dimanche 31 octobre 2010

Nécromanie Antique



Voici, pour notre spécial Halloween une petite bizarrerie du monde antique...

Bien que le mot nous vienne des sexologues de l`âge bourgeois, la nécrophilie entre discrètement dans la littérature grecque grâce à Hérodote. Dans son livre II, l'historien explique, au sujet des procédures de momification égyptiennes:

«Les femmes des personnages en vue, quand elles meurent, ne sont pas aussitôt données pour l'embaumement, non plus que les femmes qui sont très belles et celles qui étaient en grande considération; c'est quand elles sont mortes depuis deux ou trois jours qu'alors on les remet aux embaumeurs. Si l'on agit de la sorte, c'est pour empêcher que les embaumeurs ne s'unissent à ces femmes; car on dit que l'un d'eux fut surpris comme il s'unissait au cadavre d'une femme morte tout récemment, sur la dénonciation d'un sien confrère» (2,89).

Cette perversion, imposée en quelque sorte par la nécessité, revient dans un des passages les plus troublants du roman de Sinouhé l'Égyptien le bestseller égyptomaniaque du Finlandais Mika Waltari,

«La joie était à son comble lorsqu'on apportait le cadavre d'une jeune femme; peu importait qu'elle fût belle ou laide. On ne la jetait pas tout de suite dans le bassin, mais elle devait passer une nuit sur le grabat d'un embaumeur, et ceux-ci la tiraient au sort. Car tel était l'effroi inspiré par les embaumeurs que même la plus vile fille de rue refusait de se divertir avec eux, malgré l'or qu'ils lui offraient; et les négresses aussi les craignaient trop pour les accueillir.
Jadis, ils se cotisaient pour acheter des esclaves en commun, lorsqu'on en vendait bon marché après les grandes expéditions guerrières, mais la vie était si atroce dans la Maison de la Mort que ces femmes ne tardaient pas à y perdre la raison et causaient du bruit et du scandale, de sorte que les prêtres durent interdire d'acheter des esclaves. Dès lors les embaumeurs durent eux-mêmes préparer leurs repas et laver leurs vêtements et ils se contentèrent de se divertir avec des cadavres. Mais ils s'en expliquaient en disant qu'une fois au temps du grand roi, on avait apporté dans la Maison de la Mort une femme qui s'était réveillée pendant le traitement, ce qui fut un miracle en l'honneur d'Amon et une joie pour les parents et le mari de la femme. C'est pourquoi c'était pour eux un pieux devoir de chercher à renouveler le miracle en réchauffant de leur affreuse chaleur les femmes qu'on leur apportait, sauf si elles étaient trop vieilles pour que leur résurrection causât de la joie à qui que ce fût. Je ne saurais dire si les prêtres étaient au courant de ces pratiques, car tout cela se passait de nuit et en secret, lorsque la Maison de la Mort était fermée» (1977, p. 121).

L`autre référence antique de l`amour des mortes nous vient du poète Parthénios de Nicée qui nous raconte dans ses Passions amoureuses dont Ovide devait s`inspirer l`histoire d`un amour fou avant-la-lettre: «On dit que Dimoétès épousa Euopis, la fille de son frère Trézèn; s'apercevant que celle-ci était amoureuse de son propre frère et était sa maîtresse, il dévoila la situation à Trézèn. La jeune femme, poussée par la peur et la honte, se pendit, non sans avoir auparavant appelé toutes les malédictions possibles sur son mari, cause de son malheur. «Là-dessus, dit-on, peu de temps après, Dimoétès trouva le corps d'une femme extrêmement belle, que les flots avaient rejeté; il conçut d'elle un violent désir et s'unit à elle. Mais bien vite ce corps que la vie avait quitté depuis longtemps commença à se défaire : Dimoétès fit élever pour elle un grand tombeau. Il ne fut pas pour autant délivré de sa passion, et il s'égorgea sur la tombe» (31).

On peut distinguer cette perversion de celle qui consiste à conserver la forme de l'être aimé après sa mort, pratique qui, sous de dehors de touchante fidélité, confine à ce que les sexologues appelleront du nom tarabiscoté d`agalmatophilie. Ainsi Admète promet, si Alceste meurt, de faire une statue à son image comme le rapporte Euripide: «Figuré par la main d'artistes habiles, ton corps sera étendu sur mon lit; auprès de lui, je me coucherai, et, l'enlaçant de mes mains, appelant ton nom, c'est ma chère femme que je croirai tenir dans mes bras quoiqu'absente: froide volupté, sans doute, mais qui pourtant allégera le fardeau de mon coeur» (Aie. 348-354).

Ou encore, aux dires d`Hygin, Laodamie fit faire une statue de son mari Protésilaos, mort devant Troie:

«Comme Laodamie, fille d 'Acaste, qui avait perdu son époux, avait épuisé les trois heures qu'elle avait demandées aux dieux, elle ne put supporter sa douleur et ses larmes. C'est pourquoi, elle fit faire de son époux Protésilaos une statue de bronze à sa ressemblance. Elle l'installa dans la chambre nuptiale, en feignant d'accomplir les rites sacrés, et se mit à l'honorer.
« Un jeune esclave qui, un matin, lui avait apporté des fruits pour le sacrifice, regarda par une fente et la vit qui serrait dans ses bras la statue de Protésilaos et la baisait. Considérant qu'elle commettait l'adultère, il rapporta le fait à son père Acaste.
«Celui-ci vint sur les lieux, fit irruption dans la chambre, vit l'image de Protésilaos. Pour que celle-ci ne fût pas plus longtemps tourmentée, il ordonna que fussent brûlés ensemble, dans un bûcher qu'il avait fait préparer, la statue et les objets sacrés. Laodamie, ne supportant pas sa douleur, se jeta dans le feu et fut brûlée» (Fab. 104).




NOTE Pour plus de perversions antiques, voyez l`article de Danielle Gourevitch
Quelques fantasmes érotiques et perversions d'objet dans la littérature gréco-romaine. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 94, N°2. 1982. pp. 823-842

jeudi 28 octobre 2010

Nazi Chic & the Dark Side of the Sexual Revolution



Fabio De Agostini´s Le lunghe notte della gestapo is a direct ersatz from Salon Kitty, as Mario Caiano´s La svastica nel ventre (Nazi Love Camp 27, 1976) which follows the Jewish Sirpa Lane who becomes the lover of the sado-masochist commandant of the camp and runs a SS brothel for him before receiving a gruesome final punishment. Some French co-productions for Eurociné followed in 1978 et 1979, pastiches like Fraulein Kitty or Alain Payet´s revision of Ilsa in Helga louve de Stillberg, Nathalie rescapée de l'enfer or Train spécial pour SS, that could be read, in the light of the collective amnesia that surrounds the trauma of Vichy and Collaboration, as illustrating the same ambiguous coming to terms with the past as happened with Italian porno-fascism. Then the infamous subgenre vanished as it had appeared, spreading its iconography in other media like the rock Nazi chic illustrated by Serge Gainsbourg’s Nazi rock, Iggy Pop’s My Nazi Girlfriend, punk Gestapo leather jackets or Nazi armbands (Sex Pistols, etc), already analyzed by D. Hebdige as pure signifiers “exploited for an empty effect” (Subculture: the Meaning of Style, Routledge, 1979, p. 117).

Symmetrical opposite of the women in cages, the women on rampage films presented also the dominatrix menace figure “catered to the masochistic male thirst to see women on top” , starting with the gang girls feminization of biker films –who already featured white slavery- (The cycle savages, 1969, Angels wild women, Al Adamson 1972 or Ted V. Mikels´ Doll’s Squad 1973 and the “ultra low-budget gem of girl gang sado-masochism” The Dirty Dolls from 1974) to western (5 Bloody Graves, 1969 or Western Ride a Wild Stud, 1969) and the mini-genre of Amazon films, evolved from Euro jungle films of the fifties (Warrior Queen or The Battle of the Amazons, both from 1973, presenting an “all-female society of sturdy women devoted to subjugating men”) that spawned in pre-historical fantasies like Creatures the World forgot (1971) while Mondo S&M exoticism derived in “cannibal sex”, haunted by a sense of a decaying colonial past against the background of Third World upheaval (U. Lenzi El Paese del Sesso selvagio 1972; Emanuelle e gli ultimi cannibali 1977, Blue Holocaust 1979).

In a sense, those thousand of films lovingly reviewed in Psychotronic Encyclopedia, Slimetime, Sleazoid Express or the myriad of WebPages devoted to them, constitute the dark side of the Seventies’ sexual revolution. This soft-core adults-only sexploitation S&M invasion was clearly opposed to mainstream erotic cinema with its emphasis on "free love" and sex as a means of self-discovery, designed to appeal to audiences of both sexes. It was also distinct, in its insistence on violence and cruelty, from the light-hearted approach of sexy comedies and from the sexual libertarianism of West Coast porn and its apologetic depiction of “utopian sexual plenitude”. Yet transitions between both hyper-genres were still numerous at the time. Thus, at the crossroads between soft and hard-porn S&M psychodramas like Raphael Nussbaum’s Pets (1974) captured the Bizarre iconography in film popularizing Eric Stanton’s or Bill Ward’s fantasies, inserting peep booth loops in loose narratives. On the other hand the emerging porno boom also cashed in the S&M undercurrent, from G. Damiano’s Story of Joanna (1975) to J. Davian’s House of De Sade (1975) or A. de Renzy Femmes de Sade (1975), often inspired by the blood sexy genre to the hardcore Avon films like Taming of Rebecca (1979) or Kneel Before Me (1983). The same directors went from one genre to the other, from Jess Franco to David Durston who drawed the same vivid connection between sex and violence that distinguishes I Drink Your Blood to a gay hardcore porn Boy-Napped (1975), subverting pornutopian naïveté from (no pun intended) the inside.

vendredi 15 octobre 2010

Le Songe de la Veuve Dessus





Une des variations littéraires les plus étonnantes sur le thème de la femme dessus nous vient d`un texte singulier, longtemps occulté par la prude tradition philologique espagnole. Il s`agit du petit conte versifié (sorte de fabliau maniériste) Sueno de la viuda, attribué à fray Melchor de la Serna (manuscrit antérieur à 1609).

Accumulation de plaisants topoï issus de la tradition élégiaque, ce poème malicieux juxtapose le thème du rêve érotique évoqué par le titre à une gradation des plaisirs qui vont de la position citée au tribadisme et à hésitation titillante de l`hermaprhodisme.

Veuve éplorée et fortement frustrée par l`inactivité de son sexe, l`héroïne se met à rêver, comme Ovide (Coniugis ante oculos sicut praesentis imago est, Tristes, 3, 4b, 13) ou Properce avant elle (4,7), que son mari lui revient entre les bras. Contrairement à la gravitas des passages élégiaques cités, il s`en suit une chevauchée des plus réjouissantes de la tradition du coït rêvé occidental.

C`est alors qu`intervient le changement de position, écho rêvée des ébats pratiqués jadis avec l`attentioné conjoint (pour qu`elle ne se fatiguât point, nous dit le texte). Et, par un somnambulisme libertin que l`on retrouvera maintes fois dans le corpus érotique, elle se met à chevaucher réellement sa compagne de lit, la belle Teodora.

La réaction (ou plutôt l`absence d`icelle) de celle-ci rejoint une autre topique érotique, celle de la belle abusée dans son sommeil - que l`on songe, outre l’Art d’aimer (Non somnis posita tutum succubere mensa:/ Per somnos fieri multa pudenda solent, 3, 767-68 ), aux nombreux viols mythologiques de femmes endormies (Antiope, Théetis, Amymome ou encore Lotis qui faillit l`être par Priape ne fut-ce par le braiment de l`âne de Silène...).

C`est au réveil que vient le trouble de se retrouver toutes deux enlacées dans la position qui nous occupe. Et là le texte progresse dans le fantasme transgresseur, puisque la veuve, toujours dessus, commence à s`exciter par l`ambiguïté de la jouvencelle.

Le fantasme pousse alors jusqu`à la métamorphose fantastique, puisque Teodora se présente comme réellement transformée en rêve, étrange cas d`hermaphrodisme onirique dont on ne trouve pas de source avérée. Si les rêves de changement de sexe sont considérés comme étant des « rêves type » par l`école freudienne, voire archétypaux par les Junguiens, la transformation réelle pendant le rêve évoque plutôt l`univers des croyances paramédicales et magiques (on affirmait alors que des changements de sexe soudains pouvaient se produire chez des femmes après l`accouchement (1)).


Unissant ainsi dans une figure frappante (l`art maniériste est comme l`on sait tout entier tendu vers l`émerveillement du destinataire) les ambiguïtés du sommeil et de la veille à celles du genre sexuel, le texte allie métamorphose fantastique novatrice (Ovide lui-même n`y avait pas songé dans son catalogue encyclopédique des mutations mythologiques des êtres) et bizarrerie érotique.

Le motif fantastique, pour surprenant qu`il puisse être, hérite malicieusement de la « preuve onirique » introduit par Pindare dans son récit du rêve incubatoire de Bellérophon, preuve qui ici devient le phallus « nouveau-né ». Peut-être aussi peut on y lire l`écho amusé et ironique des relations de succubes érotiques avec lesquelles notre malin moine ne pouvait ne pas être familier. Comme l`on sait depuis Caro Baroja l`Espagne n`opta pas, pendant l`hystérie européenne de la chasse aux sorcières, par la croyance au pouvoir réel de celles-ci (ni, par extension, à la réalité du succubat)(2).

Mais c`est surtout la figure lascive de l`hermaphrodite qui triomphe, grand thème culturel du maniérisme comme l`affirma G. H. Hocke dans son étude aussi inégale que stimulante sur ce complexe mouvement esthétique (interprété comme Labyrinthe de l`art fantastique). « Dans la philosophie magique de la nature et dans l`art maniériste, l`hermaphrodite est le symbole du dualisme qui caractérise le monde surnaturel, l`emblème d`un magique « mariage chymique » (Hocke, Paris, Gonthier, 1967, p. 257). Dans le maniérisme « des représentations provenant de la fin de l`Antiquité contribuent à cette sécularisation qui n`engendre plus que des « curiosités »: « du domaine du mythe les hermaphrodites tombent dans les labyrinthes équivoques du pansexualisme pour devenir des « coeurs doubles », des vamps intellectuelles » (id, p. 258).

C`est à une telle dégradation des référents mythiques (Hermaphroditus le dieu, Tirésias le prophète) que l`on assiste ici. Significativement la représentation de Teodora ne peut qu`évoquer les sculptures hellénistiques des hermaphrodites endormies et offertes au regard (et, avant leur muséification, au toucher) impudique du spectateur. Comme elles elle reste « majoritairement » femme, tout en réservant sa « surprise » au détour d`un angle imprévu. Bien que la plus célèbre de toutes, celle de la Villa Borghese (appartenant à un autre érudit connaisseur de la Sainte Église Catholique, le cardinal Scipion Borghese), n`aie été déterrée qu`autour de 1608, le parallélisme ne peut qu`être frappant (s`agirait-il d`un paradoxe borgésien de l`imaginaire culturel?).

L`hermaphrodisme, enfin, fonctionne ici comme évitement du scandale lesbien, imposant en son sein le culte patriarcal du phallus, qui fait l`objet ici d`un véritable hymne pansexualiste à la limite de la liturgie blasphème, moment d`exaltation rhétorique avant que les deux partenaires ne se donnent à coeur joie à la célébration rituelle que ledit culte appelle.

“De aquellas dulces noches se acordaba
que con su buen marido ella dormia!
Y muchas, creo yo, que ella soñaba,
que entre sus blancas piernas le tenia
y quisiera durara el sueño un ano
por hurtarle la vuelta al desengaño

Pues como una, entre otras, sucediese
que un semejante sueño ella soñase,
y como si el marido alli estuviese,
aunque dormia, asi se menease.

Parece que el marido le dijese
que porque de la carga descansase,
se pusiera ella encima y él debajo
y asi repartirian el trabajo

Agradale el consejo a la señora,
en su dulce soñar perseverando,
y vuélvese a do estaba la Teodora
hacer, lo que soñaba, deseando.

Sobre la cual subiendo, y al ahora
con ella estrechamente se abrazando,
procede con su sueno felizmente
que la Teodora duerme y no lo siente

(...)
Dos horas después questo sucediera,
no sé si con los sones de la cama,
o por lo que decir querra cualquiera
segun los varios dichos de la fama,
despiertan como estaban, abrazadas
En verse asi, quedaron espantadas.

La de debajo, como era doncella,
esta turbada y calla temerosa
mas la duena questaba encima della
comiénzala a decir muy amorosa
-Yo no sé si eres él o si eres ella.
Respondeme, que soy muy cuidadosa,
porque de la mujer tienes el nombre
y tus hechos no son sino de hombre.

Responde la Teodora muy turbada:
-Senora, yo no sé qué responderme.
Estoy de mi figura tan mudada
que no puedo a mi misma conocerme.
De lo que agora soy, yo no sé nada,
ni quién varon de hembra pudo hacerme.
Verdad es que después de ser dormida
soñé que era en hombre convertida.

-Sin duda -dijo luego la senora-
y esa es la causa de lo que ha pasado.
Por tanto dime, amor es? Dime agora...
Dime, mi vida, qué es lo que has soñado?
Que en ese mismo punto y misma hora
un sueño soné yo tan concertado
con ese que tu dices que has tenido,
cuanto lo es el efecto sucedido.

Responde la Teodora convertida
en Teodoro, un mancebo muy apuesto:
-Luego que a prima noche fui dormida
soñé ser hombre, como ya he propuesto
y que siendo por mi vos requerida,
y no faltando a vos voluntad desto,
en esta cama, al fin, nos acostamos
y nos pusimos como agora estamos.

La dueña, vuelta en gozo y alegria
de que tan bien su sueno hubo acertado,
el sueño y la soltura bendecia
y al punto y hora en que fue soñado;
y su sueño a Teodora le decia,
para el uno con otro cotejando
viese cuan bien las dos se concertaron
y los dichosos sueños que soñaron.

Tómale después entre las manos
el miembro genital recién nacido,
al qual daba loores soberanos
poniéndole contino este apellido:

-¡O padre universal de los humanos
de quien tantas naciones an salido!
¡Tú solo das contento a las mugeres
y en ti se cifran todos sus plazeres!

Furiosamente a todas acometes,
y con mayor ardor a los doncellas,
entre las quales, quando te entremetes,
a la primera buelta triunphas dellas.

Tienes tanto dulçor quando te metes,
que aquel dolor que entonçes sienten ellas,
es puntilla del agro que se añade
al muy dulce manjar porque no enfade.

Entre casadas eres tan contino
que, si discretas son, nunca te dejan,
y aunque tengan hecho ya el camino
por más gustar se duelen y se quejan.

Mas como vienes luego y tomas tino,
y ellas mesmas la entrada te aparejan,
entras muy orgulloso y entonado
y sales muy humilde y despechado.

Viudas como yo, Dios sabe quántas
noches no duermen sin tu compañía,
de aquestas nunca vivo te levantas
por más que traygas brío y osadía.

Mas son sus artes y sus mañas tantas,
según se muestra por la mano mía,
que si cinqüenta veçes te marchitan
cinqüenta mill y más te resucitan.

Pues que quanto tú entras denodado
entre las debotísimas beatas,
donde encuentras un virgo remendado
que de solos tres golpes desbaratas.

Allí eres querido y regalado,
pues nunca das herida, que no matas,
y quando las matases desa suerte
sería darles vida con la muerte.

Tú das también el dote a muchas tristes
que huérfanas sus padres las dejaron,
y a las que están desnudas, tú las vistes
y a muchas das remedio que enfermaron.

Ninguna muger ay que no conquistes
y a las que de tus burlas se pribaron
más hazen con la gana y los deseos
que nosotras con obras y meneos.

Desde la mayor reyna hasta la esclava
ninguna muger ay que te aborrezca,
la ques autora no se muestra brava
y no porque desea que anochezca.

Aquella que mirarte rehusaba,
yo fiador que antes que amanezca
ella te ponga tal, aunqués muy sancta,
que llegues con los pies a la garganta.

¡O parte de quien naçe todo el todo,
herida sin lisión en la cabeça,
perdida por vençer del mismo modo
que vienes a perder la fortaleza!

Quien no te quiere, póngase de lodo
y pugne y vença a su naturaleza.
Sin quien no puedo ser, no quiero vida
ques vida violenta y aburrida.

Fray Melchor de la Serna, en El sueño de la viuda
en Antología de la poesía erótica española e hispanoamericana Par Pedro Provencio^p. 197-202

NOTES
1 I. Díez Fernández, La poesía erótica de los Siglos de Oro, Madrid, Arcadia de las Letras, Ediciones del Laberinto,  2003, p. 196

2 Dans le débat épistémologique sur la « réalité » de la sorcellerie qui divise les “augustiniens” (il s’agit d’un pur produit de l’imagination, peut-être sous l’action du Diable) et ceux qui y voient un vrai crime, l`Espagne appuya fortement la thèse augustinienne défendue encore par J. de Salisbuy dans son Policraticus qui accumulait les exempla satiriques se moquant des croyances « populaires »: « El espíritu maligno, con permiso de Dios, dirige su malicia a que algunos crean falsamente real y exterior, como ocurrido en sus cuerpos, lo que sufren en la imaginación y por falta propia (...) ¿Quién será tan ciego que no vea en ello malvada ilusión de los demonios? No hay que olvidar que a quienes tal ocurre es a unas pobres mujercillas y a hombres de los más simples y poco firmes” (J. Caro Baroja, Las brujas y su mundo, Madrid, Alianza, 1969, p. 99).

jeudi 7 octobre 2010





N’en déplaise aux partisans des geriatric porn studies dont plusieurs ouvrages de Duke University ont cependant montré toute l’importance1, la belle jeunesse des pensionnats offre plus d’intérêt – du moins fantasmatique, sinon universitaire – aux yeux de la plupart de nos contemporains que l’affreuse décrépitude des hospices. Érotisme et pornographie usent et abusent ainsi du motif de la puella (ou de la uirgo), la jeune fille dont le corps progressivement s’éveille au désir, dont la beauté s’anime et qui, pour son bonheur, ignore encore les devoirs de l’épouse (uxor) et de la mère de famille (matrona). Du genre de l'erotic teen à celui du high school porn, le pensionnat joue un rôle capital dans l’imaginaire de la volupté de l’Occident. Et, même, bien au-delà, car les manga érotiques (ecchi) ou pornographiques (hentaï) nippons sont très fréquemment fondés sur l’érotisation de l’uniforme des lycéennes (blouse blanche, col marin, jupe plissée, loose socks), sur le désir que fait naître la vie commune des étudiantes – chez elles et, surtout, chez qui les observent, à la dérobée, se livrer à leurs jeux innocents ou pervers. L’érotisation du pensionnat – et, plus globalement, du milieu scolaire – est loin d’être neuve. Ses prémices sont, sans nul doute, à chercher, dès avant les Lumières, dans un roman dialogué comme L’École des filles (1655), souvent prêté à Michel Millot et à Jean L’Ange. Cependant au fur et à mesure que la jeunesse s’est imposée comme une notion centrale de nos discours critiques et de nos représentations sociales, au fur et à mesure que l’adolescence est apparue comme concept et s’est sexualisée dans les faits, et au fur et à mesure que l’éducation des jeunes filles2 s’est devéloppée, le pensionnat a acquis toujours plus d’importance dans les fictions érotiques. Or ledit pensionnat est peut-être moins un motif qu’un paradigme déclinant quantité d’images subalternes qui lui sont plus ou moins étroitement liées. Mädchen in Uniform (1931), film allemand de l’entre-deux-guerres, concentre ces icônes, ces métaphores et ces emblèmes qui n’ont jamais été inactuels, même aux époques où le pensionnat était momentanément passé de mode : érotisation de la jeunesse (en l’occurrence Manuela von Meinhardis, la protagoniste du film de Leontine Sagan, a quatorze ans), appartenant souvent à un groupe social en voie de déclassement (l’institution de Potsdam est réservée aux filles de la haute société dont les familles connaissent des difficultés financières), apprentissage de l’amour et du désir par un mentor, un personnage tutélaire (amour de Manuela pour Mademoiselle de Bernburg qui est son professeur), saphisme (renforcé, en France, par les sous-titres ambigus rédigés par Colette), intervention brutale d’une figure autoritaire, voire tyrannique ou sadique (la cruelle directrice), emprisonnement (Manuela est recluse dans une chambre d’isolement), désespoir (Manuela tente de se donner la mort en se jetant dans les escaliers), révolte d’adolescentes perçues non plus comme des individus mais comme un groupe, et, cependant, retour à l’ordre dans un pensionnat qui est comme une caserne, voire comme une prison (la sonnerie finale du couvre-feu). Le socle inconscient de l’érotisation du pensionnat est, me semble-t-il, une forme de paraphilie duelle qui conjugue le fantasme de domination (lequel, précisément, avec la claustration, motive le rapprochement de la pension avec la prison, la caserne, le couvent, le sérail) et le fantasme de l’uniforme de pensionnaire (qu’on retrouve aujourd’hui dans le sailor fuku japonais et qui est au cœur de groupe de jpop comme Akb48). Il faudrait naturellement ajouter à tout cela un fait culturel observable depuis les origines de notre postmodernité : l’attirance des adultes envers les jeunes étudiantes (la précision féminine est d’importance car l’éphébophilie est un phénomène d’origine psychique et social sensiblement différent). De ce point de vue, il faudrait analyser l’érotisation du pensionnat avec les notions et les concept que les critiques japonais ont forgé, notamment celui d’enjo kōsai qui demande d’ailleurs à être rigoureusement distingué du lolicon, nettement pédopornographique.
Olive Schreiner, l’auteur féministe de From Man to Man (1926), déclarait sans détour : « Of all cursed places under the sun, where the hungriest soul can hardly pick up a few grains of knowledge, a girls boarding-school is the worst. They are called finishing schools, and the name tells accurately what they are. They finish everything but imbecility and weakness, and that they cultivate ». Elle ne faisait que reprendre là – dans un Entre-deux-guerres qui, à bien des égards, prolongeait, sur le plan des mœurs, le XIXe siècle bourgeois – les lieux commun attachés à la représentation du pensionnat de jeunes filles, ce vaste cachot où la mélancolie le dispute aux corrections. C’est là la face sombre des internats. Il en heureusement une autre que nous présente avec bonheur les fictions faite de badineries, d’amours, de désirs et de plaisirs. C’est là, cette fois, la pension des délices.



1Voir notamment Linda Williams (éd.), Porn Studies, Durham, Duke University Press, 2004 ou encore Laura Kipnis, Bound and Gagged. Pornography and the Politics of Fantasy in America, Durham, Duke University Press, 1999.
2Voir avant tout : Françoise Lelièvre & Claude Lelièvre, Histoire de la scolarisation des filles, Paris, Nathan, 1991 et Rebecca Rogers, Les Bourgeoises au pensionnat : l’éducation féminine au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.

mercredi 6 octobre 2010

La pension des délices





C’est ainsi une série de rapprochements qui se met en place : le pensionnat est figuré, dans la fiction érotique, comme une école, bien sûr, mais aussi comme une caserne, une forteresse, voire un bagne à l’instar de l’épouvantable Dotheboys Hall du Nicholas Nickleby [1838-1839] de Dickens. Mais, au-delà, d’autres images se profilent, notamment le sérail, lieux clos lui aussi et qui n’est au fond, si l’on en croit l’Histoire de Mademoiselle Brion dite comtesse de Launay, qu’un « bordel mystique »1. Ce mysticisme sexuel, qui était présent chez Louÿs, se retrouve, mais déplacé, dans le troisième tome d’Il Gioco de Manara où le pensionnat est devenu une secte de la serra pelada2. Comment comprendre cette fascination qu’exercent pensionnats, abbatiales et pénitenciers en tout genres3 ? Probablement par le fait qu’il s’agit toujours non de lieux réels, mais d’espaces fantasmatiques, clos sur une multitude de corps féminins où, comme dans les harems et sérails du XVIIIe siècle, la polygamie est monnaie courante, et où les jeunes filles sont toujours présentes et disponibles aux désirs et plaisirs masculins. Ces utopies sensuelles correspondent également à un rêve de domination des hommes sur les jeunes filles, des adultes sur la jeunesse. Dans cette perspective, le pensionnat renvoie à « cet érotique de la pluralité » qui se manifestait déjà dans « la liste du libertin et [dans] le sérail du despote oriental »4. Quantité de fictions érotiques ou pornographiques utilisent ces lieux communs, et, même, se fondent sur eux. C’est le cas du Dortoir des grandes (1953) d’Henri Decoin, des Demoiselles du pensionnat (1976) de Patrick Aubin, de Pensionnat de jeunes filles (1981) de Gérard Kikoine, de Das liebestolle Internat de Jürgen Enz (1982), des Petites Vicieuses au pensionnat (2007) de Pascal Saint-James et Bamboo, ou d'Éducation très sévère au pensionnat (2008) de Gazzman — ou, pour en revenir au neuvième art, du treizième volume des aventures de la jeune Indienne Savita Bhabhi, College Girl Savvi (2009), de Deshmukh. Le motif de l’étudiante – colocataire ou pensionnaire – est lui-même devenu un locus classicus de l’érotisme postmoderne, littéraire (The Horny Co-eds [1960] ou Naughty, Naughty Coeds. Erotic Adeventures of Good Girls Gone Wild [2006] de Sienna Rose), cinématographique (Erotic College Co-eds. Wet and Wild [2008]) ou pornographique (Co-ed Fever [1980]) ; et le cliché du college dorm et de la naughty roomate structure désormais l’imaginaire sexuel de la culture savante comme de la culture de masse – parfois même sur le mode humoristique comme dans I am Charlotte Simmons (2004) de Tom Wolfe où Beverly impose à la jeune héroïne naïve ses frasques et de nombreux « sexils » forcés. Wild Child (2009) de Nick Moore repose encore entièrement sur le scénario du pensionnat sévère et pourtant érotisé. Et puis, qui ne se souvient-il pas de la célèbre scène de Rules of Attraction (2002) dans laquelle Jessica Biel, grisée par les alcools, danse, à demi nue, dans le dortoir de son université ? Après tout, dans le dictionnaire érotique d’Alison Tyler qui décline, lettre après lettre, les archétypes des fantasmes sexuels, après « A is for Amour » et « B is for Bondage », « C is for co-eds ».



1Histoire de Mademoiselle Brion (1754), Paris, Tchou, 1968, p.1114.
2Milo Manara, Le Déclic, 4 vol., t.III, Paris, Albin Michel & L’Écho des savanes, 1994, p. 29 sqq.
3Je pense, bien sûr, à des Women in prison films comme Big Doll House. They Caged their Bodies but not their Desires (1971), Barbed Wire Dolls. Prisoners in a Barbaric Camp of Sadistic Perversions (1975) ou Women Behind Bars. Behind Bars no one Can Hear you Scream (1976).
4Christophe Marin, « Économie des passions et érotique de la collection » in De Rabelais à Sade, Saint-Étienne, Pu de Saint-Étienne, 2003, p.55.

mardi 5 octobre 2010

La pension des délices




D’une part, le pensionnat, dans le cadre érotique, reproduit très souvent le motif, plus ancien, du couvent – qui, lui-même est une sorte de geôle, présenté tantôt sur un mode menaçant, tantôt, au contraire, sur un mode hédoniste. On se souvient, dans le premier cas, dans La Religieuse (1780-1782) de Diderot, des humiliations que Sainte-Christine fait subir à la pauvre Suzanne. Dans le film, La Monaca nel Peccato (1986), la jeune Suzanne – référence directe au roman-mémoires diderotien – découvre que la vie des nonnes cloîtrées n’est pas aussi paisible qu’elle se l’imaginait et que les débordements sexuels sont le quotidien des novices. Mais – et c’est là un fait remarquable – les tópoï érotiques rejoignent, dans le film de Joe d’Amato, les clichés du fantastique et de l’horror movie. C’est que la nunsploitation, dépendant à la fois de la libération des mœurs et du déclin de la religion catholique en Europe, a joué un rôle essentiel dans la constitution de ce vaste imaginaire dont la représentation licencieuse du pensionnat de jeunes filles dépend encore aujourd’hui. Dans Alucarda, la hija de las tinieblas (1975), ainsi, le couvent est une institution scolaire conforme au château de la Carmilla (1871) de Le Fanu qui a servi de modèle au film. Bientôt, l’internat devient une cacotopie, voire une dystopie, en tout cas un monde de tortures épouvantables. De même, dans The School of the Holly Beast (1974), le film érotique s’oriente vers le genre du rape and revenge, ce sous-genre du cinéma d’exploitation qui, depuis la fin des années 1960, s’inscrit à la croisée du thriller et du cinéma terrifique, tandis que dans Posesión de una adolescente (1979), l’érotique devient trash, décalé, à la croisée de l’underground et de la contre-culture. Toutes ces remarques ne valent pas seulement pour le cinéma de Juan López Moctezuma ou d’Andrea Bianchi mais aussi bien pour la bande dessinée comme le met en lumière l’exemple d’O Covento infernal (1995), l’apologue pornographique de Ricardo Barreiro et Ignacio Noé. Cet album – au graphisme outrageusement étrange – avait en son temps passionné les amateurs de fictions démoniaques bien au-delà de l’Espagne. Il continue d’emprégner thématiquement des romans comme Boarding School Slave (2007) de J. W. McKenna ou College Girl (2005), récit dans lequel Cat Scarlett rapporte les mésaventures érotiques de la jeune Beth au St Nectan’s College — département parfaitement fictif de la prestigieuse université d’Oxford. Il semble ainsi que le monde conventuel ait fixé les motifs qui fondent et nourrissent toutes les fictions du pensionnat : le dérèglement, l’irrégulier, l’illégitime — trois valeurs essentielles de l’érotisme cruel depuis le marquis de Sade.
Cependant, il arrive tout aussi fréquemment que le couvent soit un lieu de bonheur sensuel. C’est le cas de Vénus dans le cloître ou La Religieuse en chemise (1683) de l’Abbé Du Prat, qui rapporte les aventures joyeusement licencieuses que sœur Agnès et sœur Angélique confessent à la mère abbesse du couvent. Ce roman est à la fois un roman d’éducation sexuelle à l’usage des jeunes filles et une fiction parfaite pour échauffer les sens des gentilshommes libertins que les mauvaises lectures émoustillent, sur le mode d’une étrange « contagion érotique »1. La promiscuité du couvent, comme celle du pensionnat chez Verlaine ou Louÿs, est alors une douce chimère, un fantasme. Dans l’imagerie populaire, de même, le Couvent des oiseaux est un éden, un paradis de captivité où, pendant la Terreur, rien ne manquait aux prévenus que le droit de sortir : ils y bambochaient tout à leur aise et se livraient, dit-on, aux orgies les plus raffinées. Il est piquant – et significatif – que ce couvent-prison soit devenu au XIXe siècle un pensionnat où des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame se proposeront de donner « aux jeunes filles une éducation fondée sur une piété solide, d’orner leur esprit de connaissances utiles et de cultiver leur goût pour les travaux à l’aiguille et les arts d’agrément ».



1Cf. Antonio Domínguez Leiva, « Ces Lectrices qui se caressent : théorie de la contagion érotique » in S. Hubier & A. Trouvé (éd.), Lecteur et lectrices, théories et fictions, Revue d’études culturelles, n°3, Dijon, Abell/ Cptc, 2007, p.35 sqq. Voir aussi, bien sûr, Jean-Marie Goulemot, Ces Livres qu’on ne lit que d’une main. Lecture et lecteurs de livres pornographiques au XVIIIe siècle, Paris, Minerve, 1994.


lundi 4 octobre 2010

La pension des délices, suite





Or, précisément, ce schéma initiatique – qu’on retrouvera par exemple au cœur de contes homosexuels d’Annaïs Nin (« The Boarding School »1) – organise nombre de fictions érotiques du pensionnat, souvent marquées par le passage de l’adolescence à l’âge adulte, lequel s’effectue grâce à de multiples épreuves, sentimentales et sexuelles, conduisant les héroïnes à se mieux connaître et à distinguer plus clairement les rôles qu’elles doivent assumer. Plus précisément, dans sa dimension érotique, le récit de pensionnat, conjoint la structure initiatique telle que les ethnologues l’ont définie (renoncement à la vie infantile, rupture d’avec le monde profane, marginalisation et accession à une nouvelle manière d’être, agrégation solennelle dans la communauté, en l’occurrence vécue comme une chute2 — c’est tout cela que représente le pensionnat) et l’apprentissage d’une herméneutique un peu particulière (décryptage, expression et explication des signes de la concupiscence par les leçons d’élèves plus âgés ou de « professeurs de désir »). De ce point de vue, le roman de pensionnat serait, comme par essence, un Bildungsroman. Ce sont tous ces fils thématiques qui s’entrecroisent aussi bien dans la culture savante que dans la culture de masse, dans la littérature que hors d’elle.
Je remarquerai d’abord que Histoire d’O (1954) joue un rôle essentiel dans l’histoire des représentations érotiques. En effet, le château de Roissy qui lui sert de cadre unit plusieurs modèles : le pensionnat fin-de-siècle, le château sadien (je pense, naturellement, au château de Silling, cette utopie des Cent vingt journées de Sodome ou L’école du Libertinage [1785-1935]) et, surtout, le couvent, qui, depuis, le XVIIIe siècle n’est plus représenté comme le refuge de la vertu et de la retraite spirituelle mais comme le lieu privilégié de l’initiation libertine et de pratiques sexuelles déréglées. Dans sa célèbre lettre autobiographique au vicomte de Valmont, la marquise de Merteuil n’en fait-elle pas le lieu même de l’apprentissage amoureux3 ? Plusieurs romans récents reposent, curieusement, sur les mêmes principes thématiques et structuraux. Ainsi en va-t-il de Souvenirs de pensionnat (2005) de Cathy Grimaldi (qui, au reste, est l’auteur de deux fictions thématiquement très proches : La Maison des punitions [2001] et La Collégienne anglaise [2004]) qui met littéralement en scène une pension chic pour jeunes filles dépravées sur lesquelles règnent en maîtres, un couple d’anglais, particulièrement intraitables et extrêmement débauchés. De même, Le Pensionnat (2006) de Jérôme Kob représente Camille, jolie demoiselle de quinze ans qui, attirée par les jeux sensuels, ne sait résister à aucune tentation, à aucun plaisir. C’est pour la punir et corriger ses vices que ses parents l’exilent dans un pensionnat de jeunes filles. Cependant, ce dernier la renforce bientôt dans ses dérèglements et, par un jeu de quiproquos enchaînés à des malentendus, loin d’y amender sa jeune vie, elle y parachève son éducation sensuelle avec ses jeunes compagnes. Cette nouvelle débauche provoque le scandale et conduit à son renvoi. Là encore, ce roman reprend bien la logique de la Bildung, enchaînant les amours adolescentes, l’initiation sexuelle, l’apprentissage de la jalousie, du désir, de la fascination pour le sexe, de la souffrance et du plaisir, des ruptures et des douleurs. À cette différence près, majeure, que la formation sexuelle ne conduit à aucune intégration, mais a contrario au bannissement du pensionnat.
Au surplus, c’est, curieusement, dans la paralittérature – notamment dans la bande dessinée – que la représentation duelle du pensionnat comme lieu de débauche et d’initiation sexuelle s’est, depuis quelques années, déplacé. Ainsi, Bruno Coq relate comment la belle et prude Flora fait, au pensionnat Sainte-Anne4, l’apprentissage de ce qui lui sera prétendument utile dans la vie : fellations, sodomies, orgies. Parallèlement, dans La Mauvaise Élève (2005), Ardem raconte comment Mathilde – une lycéenne nonchalante effrayée par les garçons – apprend les rudiments de la sexualité grâce aux cours très particuliers que lui dispense son professeur principal (et aussi, du reste, le portier de l’internat). Enfin, la célèbre trilogie Twenty d’Erich von Götha réactualise – ou, plus exactement resémantise – le motif du pensionnat voluptueux. En effet, cette lolita qu’est Twenty fait son apprentissage à l’école Clifford, institution chargée d’éduquer librement les jeunes filles. C’est là qu’elle rencontre Gilbert, producteur et réalisateur de films pornographiques, qui bientôt fait d’elle une star du X, ce qui assure sa fortune. Elle peut ainsi reprendre la direction du pensionnat où elle a, elle-même, étudié. C’est là qu’un célèbre auteur de bande dessinée, Erich von Götha, la rencontre. Il souhaiterait, en effet, qu’elle interprète dans un film son héroïne des Malheurs de Janice, une bande dessinée qu’il a réalisée quelques années auparavant. Un jeu complexe de références intertextuelles se met alors en branle qui renvoie Twenty à d’autres œuvres de Götha, elles-mêmes entremêlées : Les Malheurs de Janice mais aussi Prison très spéciale, volumes explicitement sado-masochistes5.



1Anaïs Nin, « le Pensionnat » in Vénus Erotica [Delta of Venus, Erotica, 1940-1978], Paris, le Livre de Poche, 1991, p.47 sqq.
2 Cf. C. Reichler, L’Âge libertin, Paris, Minuit, 1987, p.46-48. Voir aussi le livre, passionnant, de Catherine Bell, Ritual Theory, Ritual Practice, Oxford, Oup, 1992.
3« Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l’amour et ses plaisirs : mais n’ayant jamais été au couvent, n’ayant point de bonne amie, et surveillée par une mère vigilante, je n’avais que des idées vagues et que je ne pouvais fixer ; la nature même, dont assurément je n’ai eu qu’à me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit qu’elle travaillait en silence à perfectionner son ouvrage. Ma tête seule fermentait ; je n’avais pas l’idée de jouir, je voulais savoir ; le désir de m’instruire m’en suggéra les moyens ». Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses ou lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres, 1782/ 1796, Paris, Bibliothèque des curieux, 1913, p.163.
4Bruno Coq, La Vie de Flora, Ipm, 2003.
5Voir Tim Pilcher, La B.D. Érotique. Histoire en images. 2 vol., t.I, Des Origines à l’underground, t.II, Des Années 1970 à nos jours, Paris, éd. Tabou, 2008-2009.

samedi 2 octobre 2010

La pension des délices 3




Dans La Liberté ou l’Amour ! (1927), Desnos consacre tout un chapitre à la flagellation au « pensionnat d’Humming-Bird Garden »1. Il situe tout naturellement l’action en Angleterre, dans le Kent, et se joue de stéréotypes dont un roman comme Country Retirement était tissé à l’époque victorienne2. Le lecteur, placé dans la situation éminemment perverse et jouissive du voyeur, observe, à la dérobée, le fouettement de deux jeunes pensionnaires, Dolly et Nancy — dont la faute demeure du reste inconnue La première partie de cette nouvelle est évidemment construite en miroir, deux parties se faisant directement écho – ce qui, au passage, indique que le plaisir de l’érotisme pas plus que celui de la pornographie de masse (car Guy Scarpetta a bien montré que, contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de « ligne de démarcation tranchée entre le “noble” [la sexualité poétisée, voilée, métaphorique] et l’“ignoble” [la représentation sexuelle directe, obscène, hard] »3) tient à la répétition non de l’identique, mais de mêmes éléments infiniment variés, modulés : « à l’une des fenêtres de la bâtisse un bruit clair retentit. Bruit de claques sonores, bruit de fouet. Un cri s’éleva, puis plusieurs qui se confondirent bientôt en un gémissement monotone. Dans une salle, une femme de trente-cinq ans, fort belle, brune à reflets roux, fouettait une fille de seize ans étendue en travers de ses genoux. Elle avait d’abord frappé avec la main. On distinguait encore l’empreinte rouge des cinq doigts sur la chair délicate. Le pantalon descendu emprisonnait de dentelles les genoux de la victime dont les cheveux dénoués voilaient le visage. La croupe frémissante se contractait spasmodiquement. Les empreintes de doigts disparaissaient peu à peu, remplacées par les zébrures rouges du martinet de cuir de la correctrice. Parfois, quand le cinglement avait meurtri particulièrement l’enfant, un bond la faisait sursauter davantage, les cuisses s’entrouvraient et c’était un spectacle sensuel qui émouvait une autre jeune fille, attendant dans un coin de la pièce son tour d’être châtiée ». « La maîtresse avait attiré à elle la seconde enfant, blonde et robuste, avec deux fossettes aux joues, fossettes identiques à celles que lorsque à son tour elle se trouva à plat ventre sur les genoux du bourreau, troussée et dénudée, révéla son cul blanc et cambré. Un instant, l’acharnée correctrice s’attarda à contempler ce spectacle troublant, chair blanche qu’elle allait ensanglanter et qui se perdait étrangement dans la masse des jupes, du jupon et de la chemise relevés. Elle dégrafa les jarretières et rabattit les bas jusqu’aux genoux : une jambe s’était dégagée du pantalon qui pendait au pied de l’autre. Puis l’adroite tortionnaire commença à claquer à partir des jarrets les cuisses rondes en remontant vers la taille. Elle embrasa au passage les deux superbes méplats, d’abord masses blanches, puis roses rougissantes, puis orange presque sanguines. Sous les coups, elles se contractèrent, réduisant la raie médiane en un très court sillon. Bientôt, la masse musclée fut prise de soubresauts, se contractant et se relâchant sans mesure, laissant entrevoir le fossé brun où une bouche charnue s’apercevait, plissée et ombragée par des poils. Parfois même, et comme pour sa compagne, un grand sursaut cambrait davantage les reins, écartait les cuisses et le sexe était dévoilé. Quand le sang courut rapidement sous la chair, l’exécutrice saisit le martinet qui, là aussi, zébra de sang la peau fine. Puis le fouet succéda, puis la cravache. L’exécution était presque terminée. Maintenant, les mains parachevaient l’œuvre. Elles meurtrissaient d’une tape sèche les rares endroits qu’avait épargnés le cuir. » Suivant une logique qui préside au discours érotique depuis les Lumières au moins, Desnos inscrit son récit dans un double mouvement de constitution et de déconstruction de topoï. Le lecteur identifie effectivement très rapidement certains stéréotypes, attachés à la représentation du pensionnat aussi bien qu’à la flagellation friponne : la mise en place d’une énigme (Qui feule ? Est-ce le « cri enfantin d’un viol nocturne »4 ? Quel est le motif de cette punition ?), le passage du cri de douleur au gémissement de plaisir, l’érotisation du châtiment tout entier – qui, devenant spectacle, était déjà un motif central des Memoiren einer Sängerin de Wilhelmine Schrœder-Devrient et de Guillaume Apollinaire5 –, et, enfin, la figuration de la maîtresse en dominatrice sexuelle (« Dolly et Nancy se mirent à genoux. Elles délacèrent les souliers de cuir jaune et, glissant leurs petites mains sous les jupes, elles détachèrent les jarretelles et amenèrent les bas. Debout, elles dégrafèrent minutieusement le corsage et la jupe. La femme apparut en pantalon de dentelle et soutien-gorge. Ces deux vêtements tombèrent à leur tour. Nue, les seins durs, la croupe cambrée, la femme dominait les deux fillettes qui, obéissant à un rite convenu, baisèrent la bouche méchante, le ventre rond, le cul robuste, avant de la revêtir d’une chemise fine et courte et de natter ses cheveux ardents. ») Le lecteur habitué des curiosa erotica n’aura pas manqué de noter que les portraits eux-mêmes sont parfaitement traditionnels, depuis la rousseur, voluptueuse et maligne, de l’ « adroite tortionnaire » jusques à la jeune beauté de ses adorables victimes, enfantines, roses, potelées et frémissantes. La situation décrite par Desnos est bien surdéterminée, tissée de schèmes collectifs de pensée, de représentations culturelles figées, de motifs qui, empruntés à la dóxa, sont transférés du domaine social ou idéologique au récit, sensualisé, de la flagellation – laquelle devient, du reste, une image, pour ne pas dire une allégorie, du pensionnat. Cependant, ainsi que je l’annonçais, Desnos ne se contente pas de reprendre à son compte ces stéréotypes, il s’emploie à faire apparaître leurs contradictions. En somme, à les placer au service conjoint de la cognition sociale et de la construction de soi tout en déjouant les attentes du lecteur rêvant d’un simple récit érotique. De ces détournements je ne prendrai que quelques exemples. D’abord, l’association, détaillée tout au long de la nouvelle, de la flagellation et de l’orage d’une part et, de l’autre, sous l’égide de la métaphore, de l’imagination et du désir : « Et voici que maintenant que l’éclair va paraître dans ce ciel évoqué, malgré sa noirceur, sur le papier blanc, je comprends pourquoi le tableau se composa de telle façon. La similitude de l’éclair et du coup de martinet sur la croupe blanche d’une pensionnaire de seize ans suscita seule la montée de la tempête dans l’impassible nuit qui recouvrait le pensionnat. Pensionnat d’Humming-Bird Garden, tu te dressais depuis longtemps sans doute dans mon imagination, maison de briques rouges entourée de calmes pelouses, avec les dortoirs où les vierges sentant passer les fils de la vierge de minuit se retournent voluptueusement, sans s’éveiller, dans leurs lits, avec la chambre de la directrice, femme autoritaire et son arsenal de fouets, de verges et de cravaches, avec les salles de classes où les chiffres blancs sympathisent du fond du tableau noir avec les mystérieux graphiques dessinés dans le ciel par les étoiles, mais tandis que tu restais immobile dans un paysage de leçon de choses, l’orage de toute éternité montait derrière ton toit d’ardoise pour éclater, lueur d’éclair, à l’instant précis où le martinet de la correctrice rayerait d’un sillon rouge les fesses d’une pensionnaire de seize ans et éclairerait douloureusement, tel un éclair, les mystérieuses arcanes de mon érotique imagination. N’ai-je écrit cette histoire que pour évoquer votre ressemblance, éclair, coup de fouet ! et dois-je dresser l’apparence de cette nuit d’orage, sombre femme mais belle, avec ses seins évocateurs des rochers pointus du rivage, ses profonds yeux noirs, les boucles noires de ses cheveux et le teint identique aux prunes d’été, qui, brandissant un fouet cruel d’un bras robuste, en dépit du désordre de sa robe sombre, désordre qui révèle ses admirables seins et sa cuisse musclée, poursuit une marche majestueuse et fait naître le respect. » Il me semble qu’il convient de noter ensuite qu’au rebours des usages du roman érotique, Desnos choisit de relancer le récit alors même que la fable sensuelle apparaissait achevée. En effet, l’irruption du Corsaire Sanglot au pensionnat d’Humming-Bird Garden amorce une nouvelle péripétie qui reproduit les thèmes et motifs de la première partie de la nouvelle (combinaison du mystère et de la soumission, rapprochement du supplice et de l’ivresse, poétisation de la scène érotique) et en amorce de nouveaux (le rêve et l’orgie, notamment) : « l’homme cramponné au balcon leva la fenêtre à guillotine et pénétra dans la pièce. Il sortit de sa poche un revolver noir et le posa sur la cheminée. Ramassant les bas de la femme qui le considérait sans bouger, il emprisonna dans l’un la tête de Dolly et dans l’autre celle de Nancy, enfin se retournant : “— Conduis-moi.” Elle précéda dans un couloir sombre, poussa une porte grinçante, pénétra dans un dortoir. Dans trente lits blancs dormaient ou, plutôt, feignaient de dormir, trente jeunes filles. Sous la clarté tremblante des veilleuses, leur chevelure, le plus souvent blonde et parfois rousse, semblait frémir. La maîtresse réveilla le dortoir. Sous trente couvertures blanches, trente corps palpitants s’agitèrent. Les yeux grands ouverts, les enfants contemplaient leur redoutable tyran et le Corsaire Sanglot, puisque c’était lui, personnage nouveau, terrible et délicieux comme leurs rêves. Elles se levèrent et leur théorie descendit l’escalier de sapin verni. La pluie avait cessé. Le jardin sentait comme tous les romanciers l’ont dit. Imaginez maintenant sur la pelouse verte trente jeunes filles à la chemise retroussée au-dessus de la croupe, à genoux. Et que fit le héros d’une si troublante aventure ? Les échos retentirent longtemps des corrections infligées à ces corps en émoi. Le petit jour levait son doigt au dessus de la forêt quand le Corsaire cessa de meurtrir ces cuisses tendres et ces hanches musclées. Après quoi, il y eut une étreinte entre lui et la terrible maîtresse qui avait assisté, sans mot dire, aux actions de son amant. » Enfin, au sortir de cette nuit sublime, tous les éléments, disparates, de celle-ci se trouvent agrégés et inscrits dans une structure initiatique : « Jusqu’à midi les trente-deux filles dormiront, étonnées au réveil de cette liberté accordée. Regardant le grand soleil de midi frapper leur lit étroit, elles se souviendront des événements de la nuit. L’amour et la jalousie ensemble tortureront leurs âmes. Il leur faudra se lever et reprendre le travail écolier. Quand il leur faudra subir le fouet de la maîtresse, elles seront prises d’un étrange émoi. Souvenir du séducteur cruel et charmant, haine de celle qui le posséda. Et tout se passe comme j’ai dit. Bientôt même et pour mieux évoquer ce matin tendre où elles rencontrèrent l’amour, elles entreprennent de se meurtrir elles-mêmes. Les récréations se passent maintenant derrière les buissons de prunelliers. Et, deux à deux, elles se fouettent mutuellement, bienheureuses quand le sang entoure leurs cuisses d’un mince et chaud reptile. Corsaire Sanglot poursuit sa marche solitaire, tandis qu’en souvenir de lui, dans une calme plaine environnée de bois du comté de Kent, trente jeunes filles se flagellent de jour et de nuit et comptent au matin, en faisant leur toilette, avec une indicible fierté, les cicatrices dont elles sont marquées. Le soir, la maîtresse, comme à l’ordinaire, choisit deux victimes et les emmène dans sa chambre. Et elle frappe ces cuisses qui ont souffert par lui, avec rage. Elle aurait aussi voulu souffrir comme elles et la haine amoureuse la dresse. Car elle n’a pas suffi au contentement du Corsaire. Il lui a fallu d’abord la possession barbare de ses élèves, et rien ne pourra désormais consoler ces âmes en peine. En dépit des années passant sur la pelouse unie et les allées et les arbres de la forêt proche. En dépit des années passant sur ces fronts soucieux, sur ces yeux amoureux des ténèbres, sur ces corps énervés. Et, quelque nuit, l’orage roulant sur la plaine et le marécage éclairera de nouveau la façade sévère et le marais aux feux follets. Mais plus jamais le Corsaire Sanglot ne reparaîtra dans le pensionnat où des cœurs sans défaillance l’attendirent, cœurs aujourd’hui séniles dans d’immondes anatomies de vieilles femmes. »



1Robert Desnos, « Le Pensionnat d’Humming-Bird Garden » in La Liberté ou l’amour ! suivi de Deuil pour deuil, Paris, Gallimard, 1962, p.102-109.
2J’invite le lecteur à consulter, dans la mesure du possible, les ouvrages suivants, devenus rares : E.D., Les Callipyges ou les délices de la verge, Bruxelles, Augustin Bracart, 1892 et, du même auteur, Jupes troussées, Amsterdam, Augustin Brancart, 1890. Il est intéressant de comparer ces fictions fin-de-siècle avec d’autres qui, pendant les Lumières, abordaient le même thème, notamment : Le Chérubin, gardien de l’innocence féminine, Londres, W. Locke, 1792 ; Etonensis (George Augustus Sala), Les Mystères de la villa de la Verveine, Londres, 1782.
3 G. Scarpetta, Variations sur l’érotisme, Paris, Descartes & Cie, 2004, p.13-14.
4R. Desnos, Deuil pour deuil, éd.cit., p.142.
5Cf. W. Schrœder-Devrien, Mémoires d’une chanteuse allemande, Paris, Tchou, p.144-152.

vendredi 1 octobre 2010

La pension des délices 2




Ce type de pensionnat – lieu d’initiation à la suavité du plaisir – connaît quantité d’avatars, que les auteurs font varier à leur guise dans l’espace et le temps. Je n’en citerai qu’un seul exemple : le Didascalion de Pierre Louÿs, ce pensionnat sacré, placé dans l’Alexandrie du premier siècle, « où les petites filles apprenaient en sept classes la théorie et la méthode de tous les arts érotiques : le regard, l’étreinte, les mouvements du corps, les complications de la caresse, les procédés secrets de la morsure, du glottisme et du baiser. » « L’intérieur du Didascalion, les sept classes [...] et le péristyle de la cour étaient ornés de quatre-vingt-douze fresques qui résumaient l’enseignement de l’amour. » « L’élève choisissait librement le jour de sa première expérience, parce que le désir est un ordre de la déesse [Aphrodite], qu’il ne faut pas contrarier ; on lui donnait ce jour-là l’une des maisons de la Terrasse ; et quelques-unes de ces enfants, qui n’étaient même pas nubiles, comptaient parmi les plus infatigables et les plus souvent réclamées. » « À la fin de chaque année, en présence de toutes les courtisanes réunies, un grand concours avait lieu »1, une manière de concours général, en somme, récompensant les écolières les plus brillantes en matière de sexualité.
Aussi, non seulement les liens entre académie, collège et volupté sont-ils très étroits (il suffit de songer au Professor of Desire [1977] de Philip Roth ou au Professeur [2001] de Christian Prigent), mais encore, le pensionnat est-il souvent présenté comme l’institution idéale pour un apprentissage approfondi du déchaînement sexuel, voire du vice, l’endroit où les demoiselles apprennent les choses du sexe et les mots pour les dire. Ainsi, dans Trois Filles de leur mère, Pierre Louÿs s’amuse de ce que la jeune Ricette « mise en pension jusqu’à treize ans et demi », « est sortie de là [...] ne sachant rien faire d’autre que de se branler et de faire minette : c’est tout ce qu’on lui avait appris à la pension »2. La même Ricette montrera, quelques chapitre plus tard, qu’elle y a aussi appris d’autres fines manœuvres : un français choisi et « assez de littérature pour donner à son bagout le tabarinesque ». Elle fait ainsi elle-même la réclame de ses mérites, selon tout ce qu’on lui a appris dans l’institution de jeunes filles dont elle vient de sortir : « écoutez, mesdames et monsieur, le programme de la séance. À la fin du spectacle, dépucelage solennel de Mauricette devant l’honorable assistance. La jeune sauvagesse se présentera en levrette [...]. Mais ceci n’est rien, mesdemoiselles [...]. Pour la première fois, la jeune sauvagesse va sucer publiquement un homme. Au lieu de le faire décharger en l’air, elle le laissera jouir dans sa bouche [et] avalera le foutre en se léchant les lèvres avec un gracieux sourire, pour avoir l’honneur de vous remercier »3.
Cependant, le pensionnat n’est pas toujours, loin s’en faut, une plaisante école de la frivolité et du ravissement, le « vert paradis des amours enfantines ». Au contraire, cette douceur, souvent, s’inverse, dans les fictions, en cruauté, l’ardeur devenant fureur et le désir brutalité. Du Pensionnat du fouet (1909) d’Aimé Van Rod aux Mœurs étranges au pensionnat de jeunes filles (2003) de Philip Larkin, les titres sont innombrables qui indiquent assez clairement que les petites demoiselles n’apprennent pas seulement dans les pensions et institutions – religieuses ou non – les langues mortes, les travaux de couture ou les règles du savoir-vivre. À bien des égards, le pensionnat, dans le cadre des romans érotiques ou pornographiques, est, moderne avatar du lupanar, un lieu de débauches où la jeunesse féminine fait, dans la douleur, l’apprentissage de supplices (qui, à la fin de siècle, peuvent, avec l’étude, s’avérer délicieux) et de perversions (que l’élève disciplinée finira par trouver douces). La question se pose de savoir s’il est possible de faire l’économie d’une étude du lien qui unit les châtiments des pensions et cette homosexualité masculine, décrite en France, depuis les dernière décennies du XIXe siècle, comme le « vice allemand »4. Die Verwirrungen des Zoglings Törleβ (1906) est bon exemple de ce modèle associant uranisme, violence et cruauté. Toutefois, me semble-t-il, ce n’est plus tant la logique du pensionnat qui se déploie que celle de la caserne puisque c’est d’une académie militaire réservée à l’aristocratie dont il est question dans le roman de Musil – académie derrière laquelle on devine sans peine celles d’Eisenstadt et de Märisch-Weisskirchen dont il fut lui-même l’élève. Il n’en demeure pas moins que cet imaginaire sadique ou masochiste ne concerne pas – loin de là ! les seuls lycées ou palestres virils. Car même sur le versant féminin des représentations fictionnelles du pensionnat, ce dernier ne favorise pas exclusivement l’apprentissage du tribadisme ou d’exaltations hétérosexuelles, certes assidues mais ordinaires et, finalement, itératives dans leurs formes coïtales. Quantité de fictions – de tous genres, j’y reviendrai – insiste sur la dépravation, la débauche, la perversion que font naître les pensions, ces lieux clos et secrets. Là encore, on pourrait croire à une singularité britannique, le fameux « vice anglais », cette flagellomanie dont les origines et les enjeux sont aujourd’hui assez bien connus, notamment grâce aux travaux d’Ian Gibson, de Thomas E. Murray et de Thomas R. Murrell5. Des typologies précises sont désormais établies qui distinguent clairement, dans leurs enjeux comme dans leurs représentations – victoriennes surtout –, la fessée (spanking), la bastonnade (caning) et la flagellation (whipping). En outre, comme l’a bien montré Piero Lorenzoni, « the two subjects which predominated in the domain of the English eros, from the end of the 18th century right up to the first half of our own century, were flagellation and the delowering of virgins; two themes which were to distinguish british eroticism from all that all other countries »6. Ces deux thèmes – perte de la virginité et flagellation – sont directement liés aux fictions du pensionnat, selon des figures variées. La fustigation peut, par exemple, constituer le châtiment infligée à une jeune fille qui, n’ayant pas su apaiser les ardeurs qui la consument, s’est livrée à quelque galant de passage ; ou, à l’inverse, la punition violente peut échauffer à tel point les sens d’une jeune élève qu’elle finit par se livrer à son bourreau (généralement, son professeur, son confesseur, ou son institutrice ; on en revient alors aux images d’assujettissement ou de tribadisme que j’évoquais précédemment). La fin de la démonstration de Piero Lorenzoni me semble cependant trop schématique pour être tout à fait exacte. Car, au vrai, ce motif bifrons que sont le tabou de la virginité et la flagellation fantasmée excède de loin le Royaume-Uni, irradiant l’ensemble des représentations de l’érotisme occidental7, aussi bien, du reste, dans la culture de masse que dans la culture savante8.



1Pierre Louÿs, Aphrodite (II, 1), Paris, Le Mercure de France, 1896, p.94 & 95.
2Pierre Louÿs, Trois Filles de leur mère in L’Œuvre érotique, Paris, Les Belles Lettres & Jean-Jacques Pauvert, 1994, (V), p.290.
3Ibid. (XII), p.385.
4Armand Dubary, Les Invertis. Vice allemand, Paris, Chamuel, 1898. On se reportera à l’analyse de Régis Revenin, Homosexualité et prostitution masculine à Paris (1870-1918), Paris, L’Harmattan, 2005. J’ajouterai que les choses sont un peu plus compliquées qu’il ne semble à première vue : l’homosexualité est toujours un vice étranger ; en France ce fut longtemps le vice italien (Ronsard, Du Bellay, D’Aubigné désignent ainsi les mœurs perverses de la cour d’Henri III), en Italie, c’est le vice allemand, en Allemagne et en Espagne, c’est le vice français. Je me permets de renvoyer à l’article que j’ai écrit sur cette question, portant sur la comparaison de Wilde, Proust, Joyce, Musil et Thomas Mann, « L’Androgyne décadent ou la prétention à l’identité homosexuelle chez quelques auteurs du “tournant du siècle” » in P. Mauriès (éd.), Actes du colloque organisé les 25 et 26 juin 1997 au Centre Georges Pompidou, Paris, Gallimard/ Le Promeneur, 1998.
5Ian Gibson, The English Vice. Beating, Sex and Sham in Victorian Britain and After, Londres, Duckworth, 1978. Thomas E. Murray & Thomas R. Murrell, The Language of Sadomasochism. A Glossary and Linguistic Analysis, Greenwood Press, 1989. Voir notamment les pages 23 et 24.
6Piero Lorenzoni, English Eroticism, Ware, 1984, p.64.
7Et, au vrai, au-delà de l’Occident. Quantité de rough hentai porn ou de bondage hentai ont pour cadre des établissements scolaires et, notamment, des pensionnats.
8On se reportera à l’article de Laurent Martin, « Jalons pour une histoire culturelle de la pornogaphie en Occident » in Le Temps des médias, n°1, automne 2003, p.10-30.