vendredi 2 mai 2008

Renaissances coïtales


La représentation explicite de la femme dessus revient dans l’art occidental suite à la redécouverte de l’érotisme plastique antique.

S’inspirant des fresques et des statuettes pornographiques ainsi que des sources écrites (notamment l’incontournable Art d’aimer d’Ovide, déjà évoqué ici) et sous couvert de la Renaissance du Nu antique, le coït et ses multiples variations étaient de nouveau représentables, bien que dans un régime du secret.

L’histoire agitée des célèbre Modi illustre tout particulièrement les complexités de ce nouvel érotisme.

Reprenant l’art acrobatique des fresques romaines, destinées à égayer les boudoirs et les bordels, le projet d’une illustration des 16 postures (chiffre humble comparée aux grandes traditions sexuelles orientales) de l’amour s’inscrivait a priori de plein pied dans la redécouverte triomphale de l’ars amandi antique, faisant oeuvre de « Haute Renaissance » (nous sommes en 1524, trois ans avant le sac de Rome, date charnière privilégiée par les historiens).

Mandaté par Frédéric II lui-même, Giulio Romano n’était-il pas en train d’étaler une série majestueuse dévolue aux Amours des Dieux dans le nouveau Palazzo del Te à Mantoue ?

C’est ainsi que le graveur professionnel (un des premiers à se consacrer avant tout à ce média pionnier) Marcantonio Raimondi entame ses Modi ou Moyens (de réaliser le coït, sous-entendu), inspirés sur le plan formel du tournant qu’on appellera « maniériste » de Romano et destinés à un nouveau marché, beaucoup plus étendu que le mécénat princier.

Une véritable « révolution culturelle » s’était accomplie avec la généralisation de la gravure, provoquant toute une série « d’effets collatéraux » dont l’émergence d’une pornographie « moderne ». De par son format même la gravure cochonne permettait un « usage » soit public (de là son danger « virale ») soit privé, solitaire ou partagé, devenant un complément indispensable du nouvel ars amandi « civilisateur ». Sa reproductibilité permettait une diffusion jusque là inégalée des modèles érotiques (on a pu parler, pour certains stylèmes, d’une préfiguration du système des « pin-ups ») et son coût relativement bas permettait un élargissement exponentiel du marché, atteignant des couches plus variées de consommateurs.

Dès la naissance de ce nouveau média, l’érotisme y avait ainsi occupé une place de choix (on serait tenté de généraliser ceci à une loi de l’émergence des médias, dont témoigne tout particulièrement l’Internet… puisque, c’est bien connu, « Internet is for porn » comme chantent les petits cochons d’Avenue Q).

Les motifs antiques des Amours des Dieux avaient prêté, comme dans le restant des Beaux-Arts, une certaine légitimité aux Nus et aux scénarii fantasmatiques comme le prouvent, par exemple, les travaux de Giovanni Battista Palumba.

Et maintenant Raimondi allait pousser cette logique jusqu’au bout…

Mais il touchait là, en fait, à une des limites de la Haute Renaissance italienne.

Averti du contenu explicite des gravures, le Pape Clément VII, neveu de Laurent le Magnifique, fit détruire la série (à jamais perdue) et emprisonner l’auteur.

Contrairement à la consommation aristocratique des Palais, les gravures pouvaient être consommées dans la sphère publique, comme venait de le démontrer le succès médiatique de la Réforme. Peut-être aussi que, dans le nouveau contexte, le néo-paganisme des humanistes, si intimement associé au mentor et oncle de Clément VII, commençait à péricliter dans la conscience des clercs, s’armant lentement pour le retour à l’ordre moral de la Contre-Réforme.

Mais l’Arétin, protégé (ironiquement) du Pape Medici (qui le fit chevalier de Rhodes en paiement pour les services rendus), avait déjà vu les images de Raimondi et s’était mis à composer, selon Mazuchelli (contesté par S. Alexandrian), les célebres Sonnetti Lussuriosi pour les illustrer.

Une deuxième série fut ainsi publiée trois ans après, qui peut-être alliait le texte et l’image dans ce média mixte du livre illustré.

La série fut à nouveau détruite, bien qu’il en subsiste quelques fragments (British Museum, etc).

On pense, néanmoins, qu’un exemplaire dû survivre, qui inspira la série de Carracci, d’après les comparaisons qui ont pu être faites. Les sonnets d’Arétin, de leur côté, continuèrent leur chemin.

C’est pour les accompagner qu’une nouvelle série fut produite, en dépit (ou grâce) au triomphe de la Contre-Réforme, cette fois-ci illustrée par Agostino Carracci, aux orées du « tournant Baroque ».

L’édition la plus connue reste celle, révolutionnaire, de 1798, L`Arétin d`Augustin Carrache ou Recueil de Postures Erotiques, d`après les Gravures a l`eau-forte par cet Artiste célèbre, Jacques Joseph Coiny, accompagné de textes de Simon-Célestin Croze-Magnan (1750-1818), littérateur, peintre et musicien.

C'est cette édition que nous suivrons ici: le style de Carracci y est adouci selon le goût des gravures libertines du XVIIIe, ce qui fait de l’œuvre un singulier hybride où la superposition des auteurs (de Raimondi à Carracci à Coiny) contraste avec la permanence, intemporelle, des postures.

Ces jeux de survivances renvoient en fait à la constitution même de l’érotomanie occidentale, où le collectionnisme, la citation érudite et le pastiche jouent un rôle majeur.

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