vendredi 10 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 10














Loin d’être idiots, nos courts-métrages contemporains – qui, comme l’épisode de Nana, associent beauté, jeunesse, brutalité et sottise – reprennent quantité de clichés des érotismes anciens et les déconstruisent jusqu’à mettre en place les canons de nouveaux désirs et de voluptés inédites. Un exemple, pour rester dans le domaine de la jeunesse érotisée et des Sexy Teddies : une publicité pour Love Cosmetics, ligne de produits de beauté de M&J, la célèbre firme de Philadelphie. L’affiche montre, en plan rapproché, une fille superbe et très jeune. Elle tient, par sa dignité et sa décence, des petites demoiselles sadiennes : « impossible d’être plus jolie : faite à peindre, une physionomie douce et céleste, blonde, de grands yeux bleus pleins du plus tendre intérêt »1. Son regard, pâle et vide, fixe celui qui la regarde comme l’Albaydé de Cabanel, véritable accoste muette. Cependant son visage, atone et froid, renvoie surtout à la figure de Méduse (Arnold Böcklin) et aux femmes fatales de la Belgique fin-de-siècle ou de la Vienne de Klimt. Ces jeux transparents sur l’arrière-texte méduséen sont renforcés par l’attitude de l’ours que la jolie nymphette serre sur sa jeune poitrine. Car il ne fait pas de doute qu’il est à la fois tétanisé et soumis par sa beauté. Peut-être même cet ursidé de mohair est-il un ancien amant devenu chose, peluche, par amour. Il est significatif, à cet égard, que l’affiche soit pensée comme un miroir : le regard de la fille et de l’ours renvoient l’un à l’autre, de même que le blanc du plantigrade fictif résonne avec le corsage à demi-défait de la fille et que les lèvres de l’un sont d’une couleur parfaitement identique à celles de l’autre, toujours dénué de sourire. Toutefois, conformément à la logique postmoderne de multiplication ad infinitum des références, cette affiche est aussi un jeu sur la Lolita de Nabokov (« Love’s Baby Soft. Because innocence is sexier than you think ») et une reprise amusée de la Belle et la Bête, cette histoire qui, depuis Apulée et Madame Leprince de Beaumont, s’est peu à peu hissée au rang de mythe – mythe que notre époque affectionne particulièrement, de Disney à Serpieri et son adorable Druuna en passant par les différentes versions hollywoodiennes de King Kong.
Des interprétations très semblables vaudraient – ceteris paribus sic stantibus – pour les magnifiques clichés de Coco Rocha pris par Arthur Elogort pour l’édition russe du magazine britannique Tatler en octobre 2010. On y retrouve, outre l’exceptionnel éclat des grands regards clairs, l’« énigamicité » des sourires, la sublimité des toilettes extravagantes et somptueuses de Christopher Kane et Phillip Lim, la mise en scène outrancière de la sophistication dans des cadres pourtant pastoraux, l’alliance baroque de la malignité et de la naïveté, le mariage décadent de la dureté et de la gentillesse, la combinaison de deux rôles complémentaires, la femme fatale et la femme-enfant, le rôle central du Sexy Teddy, lequel sert in fine la subversion des grands récits, en l’occurrence l’histoire folkorique de Boucle d’or et des trois ours. Goldilocks and the Three Bears ? Serait-ce donc là l’horizon indépassable de l’érotisme postmoderne ? En tout cas, il nous en dit beaucoup sur nous-mêmes et sur notre condition postmoderne, relation originale au temps, à autrui, nouvelle façon de vivre en société, de voir la beauté et de la désirer.
1 D.A.F. de Sade, Juliette ou les prospérités du vice, Paris, Gallimard, « la Pléiade », 1998, p.181.

mardi 7 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 9














Le corps est devenu le support d’enjeux symboliques, en foi de quoi les préoccupations strictement biologiques s’estompent au profit de pratiques qui l’embellissent, et ce, d’autant que le fitness ou les spas, ces nouveaux thermes somptueux et exotiques, ont aussi un contenu axiologique qui associe l’effort à l’agrément, le bien-être au luxe. Ces dimensions symboliques sont encore plus importantes dans les champs de la parure, de la beauté, de la séduction – bref, de l’érotisme. Ce dernier – on peut toujours le regretter ! n’est plus seulement un art, il correspond à un dispositif de socialisation, c’est-à-dire qu’il impose des codes de conduite aux individus. Ce sont ces codes – maquillage, mode, cosmétiques, lingerie, gestes, regards, expressions – qui permettent ensuite la séduction, laquelle est une communication sociale avant d’être émotive et kinésique1. Au nom de quel puritanisme (au sens où le puritanisme conjugue le rejet des apparats à une morale tellement stricte qu’elle conduit à la névrose) blâmer les parfums qui appellent à la volupté, les crèmes qui adoucissent les peaux, les pommades qui enrayent heureusement la décrépitude ? Parce que les industries cosmétiques sont des multinationales cotées en bourse ne produisant pas gratis pro deo leurs philtres et leurs onguents ? Et alors ? De même que Hollywood, « the dream factory », fait commerce du rêve, elles nous vendent de la beauté, ce qui n’est déjà pas si mal. Pourquoi faudrait-il désavouer les justaucorps dont les décolletés mettent en valeur les jolies poitrines de nos lolitrashes ou blâmer ces shorts de jean déchiré qui, rebrodés de dentelles, embellissent les jambes bronzées de nos jeunes filles en fleurs postmodernes ? De même, il est désormais convenu de s’en prendre avec force à la tyrannie de la minceur et au diktat de la jeunesse. Mais, préfèrerait-on donc un monde de gros et de vieillards ? Serait-ce plus érotique ? Certes, les fat admirers et les gérontophiles ont droit à leur désir propre. Mais qu’il soit au moins permis, en retour, à ceux qui ne seraient guère séduits par les manifestes de la size acceptance ou les mirages de la matrolagnie de souscrire à l’idée de Baudrillard que « le corps est notre plus bel objet de consommation »2 et de jouir à leur guise de leurs fantasmes normés. Au surplus, non seulement la coquetterie et le narcissisme postmodernes sont fascinants (au sens où la fascination est une dialectique de l’attirance et de la répulsion), mais encore s’inscrivent-ils dans un mouvement, fort ancien, d’érotisation de l’hygiène3. Ce dernier explique l’importance aussi bien des représentations culturelles des tribades (Les Bains maures de Gérôme) et des odalisques (Hugo, Ingres) que l’image récurrente de la femme au bain (Diane, Bethsabée, Suzanne, pour ne rien dire des Jeunes Femmes au bain de Picou ou de Lempicka). Ce motif associe immanquablement les figures qui, dans notre longue histoire culturelle, sont caractéristiques de l’érotisme : ritualisation, purification, vénusté, jeux de regards et jeux d’eau dans des espaces clos ou, en tout cas, protecteurs, innocence dévoilée à la convoitise, propreté et fraîcheur appelant à la concupiscence. La scène est célèbre qui, chez Zola, met aux prises Nana – « au sortir du bain », et « vêtue seulement d’un grand peignoir de flanelle blanche et rouge » – avec le capitaine Philippe qui vient de lui offrir un drageoir ancien4. C’est cette érotisation de l’hygiène que l’on retrouve, en réalité, dans les publicités postmodernes pour les cosmétiques. Je pense, par exemple, aux réclames pour le gel douche Tahiti (http://www.ina.fr/pub/hygiene-beaute-sante/video/PUB3784137143/tahiti-douche-gel-douche-monoi.fr.html), retombée directe dans la culture de masse des représentations érotiques de Téha’amana, la compagne polynésienne de Gauguin, ou au spot publicitaire pour le parfum Dior (http://www.dailymotion.com/video/x253ha_pub-j-adore-dior-avec-charlize-ther_people) qui met en scène la superbe Charlize Theron, en une esthétique mêlant étrangement les univers baroque, baudelairien et gainsbourien.
1 Cf. Marie-Thérèse Duflos-Priot, « Le Maquillage, séduction protocolaire et artifice normalisé » in Communications, vol. XXXXVI, 1987, p.245-253.
2 Jean Baudrillard, op.cit., p.70.
3 Voir, notamment, Denise Jodelet, « Imaginaires érotiques de l’hygiène féminine intime. Approche anthropologique » in Connexions, vol. I, n°87, p.105-127. On se reportera aussi au très beau livre de Jacque Bonnet, Femmes au bain. Du voyeurisme dans la peinture occidentale, Paris, Hazan, 2006.
4 Émile Zola, Nana (1880), Paris, Garnier, coll. « Classiques », 1994, p337-338.

lundi 6 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 8




Dans un autre exemple, l’héroïne est inconnue, c’est l’ours qui est la star : Winnie the Pooh, lui-même, l’ours d’Alan Milne et d’Ernst Shepard rendu célèbre par Walt Disney dès avant-guerre. Est-ce dans la forêt des rêves bleus que la scène se déroule ? Ou bien dans la douce pinède où se tient le « camp » de la Pop Tart dont je viens de parler ? Las, on ne le saura jamais. On voit simplement, en gros plan, le placide ourson besogner, more canino, une fort jolie blonde qui, manifestement, prend grand plaisir aux entreprises sexuelles du grizzly de velours beige qui la fixe, from behind, de ses yeux espiègles. Cette affiche joue à tel point sur les codes enfantins qu’elle en paraît obscène, au sens où l’obscène est une « mise en scène de situations désavouées par une communauté, c’est-à-dire transgressives à l’égard des bienséances et de l’“ordre établi” »1. Cependant, conformément à la logique allocentrique de la postmodernité, où les égoïstes les plus acharnés et les plus grands voraces, jouent avec passion leur rôle d’altruiste, l’érotisation se trouve ici mise au service d’une cause – en l’occurrence la lutte contre le Sida. Car ne croyons pas trop hâtivement que Winnie défouraille sa blondinette à la peau dorée pour leur seul plaisir, fut-il partagé ! Ce serait par trop immoral ! Il faut un beau message, édifiant. Et follement clair : « Pour qu’une simple promenade en forêt, ne se transforme pas en cauchemar : protégez-vous ! » C’est peut-être bien là le pis de la postmodernité, que l’infantilisation se soit accompagnée d’une telle moralisation de la πόλις qu’elle nous empêche de jouir en toute liberté et en toute raison, comme le pouvaient faire avec bonheur les libertins des Lumières. Car il n’y a pas, hélas, qu’à l’Université que la pensée politiquement correcte s’impose : elle triomphe également dans les mass medias vidant de leur charge érotique les plus beaux corps et les situations les plus abracadabrantes. « Que reste-t-il de l’impertinence des libertins du XVIIIe siècle, des folies de la Belle-Époque ? » s’interrogeait récemment Hans-Jürgen Döpp. Très peu de choses, au vrai2. Je me garderai bien, cependant, de rejoindre le concert des tristes sires pour qui notre société de consommation n’aurait nulle beauté, nul attrait. Ces casse-pieds qui rêvent de nouvelles « dictatures du chagrin » sont tout aussi anérotiques que le consumérisme un peu niais qu’ils conspuent, sourds qu’ils sont aux charmes de la légèreté postmoderne. Pourtant, la longue époque qui court des fifties jusqu’à la destruction terroriste des twin towers a ses charmes, indéniables selon moi : extensibilité et multiplicité des désirs, ironie polissonne tenant à distance les discours indigestes de la tradition sentimentaliste, nouveau libertinage induit par cette « vie en séquence-flash » par laquelle « l’individu postmoderne cherche à se mettre à l’abri des turbulences qui frappent le monde dans lequel il vit »3, exploration des possibles singulièrement renforcée par la mode – surtout féminine – de la flexisexuality (qu’indique la multiplication des baisers lesbiens de stars pourtant reconnues comme des croqueuses d’hommes : Britney Spears et Madonna, Christina Aguliera et ladite Madonna, Scarlett Johanson et Sandra Bullock au Mtv Music Awards). Parallèlement, la société de consommation a ses bienfaits, et l’abondance des loisirs et des cultures, loin de nuire à la créativité, favorise l’inventivité, en l’occurrence en matière érotique. Faut-il vraiment, selon les mots de Jankélévitch, déplorer l’ennui « d’être trop riche ou trop heureux » — serait-il donc préférable « d’être pauvre et seul »4 ? Certes, la dictature de la bonne santé peut agacer, notamment les fumeurs et les soiffards – qui ne peuvent plus assouvir leur passion que dans une culpabilité source d’angoisse chronique. Faut-il pour autant regretter que l’apparence et la beauté soient valorisées ?
1 Agathe Simon, « Georges Bataille : l’obscène et l’obsédant » in La Voix du Regard, n°15, automne 2002, p.19.
2 Hans-Jürgen Döpp, Erotische Kunst, Zürich & New York, Stemmle, 2006.
3 Yves Boivert, Le Monde postmoderne : analyse du discours sur la postmodernité, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques Sociales », p.96.
4 Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Paris, Flammarion,1964, p.54.

samedi 4 février 2012

Comparatisme 3D



Désormais disponible dans les librairies hexagonales ou par commande via mail sur info@limproviste.com



LE COMPARATISME, UN UNIVERS EN 3D ?
Antonio DOMÍNGUEZ LEIVA, Sébastien HUBIER et Frédérique TOUDOIRE-SURLAPIERRE

Prôner un nouveau comparatisme en 3D, ce n’est pas sacrifier à la dernière prouesse de la technique à la mode, c’est réclamer plus de profondeur pour le regard et plus de relief pour l’objet contemplé. L’ambition de ce livre est double et s’inscrit dans le contexte historique immédiatement contemporain.
D’une part, en plaçant l’avenir de la Littérature Comparée dans la continuité historique d’une réflexion sur la culture et sur les modalités de son interprétation ; d’autre part, en montrant que la notion de littérature (et les formes d’expression artistiques qui l’accompagnent) est inséparable d’une réflexion sur les instruments de compréhension d’une culture contemporaine, sans doute en crise, mais toujours mouvante.


Si l´ouvrage s´intéresse à quantité d´aspects inhérents aux nouveaux regards sur les pratiques et les théories de la Littérature Comparée, la question des interactions entre cultures populaires et cultures savantes y est particulièrement importante, ainsi que celle des rapports entre le littéraire et le transmédiatique contemporain au sens large





Antonio Domínguez Leiva est professeur à l’UQAM (Montréal) et l’auteur de travaux sur l’histoire culturelle de la cruauté et de l’érotisme.

Sébastien Hubier enseigne à l’université de Reims et au campus transatlantique de l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il est l’auteur d’ouvrages portant sur les représentations culturelles de l’intimité, notamment dans le champ érotique.

Frédérique Toudoire-Surlapierre est professeur en Littérature Comparée à l’université de Haute-Alsace. Elle a publié plusieurs livres consacrés à la critique, aux littératures nordiques, au théâtre et aux rapports entre littérature et arts

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 7






















Il me semble qu’il faudrait notamment le rapprocher du concept américain de care ou de la notion japonaise d’amae (甘え) qui indique à quel point la mutation postmoderne a rétabli le matriarcat1. Au demeurant, la sensualité nippone et son pendant continental qu’est la lasciveté coréenne (sud-coréenne, cela va sans dire !), qui valorisent tellement l’adolescence, multiplient, de façon littéralement extraordinaire, les représentations des Sexy Teddies. Je pense notamment aux belles photographies de Gu-Ji-Sung et, plus encore, de Im So Yeon, autre mannequin coréen – auxquelles il faudrait ajouter Lee Ji Woo et Kim Tae Hee qui sont aussi de grandes ursophiles dont les regards expriment toujours une tendre inflexibilité. Car la postmodernité n’est pas seulement le siècle de l’érotisation de la puérilité. C’est aussi le règne de l’homo festivus – qui, « désinhibé à mort », « fait la fête, mais [...] ne rit pas parce qu’il est plus ou moins retombé en enfance et que le rire suppose un fond d’incertitude dont l’enfant a horreur »2 – et de l’homo sentimentalis, cet individu qui érige les grands sentiments en valeur, qui les hystérise, au sens où « hystériser, c’est mettre du désir, de la libido là où, au premier abord, il n’y a pas lieu d’en mettre », au sens où « c’est faire naître dans le corps de l’autre un foyer ardent de libido [...], c’est érotiser une expression humaine quelle qu’elle soit alors que par elle-même, intimement, elle n’était pas de nature sexuelle »3. C’est ce que font les stars qui, enthousiasmées par de grandes causes – famines, maladies orphelines, raz-de-marée – n’hésitent point à se dévêtir pour elles, érotisant ainsi les causes qu’elles défendent. Et voilà que reparaissent les ours voluptueux ! Britney Spears, l’interprète inoubliable de Oops!... I did it again, chef-d’œuvre absolu du néo-baroque, enserrant un Teddy Bear qui, bien plus vêtu qu’elle, porte un lainage aux armes de sa fondation, laquelle a pour but d’offrir aux enfants pauvres des vacances dans un « camp » où ils auront la chance de suivre des cours de danse et de chant (« to send the children and youngsters of limited means on a summer camp, where they can learn to sing and dance and work with other forms of art »). L’ours grimpe bientôt sur les épaules de la chanteuse qui, en contrapposto (attitude baroque, s’il en est), porte seulement un bikini à pois et des talons aiguilles. Les paupières à demi-baissées, son regard allie la provocation, la séduction, la candeur. Jamais l’indigence n’a été si séduisante et nombreux sont ceux qui accueilleraient sereins la misère la plus noire pour aller en « camp » apprendre à danser avec cette baladine, disons, le menuet baroque.










1 Michel Maffesoli, La Part du Diable (précis de subversion postmoderne), Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2002.
2 Philippe Muray, Festivus Festivus, Paris, Fayard, 2005, p.35.
3 Juan-David Nasio, L’Hystérie, ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, Paris, Payot, 2001, p.74.

vendredi 3 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 6





















Ainsi, lorsque la belle Megan Fox, dont je parlais précédemment, posa avec ses nounours pour FHM, ce fut certes dans une tenue et des positions pour le moins évocatrices – brassière de satin ou de fines dentelles, culotte à rubans et à lacets, posture d’odalisque ou à croupetons sur son vaste lit. Mais ce ne fut point nue. De même lorsque que Paris Hilton, vêtue d’une simple culotte d’organsin jaune, étouffa un magnifique ursidé de peluche dans FHM/GQ, c’était pour dire le plus sérieusement du monde qu’elle avait laissé choir Cristiano Ronaldo parce qu’elle refusait de se contenter d’être une femme de footballeur. Il est assez agaçant de penser qu’elle eût tout aussi bien pu dire, quelques mois auparavant et dans une tenue pareillement « bandative », pour reprendre un terme cher à Apollinaire et à Céline, qu’elle vivait avec son sportif parce qu’elle refusait d’être simplement une héritière multimillionaire. Pourquoi donc Paris Hilton, qui a grandi au Waldorf-Astoria, sur Park Avenue, et qui fut élevée dans les meilleures écoles (Buckley, Canterbury, Dwight), aime tant à jouer un rôle de petite fille simplette. Tout simplement parce qu’à l’époque postmoderne, ce n’est plus la violence qui est érotisée, comme chez Georges Bataille, c’est la niaiserie et une forme singulière de futilité, sinon de sottise qui le sont, comme chez Françoise Rey. Ainsi, lorsque, en janvier 2011, dans Allure, Jennifer Aniston minauda avec son ours, vêtue d’un pyjama qui la laissait pour le moins débraillée, c’était, disait-elle, pour livrer ses secrets les plus intimes (I’m willing to share my most intimate secrets). Les uns s’attendaient à des révélations métaphysiques, d’autres à une confession sur le mode rousseauiste, certains enfin à des confidences croustillantes sur les performances érotiques de Brad Pitt. Tous furent déçus en lisant : « the truth about natural skin care » ! Notre postmodernité correspond bien, partiellement, à une valorisation sans précédent tantôt de la déresponsabilisation, tantôt d’une manière d’infantilisiation obscène ; et dans le domaine de la sexualité aussi – érotisme et pornogaphie, qu’importe – règne l’infantocratie cet « idéal de l’enfance imposé à l’humanité »1. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à considérer Vanessa Hudgens promener, à plus de vingt-trois ans, son ours en le tenant par la patte comme une enfant, envoyant sans cesse, de sa main restée libre, des textos que l’on imagine sans peine truffé de smileys – avec une façon très adulte, pourtant, de se déhancher, sur un mode qui rappelle à l’esthète la statuaire hellénistique. Il y aurait sans doute beaucoup à dire de cet érotisme associant curieusement l’innocence un peu bête de l’extrême jeunesse et la perversité des vrais libertins.










1 Milan Kundera, L’Art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p.59.