mercredi 23 septembre 2009

RECEL en fête!

Un grand merci à tous les
RECELeuses
et
RECELeurs
qui nous suivent


Nous venons de dépasser le cap vertigineux des 10.000 visites!

Ce qui, dans le contexte actuel de pénurie lectrice (et malgré notre compteur quelque peu généreux) nous semble un bel exploit

Nous espérons continuer de plus belle

et recevoir, peut-être, un peu plus de feed-back,
voire de propositions d'articles

Antonio/Sebastien
Hubier/Dominguez

mardi 22 septembre 2009



L’histoire des formes ne peut s’en tenir à des analyses strictement formelles ; et on sait bien que les genres littéraires se définissent essentiellement par le rapport qu’ils entretiennent avec le conflit, plus ou moins brutal, du désir et de la réalité1. L’érotisme – qui, au fond, est moins une Weltanschauung qu’une topique – fut ainsi longtemps attaché à la fonction lyrique comprise comme une suprématie du désir. Correspondant alors à une quête, toujours relancée, de l’apaisement des besoins et de la satisfaction des pulsions, il tend, pour l’auteur comme pour son lecteur, vers la déréalisation, voire l’hallucination. Les marqueurs de subjectivité envahissent le texte où règnent modalisations, exclamations, répétitions. Tout passe alors par le regard du locuteur, instance toujours parfaitement distincte de l’auteur. Le plaisir de la lecture provient ici en droite ligne de l’impression de suivre ce regard désirant et de surprendre, comme par indélicatesse, les personnages dans leur intimité. Voilà qui recoupe – mais sur un autre plan – l’intuition de Barthes pour lequel « plus l’autre me tend les signes […] de son indifférence (de mon absence) plus je suis sûr de le surprendre, comme si pour tomber amoureux, il fallait accomplir la formalité ancestrale du rapt, à savoir la surprise (je surprends l’autre) »2. Cette dimension réapparaît naturellement dans le genre, un temps fécond, du dialogue d’éducation sexuelle. Mais, là, le principe de réalité peu à peu surgit ; et les personnages qui s’y répondent ne représentent pas seulement – sous forme métaphorique, voire allégorique – l’ingénuité et l’expérience. Ils figurent aussi, dans leur complémentarité et leur contraste, le discernement et le plaisir. Cette opposition est au cœur du roman picaresque, du roman-mémoires et du Bildungsroman qui ne sont somme toute que les trois facettes d’une même réalité générique3 et qui, paradoxalement, sont au faîte du modèle dramatique, c’est-à-dire du genre où s’affrontent directement et âprement désir et réalité – modèle dramatique qui tend progressivement, pour des raisons qui ont naguère été mises au jour par des critiques d’obédience marxiste comme Lukács, Bakhtine ou Goldmann, vers le genre critique, où seule domine l’exigence de réalité. A bien des égards, l’autofiction érotique – méthodique et égotiste – apparaît comme la combinaison de ces types concurrents. Elle rapporte un souvenir et crée rétrospectivement des hasards, redonnant ainsi un nouvel éclat aux transports passés.


1 J. Rohou, « Pour une histoire fonctionnelle de la pratique littéraire » in H. Béar et R. Fayolle (éd.), L’Histoire littéraire aujourd’hui, Paris, Armand Colin, 1990.
2 R. Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Paris, Seuil, 1977, p.228.
3 C. Guillén, « Toward a Definition of the Picaresque » in Literature as a System. Essays Towards the Theory of Literary History, Princeton, Pup, 1971.

dimanche 20 septembre 2009



Pourtant, étrangement, au contraire de l’autobiographie et du roman-mémoires classiques – où abondaient les marques de subjectivité du narrateur, s’émerveillant des hardiesses sexuelles auxquelles il cédait jadis, quand il n’était que personnage – le récit contemporain de l’intimité érotique, de qualité littéraire fort variable, est généralement marqué par un souci, revendiqué, d’objectivité. Celui-ci détermine aussi bien, par exemple, le style de Guillaume Dustan – qui, se réclamant à la fois de Renaud Camus, d’Hervé Guibert et de Duras, est fait de phrases courtes et récursives, du refus de la ponctuation, de l’alternance de constructions elliptiques et d’énumérations, de reproductions d’articles destinés à la presse, d’interviews, de lettres – que celui d’Annie Ernaux – lequel, volontairement en décalage avec l’autofiction et le récit postmodernes, déploie peu son récit, procédant par notations brèves où se multiplient les phrases nominales, les et cætera. Il en va de même de La Vie sexuelle de Catherine M. Certes, conformément aux confessions et autobiographies classiques, Catherine Millet, dès l’incipit de son récit, se livre à une longue anamnèse qui la conduit à faire remonter à l’enfance son actuelle intempérance et sa présente propension au stupre1. La dimension autobiographique – ou pseudo-autobiographique – de son récit est mise en avant par le titre même, qui se différencie nettement des écrits de Sade, d’Anaïs Nin ou de Pauline Réage où, malgré le déploiement de la matière personnelle, l’emportent les figures de fictionnalisation. L’ouvrage de Catherine Millet, a contrario, se veut parfaitement objectif, et – comme s’il s’inscrivait à la fois dans le sillage des théories éthologiques de Konrad Lorenz et Niko Tinbergen, et des analyses de Theodore Schneirla2 – étudie le comportement humain (en tant que comportement animal) dans son environnement naturel, en pointant à la fois le rôle de la stéréotypie dans la pulsion sexuelle et la modulation du comportement par l’expérience. Conformément à la logique inductive des genres autobiographiques, l’ouvrage est conjointement chargé d’une valeur subjective et d’une valeur scientifique, comme si, en dépit de toutes les tentatives, il était chimérique de détacher la quête de l’objectivité de l’expression personnelle. C’est peut-être bien cette superposition de registres antagoniques qui explique dans l’autofiction le passage de la résurrection de plaisirs anciens à l’invention de vies possibles. Catherine Millet insiste en ce sens sur le fait que le récit de vie, comme la partouze, offre à ses yeux « l’illusion de possibilités océaniques »3, affirmant même que « la parole, l’évocation même rapide, surtout rapide, d’épisode de [s]a vie sexuelle » ne vaut que parce qu’ « elle déploie à tout moment, dans toute son ampleur, le panorama des possibles »4.
C’est également cette alliance de deux genres « aussi accrédités l’un que l’autre dans notre culture, mais théoriquement exclusifs »5 qui, confortant le soupçon à l’égard de la narration traditionnelle, motive ensuite l’hésitation générique de ces aveux littéraires qui, amalgamant récits factuels et fictionnels, abondent depuis quelques décennies et gravitent invariablement autour de quelques thématiques récurrentes : la violence, la cruauté, la maladie, la prostitution, la mort, la frustration, la solitude ou la folie (confessions et journaux intimes de Christine Angot, Passion simple d’Annie Ernaux, Passion fixe de Philippe Sollers, Tricks de Renaud Camus, qui rassemble quarante-cinq récits autobiographiques de brèves rencontres sexuelles, ou ces autographies et egologies que sont Dans ma chambre, Je sors ce soir ou Plus fort que moi de Guillaume Dustan). C’est donc de manière attendue que Jacques Henric – persuadé que « la vie ne relève d’aucune norme mais obéit à de plus ou moins douces folies », « que ce qu’on veut vraiment appartient à l’impensable, et que ce qu’on pense vraiment dépasse souvent les bornes de la décence »6 – met en avant la difficulté qu’il éprouve à raconter « une vie sexuelle, une vie amoureuse ». Selon lui, qui estime ne plus pouvoir accorder le moindre crédit au « pouvoir de l’analyse et du récit », il serait parfaitement déraisonnable d’ « étaler dans une prose ce qui vous arrive de brusque, d’inattendu, d’unique, d’insaisissable, toutes ces taches intensément lumineuses qui naissent sur le fond sombre de la vie ! »7 De même que Catherine Millet – qui au demeurant sait combien « nous sommes soumis à des lois sociales, obligés par des rites familiaux »8 et, par là même, peu originaux – cherchait « le moyen de fixer par écrit cette joie extrême éprouvée lorsque les corps, attachés l’un à l’autre, ont la sensation de se déplier »9, Jacques Henric s’interroge sur le genre qu’il doit adopter pour rendre compte de son exploration des « voies du désir » : lui faut-il écrire « un roman de plus »10, ou « y aller d’une autofiction virant en vile hagiographie, d’un jeu se donnant une importance bouffonne »11 ? Rêvant d’être tout ensemble « l’apôtre, le poète, le chantre, l’aède, le directeur de conscience, l’exorciste, le nihiliste ricanant, le doctrinaire écumant, le prophète ratiocinant, le fin analyste du moi, de l’autre, de l’autre de l’autre, le philosophe, le sociologue, le sexologue, ou même le psy de service »12, il ne peut naturellement qu’adopter une forme mixte, la seule capable de rendre compte d’une complexité où se mêlent « travestissement, défiguration, dissolution de l’identité, volonté de perversion, tromperie, dissimulation, altération, mensonge, intention de faire illusion, soif de semblant, pitrerie, hypocrisie de cabotin »13. L’autofiction érotique dès lors n’est que l’alliance inconstante de genres fragiles : le roman, l’ekphrasis, l’autobiographie, les mémoires, l’altérobiographie14. La forme elle-même, au moins autant que la diégèse, suscitant le désir du lecteur.


1 C. Millet, La Vie sexuelle de Catherine M., Paris, Seuil, 2001, p.9 sqq.
2 Cf. K. Lorenz, Les Fondements de l’éthologie, Paris, Flammarion, 1984 ; N. Tinbergen, L’Etude de l’instinct, Paris, Payot, 1970 ; T. Schneirla, Selected Writings, L. Aronson, D. Lehrman, J. Rosenblatt & E. Tobach (éd.), San Francisco, W.H. Freeman & Co, 1972.
3 C. Millet, op.cit., p.65.
4 Ibid., p.66.
5 H. Godard, Poétique de Céline, Paris, Gallimard, 1985, p.371.
6 J. Henric, op.cit., p.272.
7 Ibid., p.331.
8 C. Millet, op. cit., p.106.
9 Ibid.
10 J. Henric, op.cit., p.24.
11 Ibid., p.24-25.
12 Ibid., p.25-26.
13 Ibid., p.26.
14 A. Dominguez Leiva, « Alterobiografías: exploración del Yo a través del Otro en la escritura reciente » in Viajes, n°3, Bruxelles & Madrid, avril 2005. Voir aussi S. Hubier, Littératures intimes. De l’autobiographie à l’autofiction, Paris, Armand Colin, 2003.