Le roman picaresque s’empare de la figure de la femme dessus, à la lisière de la transgression bouffone et de l’ars amandi prostibulaire.
Dans le chapitre 140 du Satyricon, Pétrone intègre la figure dans une topique érotique qui sera inlassablement reprise alliant narration picaresque, bisexualité, complication de la posture et vieillesse lubrique jouissant de l’innocente jeunesse :
« Eumolpe, qui était si confit en vertu qu'il m'eût facilement traité comme on traite les jeunes garçons, ne voulut pas perdre un moment pour inviter cette fille à une partie de fesses conforme aux rites. Mais il avait dit à tout le monde qu'il souffrait de la goutte aux pieds et d'une paralysie des lombes et, s'il ne soutenait pas ce rôle jusqu'au bout, il risquait fort de mettre en bas toute notre tragédie. Donc, pour rester fidèle à son mensonge, il pria la fille, par accommodante bonté, de vouloir bien se mettre dessus et commanda à Corax de se glisser sous le lit, où lui-même était couché, puis, les deux mains appuyées sur le pavé, de le mettre en mouvement avec ses reins. Le valet, exécutant le lent mouvement prescrit, répondait à la gesticulation de la fillette par des secousses égales. Mais quand l'affaire fut sur le point d'aboutir, Eumolpe cria à Corax qu'il le priait d'accélérer la cadence. Pris entre son valet et son amoureuse, le vieillard semblait jouer à la balançoire. Ainsi par deux fois opéra Eumolpe, au milieu de grands éclats de rire, sans compter les siens »
De même, dans les Métamorphoses d’Apulée nous retrouvons cette topique naissante (II, 17) dans une scène également très graphique qui évoque le nouveau naturalisme des fresques pompéiennes :
« En un clin d'oeil elle a fait disparaître le couvert. Puis elle met à nu tous ses charmes; et, laissant ondoyer ses cheveux dans le plus voluptueux désordre, la voilà qui s'avance, image vivante de Vénus glissant sur les flots. (2) De sa main rosée, la coquette faisait mine de voiler un réduit charmant qu'aucun ombrage naturel ne dérobait à ma vue. (3) Ferme! dit-elle, tiens bon, vaillant guerrier! Tu as un adversaire qui ne cède, ni ne tourne le dos. Face à face, si tu es homme; et, coup pour coup, frappe et meurs. Aujourd'hui point de quartier. (4) Elle dit, et, montant sur la couchette, s'arrange de façon que nous nous trouvons elle dessus et moi dessous. Déployant alors l'élastique fermeté de ses reins par des secousses répétées, et toujours plus vives et plus érotiques, elle me fit savourer à longs traits tout ce que les faveurs de Vénus incube ont de plus enivrantes voluptés, tant qu'enfin une molle langueur circule dans nos membres et s'empare de nos sens; en nous toute force expire, et nous nous laissons aller haletants dans les bras l'un de l'autre. (5) Les premiers rayons du jour vinrent nous surprendre dans nos amoureux ébats, sans que nous eussions fermé la paupière; nous recourions aux libations de temps à autre. Alors nos forces renaissaient, le désir se ranimait, la lutte recommençait. Ce fut une nuit d'ivresse; nous eûmes grand soin qu'elle eût plus d'une répétition ».
Le jeu picaresque des références mythologiques appliquées à un sujet « bas » (les ébats de la servante Photis), la parodie du langage guerrier, l’alternance de formules précieuses et termes anatomiques précis sont autant d’éléments de l’élégie romaine qui se trouvent ici « dégradés ». Ils le seront bien davantage, évidemment, dans la suite du récit, lors des ébats « bestiaux » qui suivent la transformation du narrateur en âne (X, 22).
Anticipant ainsi sur le roman « moderne » de la Renaissance (avant tout revival de ces deux modèles ici présentés), nous trouvons, autour de notre femme dessus, un réseau de re-modélisations génériques et formelles qui pourrait bien, au-delà des théories lukacsienne et bakhtinienne, constituer le véritable enjeu de la forme romanesque.
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