mardi 14 octobre 2008

Erotisme et Ordre Moral




Comme un bonheur ne vient jamais seul

nous vous offrons aujourd'hui une deuxième

GRANDE NOUVELLE


Vous pouvez d'ores et déjà vous télécharger l'historique Premier numéro de la Revue d'Etudes Culturelles


Érotisme et Ordre Moral

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Qui a dit que l'université française était "débandante"?



(Réponse dans un des articles en question...)

Délicieux Supplices





VIENT DE PARAÎTRE


DÉLICIEUX SUPPLICES. Érotisme et cruauté en Occident

édition présentée par

A. Domínguez Leiva et S. Hubier


voici une offre qu'aucun RECELeur/euse ne peut refuser...


les hommes castrés de Marie de France !!

les horreurs troubles des martyrologues!!!

les poèmes bizarres de Jean Auvray et les pièces d'Alexandre Hardy!!

les lettres de Sade à sa femme!!

Pétrus Borel !!

les douces fessées et les odieuses caresses de Mr. Hubier!!

les beautés d'échafaud romantiques!!

masochisme décadent!!

Hofmannstahl S-M!!

Moulin Rouge !!

La femme tanatophore !!

Le Jardin des Supplices !!

J'aime l'amour qui fait mal !!

Robes Grillades de Robbe Grillet !!

Bret Easton Ellis vs Houellebecq !!

Les cruels dessins de Eisenstein !!

Jean Fabre !!

Angelin Preljocaj !!

Gilles de Rais, Huysmans et Bataille !!

et enfin,

le triomphe et la chute de la Sexploitation !!


Et si tout ceci ne vous a pas convaincu(e)s,

allez télécharger de suite notre magnifique couverture sur

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samedi 11 octobre 2008

Délices fin-de-siècle



Les formes morbides de la sexualité envoûtent toute cette fin de siècle gynéphobique ; et l’érotisme de la Décadence, qui reprend l’obsession médicale de la dégénérescence, est marqué par une mélancolie extrême, elle-même engendrée par la conscience accablée de l’insignifiance de l’existence, de l’inanité des sociétés modernes, des déterminismes de toutes sortes qui accablent les psychés et les corps humains. Le Décadent, ce détraqué à l’émotivité exaspérée, n’a plus qu’à chercher refuge dans son univers intérieur. Partisan d’un solipsisme radical, il est préoccupé par toutes les sensations qui l’assaillent et par ses pulsions inconscientes. Ce raffinement aigu de la sensibilité, qu’accompagne souvent une délicatesse dépravée, le contraint à trouver refuge dans l’imagination qui, continûment soutenue par les drogues et la fée verte, apparaît comme la seule possibilité de sublimation d’une réalité décevante. La sensualité fin-de-siècle, qui exacerbe le goût antérieur pour l’exotisme et les bizarreries, affectionne la dépravation, les dérèglements sexuels, la sophistication, les situations inhabituelles, étranges, et la fréquentation des filles au visage exsangue, au regard vicieux, ou des séductrices sublimes qui, comme dans le célèbre recueil Neurotica (1891) de ce poète majeur de la Jung Wien qu’est Felix Dörmann, sont autant d’idoles marmoréennes prématurément usées par la morphine. La volupté décadente ne se saurait concevoir que dans des boudoirs suffocants, tendus de soie et d’organsin, où dansent des femmes fatiguées aux yeux mauves, où reposent des femmes indolentes, tête renversée, chevelure déployée, comme la célèbre Dormeuse (1893) de Jean-Jacques Henner aujourd’hui exposée au musée d’Orsay. Aussi, alors qu’elle reprend à la topique romantique nombre de ses loci classici, la Décadence substitue-t-elle à l’image de la prostituée et des « filles crapuleuses » (Léon Bloy, La Femme pauvre, p.65) celle de la femme fatale, qui elle-même se superpose progressivement à la figure de la magicienne dont les aventures sont relatées dans les boucles d’un style coruscant. « Moderne Circé » (Rollinat), la créature voluptueuse est partout aux alentours de 1900. Au cœur de décors kitsch – celtiques ou byzantins –, elle figure aussi sur quantité de gravures et d’ex-libris (Franz von Bayros, puis Karel Šimůnek et Michel Fingensten), sur les façades, les pendules et les papiers peints. Goûtant au-delà de toute mesure les allégories – jolie Immoralité ou vilaine Vertu avec son lys blanc et ses yeux d’outre-tombe –, l’art 1900, jusque dans ses courbures, est un art féminin. Cette omniprésence de la féminité explique d’ailleurs que, dans la littérature, les badinages des « tribades », des « fricatrices », des « anandrynes » et des « belettes » soient perçus, à la Belle Époque, comme une forme privilégiée de l’érotisme. La peinture n’est pas en reste et Les Deux Amies – Paresse et Luxure (1866) de Courbet sont si célèbres et saisissantes que le tableau sera repris par Toulouse-Lautrec (1895), puis par André Lhote (1920), par Paul-Émile Bécat – l’illustrateur de l’Arétin, de Laclos et de Verlaine – par Picabia (1941), par Clovis Trouille (1952), par Luis Royo (2006), par Geneviève Van der Wielen (2007) — tableaux auxquels il faudrait ajouter les Deux femmes de Paul Delvaux, Les Jeunes Filles de Tamara de Lempicka, les très jolies lesbiennes de Kevin Townson ou Just a Couple of Girls de Wilson Watrous. Correspondant à une émancipation du plaisir hors des contrats de mariage et des impératifs procréateurs, la saphisme se manifeste par une exploration à la fois vitaliste, morbide et sensuelle des possibilités érotiques, débouchant sur d’autres figures relationnelles, le plus souvent sur fond de décor exotique, comme ce sera encore le cas d’Emmanuelle à Chargée de mission (1991).

jeudi 9 octobre 2008



Pendant les Lumières, « les petits-maîtres se ressemblent tous dans leur manie vestimentaire, leurs mimiques et leur jargon. Ils affichent leur naissance, leur richesse, leur connaissance du monde. Les roués au contraire cultivent un style propre, ils jouent avec les limites de leur caste, risquent la grossièreté dans les mots et la violence dans les gestes. Ils ont le goût de la méchanceté morale. Même s’il oublie l’origine du terme qui le désigne et l’ombre de la roue qui le menace, le roué affectionne l’excès là où le petit-maître se contente d’obéir à la norme » (M. Delon, Le Savoir-vivre libertin, p.257-258). À bien des égards, le Bourgeois fin-de-siècle, tant honni de Gourmont et de Villiers, est l’héritier de ces petits-maîtres dont le Thémidore de Godard d’Aucour est le modèle. Le Décadent est celui du roué dont le Versac des Égarements du cœur et de l’esprit reste mutatis mutandis le prototype. On comprend mieux alors que l’érotisme décadent renvoie à une vaste entreprise de démolition des valeurs classiques, fondée sur l’excentricité et le scandale. En France, au tournant du siècle, la promulgation de lois émancipatrices favorise les entreprises libertaires, la Bohême parisienne, les clubs tapageurs réunissant de jeunes intellectuels nés aux environs de la publication des Fleurs du mal (1857). En ces temps où l’anarchie est en vogue, leurs conciliabules dans les cafés et les cabarets de la Rive gauche, leurs déclarations aigrelettes dans de minuscules revues éphémères, visent à épater le Bourgeois autant qu’à conspuer le système dans lequel celui-ci prospère. La déraison et la dérision, ces valeurs centrales de la Décadence, affectent aussi la représentation de la sexualité, l’érotisme rejoignant la vision pessimiste alors prépondérante et le rejet d’une civilisation matérialiste, positiviste, industrielle et mercantile. Parallèlement, la lassitude, les névroses, la neurasthénie gouvernent les représentations de la volupté, cette dernière étant systématiquement associée aux troubles, aux hallucinations, aux perversions, à la mysticité, à l’aliénation et au deuil. Pour le moins paradoxal, l’érotisme fin-de-siècle, qui témoigne de l’attirance qu’exercent le personnage de la jeune fille et son initiation au plaisir, est édifié sur la haine de la réalité, sur le culte du mensonge, du leurre et de l’artifice, sur l’exécration des femmes, sur l’aversion que suscite la nature chez les dandies, les esthètes et autres dilettantes. La sensualité décadente tend ainsi naturellement vers le pastiche, la parodie, voire le canular, la fumisterie, l’afféterie, l’ironie ludique, le mélange des tons et des couleurs. En matière de volupté aussi, le Décadent, « épouvanté par les froideurs suprêmes » (M. Rollinat, « À l’Insensible ») des regards féminins, est un être extravagant que caractérise son goût de l’anormalité. Évidemment « à la délicieuse corruption, aux détraquements exquis de l’âme […], une suave névrose de la langue devait correspondre » (Préface aux Déliquescences d’Adoré Floupette), et l’érotisme, hanté par les sombres théories de Cesare Lombroso et de Max Nordau, s’énonce alors en un style chatoyant, tissé de plaisanteries sinistres, d’élégances et d’obscénités, d’ennuyeuse lucidité et de démence enchanteresse.

mardi 7 octobre 2008

Triste fin de siècle ?


Lorsque la littérature érotique – qui, par l’amplification du sentiment amoureux, vise à exciter le désir – figure l’attirance des riches pour les nécessiteuses, c’est sur le mode de la stupéfaction. Pour reprendre une image chère à Baudelaire et à Zola, le Bourgeois reste interloqué qu’une si belle plante ait pu jamais pousser sur un tel fumier, qu’une si jolie fille ait pu voir le jour dans l’obscure idiotie de la nuit prolétarienne. C’est alors souvent, ab irato, sur le mode de la furie, que les ouvrières et les pauvresses excitent au stupre les nantis : elles sont de celles qu’on rosse avec plaisir, qu’on force parce qu’elles aiment la violence jusqu’au vice. Mais, plus souvent encore, c’est à la perversité ou au caprice que correspond le désir du patricien fortuné ou du rentier honnête pour les miséreuses. Soit, suivant une réactualisation paradoxale du mythe de Don Juan, ils s’exclameront, en amateur : « cette fille est trop vilaine, il me la faut ! », soit, sur le mode d’un érotisme délirant et gâté, ils jouiront de se rouler dans l’ordure. C’est justement, je l’ai suggéré, cette morbidité et cette propension aux fantaisies pathologiques qui fascinent la fin du XIXe siècle.
La période de la Décadence voit l’Occident acquérir peu à peu le visage que nous lui connaissons aujourd’hui. En 1878, le traité de Berlin a déçu les attentes russes et créé dans la péninsule balkanique une zone de tensions qui sert directement la politique allemande, les rapports entre l’Europe et la Turquie, cet emblème de l’Orient, étant déjà pour le moins houleux. D’un autre côté, la triple Alliance irrite fort la France et la Russie qui se trouvent ipso facto rapprochées. Aux États-Unis, les investissements accélèrent le progrès économique, permettant la réalisation d’infrastructures coûteuses. L’afflux d’immigrés – très vite encadré de quotas –, le succès de l’expansion vers l’Ouest, la résolution certes brutale, mais définitive, du problème indien par le massacre de Wounded Knee, tout semble célébrer la gloire de l’Union. Pourtant la crise de 1893 – liée à la déflation, au déclin rural et à une baisse désastreuse de la consommation – aggrave brutalement les antagonismes sociaux qu’expriment les mouvements populistes aussi bien que la grève de Pullman soutenue par la Railways Union. Au même moment, l’Europe, où prolifèrent déjà les activistes, connaît d’importantes vagues de grèves, aux limites de l’insurrection. Certes, tout cela contribue fortement à renforcer l’idée d’un étiolement de la civilisation, d’une dégénérescence de ces valeurs qui, jusqu’alors, assuraient à l’Occident succès économique et stabilité idéologique — conditions sine qua non de toute prospérité individuelle. Néanmoins, pour bien saisir, dans le domaine de l’érotisme, les conséquences de cette disposition, mêlée d’angoisse, à la décadence, il n’est pas inutile de revenir un bon siècle en arrière — ne serait-ce qu’au sens où l’affliction fin-de-siècle apparaît comme une rechute du mal du siècle romantique.

lundi 6 octobre 2008

Désirs et délices bourgeois



Le contrôle de la sexualité ne correspond pas uniquement à des impératifs religieux mais aussi à la nécessité de garantir les liens de filiation et ce, pour des raisons économique, juridique et psychologique. Comme dans les autres domaines de la vie sociale, l’anarchie en matière de sexualité (la contraception médicalisée n’aura finalement apporté que des solutions bien imparfaites aux vicissitudes du sentiment et du désir) aurait en effet des effets désastreux : bouleversement sociétal, indifférenciation relationnelle, chaos structurel. On le devine, il serait insensé d’analyser l’érotisme, l’amour, le désir ou le plaisir dans les Belles Lettres et les arts en négligeant l’approche culturaliste ; et l’histoire – fut-elle littéraire ! – de la sexualité découle de celle du flirt, du couple, de l’éducation sentimentale, du maquillage, des costumes ou de l’habitat. L’idée que ce l’on se fait des incommodités ou du confort, par exemple, modifie profondément les rapports aux choses du sexe. Comment imaginer avec les dispositions culturelles d’aujourd’hui la sexualité des paysans bretons du Moyen Âge dont le lit clos accueille nuitamment toute la maisonnée ? Qu’en est-il au XVIIIe siècle durant lequel la plupart des logements d’artisans et d’ouvriers est encore constituée d’une simple pièce ? À la campagne du moins, les occasions sont nombreuses de se rouler dans les foins pour y faire, à l’écart, d’exquises cabrioles tout en gardant un œil sur le bétail (l’univers pastoral est aussi celui des plaisirs champêtres, des fantaisies bucoliques, des paillardises rustiques. Pierre Berthelot le confessait déjà : « J’ayme, dedans un bois, à trouver d’aventure,/ Dessus une bergere un berger culletant,/ Qui l’attaque si bien, et l’escarmouche tant,/ Qu’ils meurent à la fin au combat de nature »). En ville, en revanche, la promiscuité est bien plus fâcheuse. Au Grand Siècle, même le séjour des grands seigneurs et des riches bourgeois est continuellement encombré de caméristes et de valets leur ôtant tout intimité. Ce constant voisinage d’une domesticité méprisée et devant laquelle rien – ni corps ni ébats amoureux – n’a à être caché donne lieu à d’horribles (et délicieux !) péchés que les romans s’empressent de reproduire et d’amplifier. Longtemps, la pudeur semble un sentiment superfétatoire, et ce n’est qu’au cours des Lumières – au moment même où l’autobiographie s’impose comme un genre majeur – qu’elle étend son règne, l’histoire de l’érotisme devenant celle de l’implicite, de tout ce qui est sciemment soustrait aux regards d’autrui, dans la mesure du possible.
Au XIXe siècle, la pudeur s’impose donc comme une valeur prégnante du système axiologique en matière de sexualité, bouleversant irrémédiablement les thématiques et les enjeux de l’érotisme. Toutefois, seul l’intérieur bourgeois offre alors les conditions effectives de l’intimité. Au sein de ce prolétariat qui écœurent quantité d’artistes, d’écrivains et d’intellectuels européens, « des familles de huit et dix personnes s’entassaient dans ces charniers, sans même avoir un lit souvent, les hommes, les femmes, les enfants en tas, se pourrissant les uns les autres, comme des fruits gâtés, livrés dès la petite enfance à l’instinctive luxure par la plus monstrueuse des promiscuités ». Partout, « des sortes de tanières sans nom, des rez-de-chaussée effondrés à demi, masures en ruine consolidées avec les matériaux les plus hétéroclites », « des bandes de mioches, hâves, chétifs, mangés de la scrofule et de la syphilis héréditaires, […] pauvres êtres poussés sur ce fumier ainsi que des champignons véreux, dans le hasard d’une étreinte, sans qu’on sût au juste quel pouvait être le père ». En somme, « l’abjection humaine dans l’absolu dénuement » ( É. Zola, L’Argent [1891], Paris, Gallimard, « La Pléiade », t. V, 1967, p.149-150). Plus âprement et plus longtemps encore que dans la réalité, dans l’imaginaire européen, les classes laborieuses, vivant dans l’insalubrité, resteront sexuellement désordonnées, à rebours du Bourgeois que caractérise la prophylaxie, l’hygiène (aujourd’hui étendue à la diététique) et une sexualité méticuleusement contrôlée. Mais, surtout, l’érotisme s’opposera à la hideur des prolétaires et des indigents, et, dans le système occidental des représentations comme pour Fraisier, préfet de la Seine en 1840, « les classes pauvres et vicieuses sont toujours, ont toujours été et seront toujours la pépinière la plus productive de toutes sortes de malfaiteurs ; […elles sont] des classes dangereuses ». Parallèlement, s’est imposée l’idée que l’argent est aussi un agent esthétique. Plus encore que la beauté, qui est naturelle, l’érotisme qui, à l’instar de la séduction, est affaire d’entregent et d’urbanité, semble le privilège des individus fortunés. Le Bourgeois le sait bien qui goûte les garçonnières confortables, les jolis corps soigneusement préparés pour l’amour, les désirs plaisamment parfumés.

vendredi 3 octobre 2008

L'érotisme bourgeois



Une des sociétés la plus répressive en matière de sexualité est probablement celle de la bourgeoisie capitaliste. En effet, guidée par la haine de l’aristocratie, elle a assis son autorité grâce à la Révolution et se plaît à dénoncer les turpitudes de l’Ancien Régime, auquel elle oppose une pureté nouvelle. L’emblème des indignités passées est, bien sûr, Marie-Antoinette qui, prise de « fureur utérine », est réputée s’être livrée à tous les débordements, goûtant prétendument jusque dans la prison du Temple aux bonheurs de la chair : « j’ai été bien foutue et refoutue dans le cours de ma vie. Mais, je n’ai jamais eu tant de plaisir que cette nuit. Je l’ai passée tout entière entre les bras de Lafayette. Que le bougre est vigoureux ! Hercule lui-même ne m’aurait point procuré de plus vives sensations ». Celle qui fut Reine se ravise pourtant bientôt et s’essaie à d’autres plaisirs, plus intenses encore, avec le sieur Dubois, valet de chambre du Roi — il fallait bien que le laquais, allié objectif du bourgeois révolutionnaire, soit plus vigoureux que le marquis de Lafayette, le héros de la bataille de Brandywine ! Au fil du XIXe siècle (qui, sur ce point du moins, prolonge le rationalisme du siècle précédent), de nouveaux facteurs idéologiques viennent renforcer la pudibonderie bourgeoise et relancer ce combat immémorial entre la sexualité et la censure dont Malraux fera, en 1932, le cœur de sa préface à Lady Chatterley’s Lover de Lawrence.
D’une part, le scientisme médical fait de la maîtrise de la sexualité un précieux adjuvant à la créativité et à la réussite : la perte séminale est conçue comme une déplorable dilapidation de capital, et le Bourgeois, tout comme le puritain, est un homme chaste et besogneux qui abhorre le gaspillage. Ainsi, comme le remarque Alain Corbin, les ouvrages médicaux de l’époque sont de véritables « manuels de gestion spermatique. À chaque page, se retrouve le fantasme de la déperdition. La thermodynamique enseigne que la chaleur se transforme en énergie ; de la même manière, le plaisir créateur entraîne la perte de la vitalité […]. De là, ces interminables débats consacrés aux effets bénéfiques – ou aux méfaits – de la continence masculine, de là ces foudres brandies contre la débauche anténuptiale, de là ces anathèmes répétés à l’encontre des “fraudes conjugales” […] : coït interrompu, masturbation réciproque, qualifiée d’“ignoble service”, caresses bucco-génitales, coït anal. Le docteur Bergeret et quelques autres dénoncent, en outre, avec la même virulence, la copulation avec l’épouse stérile et avec la femme ménopausée : deux figures ravageuses, aux amours inutiles, tumultueuses, excessives, dont aucune crainte ne vient endiguer les débordements. Menaces pour la morale, ces Messalines conjugales aiment à “se livrer à des coïts effrénés”, explique Bergeret, qui épuisent leurs partenaires ».
D’autre part, le renforcement de la société industrielle soutient la croyance dans les vertus de la capitalisation et de la rentabilité, et des raisons économiques influent en profondeur sur la vie sexuelle du Bourgeois. Toutefois, les coutumes qui s’imposent alors étaient en germe depuis bien longtemps, et la raison impose que l’on souscrive pleinement à l’idée que « l’histoire de la sexualité, si on veut la centrer sur les mécanismes de répression, suppose deux ruptures. L’une au cours du XVIIe siècle : naissance des grandes prohibitions, valorisation de la seule sexualité adulte et matrimoniale, esquive obligatoire du corps, mise au silence et pudeurs excessives du langage », « développement des procédures de direction de conscience et d’examen de conscience ». La seconde, au XIXe siècle, constituant moins au fond « rupture […] qu’inflexion de la courbe ». Ainsi, à travers la domination exercée en Occident par la bourgeoisie, le XIXe siècle consoliderait un ordre moral qui, préparé dès longtemps, fait de la famille honnête un idéal, ce qui s’accompagne fatalement de l’endiguement des outrances sexuelles, de la maîtrise sociale des plaisirs individuels, de la condamnation de toutes les formes de dépravations. L’Angleterre victorienne – qui échappe pourtant à l’influence de l’Église romaine – érige cette morale en un idéal qu’il convient d’étendre à toutes les classes de la société. En réalité, en variant les perspectives et en s’attachant tour à tour à la prostitution, à la pudeur, à la violence, à la tendresse et au plaisir, on pourra mettre en évidence tantôt un mouvement croissant d’érotisation de la société au cours des siècles, tantôt une répression accrue de la sexualité, du XVIe au seuil du XIXe siècle, tantôt, à l’instar d’Edward Shorter, une véritable révolution sexuelle qui interviendrait à la fin des Lumières avec la naissance de la famille moderne : « in the traditional society the individuality was suppressed by rigorous social codes. Then came modernization and market capitalism which unshackled emotions and created romantic love. A sudden onrush of sentiment brought on the sexual revolution ». Ce qui ne dispense pas, au demeurant, de souligner que « le XIXe siècle hérite du XVIIIe », « deux points essentiels : rationalisme et littérature érotique. »