissance par des auspices «utopiques expressionnistes«: un des fondateurs, J. Itten, «pensait que l'enseignement de l'école devait avoir pour objet de faire un «homme nouveau» et, en conséquence, avait imposé à l'école un culte steinerien appelé mazdaïsme, que propageait à partir de la Suisse un docteur Zaradusch (Zarathoustra?) Hanisch»(Willet, 1970: 193).

Les créateurs de l'avant-garde sont ainsi préfigurés dans l'image des «nouveaux philosophes» prophétisés par Nietzsche, «extraordinaires pionniers de l'humanité«, le philosophe, «étant nécessairement l'homme de demain et d'après-demain», toujours «en contradiction avec l'aujourd'hui: il a toujours pour ennemi l'idéal du jour»(PBM, § 212): «Les véritables philosophes sont des hommes qui commandent et des législateurs. Ils disent: Voici ce qui doit être. Ce sont eux qui déterminent le vers où et le pourquoi (das Wohin und Wozu) de l'humain... Pour eux, connaître c'est créer »(PBM, § 211).

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