Or, précisément, ce schéma initiatique – qu’on retrouvera par exemple au cœur de contes homosexuels d’Annaïs Nin (« The Boarding School »1) – organise nombre de fictions érotiques du pensionnat, souvent marquées par le passage de l’adolescence à l’âge adulte, lequel s’effectue grâce à de multiples épreuves, sentimentales et sexuelles, conduisant les héroïnes à se mieux connaître et à distinguer plus clairement les rôles qu’elles doivent assumer. Plus précisément, dans sa dimension érotique, le récit de pensionnat, conjoint la structure initiatique telle que les ethnologues l’ont définie (renoncement à la vie infantile, rupture d’avec le monde profane, marginalisation et accession à une nouvelle manière d’être, agrégation solennelle dans la communauté, en l’occurrence vécue comme une chute2 — c’est tout cela que représente le pensionnat) et l’apprentissage d’une herméneutique un peu particulière (décryptage, expression et explication des signes de la concupiscence par les leçons d’élèves plus âgés ou de « professeurs de désir »). De ce point de vue, le roman de pensionnat serait, comme par essence, un Bildungsroman. Ce sont tous ces fils thématiques qui s’entrecroisent aussi bien dans la culture savante que dans la culture de masse, dans la littérature que hors d’elle.
Je remarquerai d’abord que Histoire d’O (1954) joue un rôle essentiel dans l’histoire des représentations érotiques. En effet, le château de Roissy qui lui sert de cadre unit plusieurs modèles : le pensionnat fin-de-siècle, le château sadien (je pense, naturellement, au château de Silling, cette utopie des Cent vingt journées de Sodome ou L’école du Libertinage [1785-1935]) et, surtout, le couvent, qui, depuis, le XVIIIe siècle n’est plus représenté comme le refuge de la vertu et de la retraite spirituelle mais comme le lieu privilégié de l’initiation libertine et de pratiques sexuelles déréglées. Dans sa célèbre lettre autobiographique au vicomte de Valmont, la marquise de Merteuil n’en fait-elle pas le lieu même de l’apprentissage amoureux3 ? Plusieurs romans récents reposent, curieusement, sur les mêmes principes thématiques et structuraux. Ainsi en va-t-il de Souvenirs de pensionnat (2005) de Cathy Grimaldi (qui, au reste, est l’auteur de deux fictions thématiquement très proches : La Maison des punitions [2001] et La Collégienne anglaise [2004]) qui met littéralement en scène une pension chic pour jeunes filles dépravées sur lesquelles règnent en maîtres, un couple d’anglais, particulièrement intraitables et extrêmement débauchés. De même, Le Pensionnat (2006) de Jérôme Kob représente Camille, jolie demoiselle de quinze ans qui, attirée par les jeux sensuels, ne sait résister à aucune tentation, à aucun plaisir. C’est pour la punir et corriger ses vices que ses parents l’exilent dans un pensionnat de jeunes filles. Cependant, ce dernier la renforce bientôt dans ses dérèglements et, par un jeu de quiproquos enchaînés à des malentendus, loin d’y amender sa jeune vie, elle y parachève son éducation sensuelle avec ses jeunes compagnes. Cette nouvelle débauche provoque le scandale et conduit à son renvoi. Là encore, ce roman reprend bien la logique de la Bildung, enchaînant les amours adolescentes, l’initiation sexuelle, l’apprentissage de la jalousie, du désir, de la fascination pour le sexe, de la souffrance et du plaisir, des ruptures et des douleurs. À cette différence près, majeure, que la formation sexuelle ne conduit à aucune intégration, mais a contrario au bannissement du pensionnat.
Au surplus, c’est, curieusement, dans la paralittérature – notamment dans la bande dessinée – que la représentation duelle du pensionnat comme lieu de débauche et d’initiation sexuelle s’est, depuis quelques années, déplacé. Ainsi, Bruno Coq relate comment la belle et prude Flora fait, au pensionnat Sainte-Anne4, l’apprentissage de ce qui lui sera prétendument utile dans la vie : fellations, sodomies, orgies. Parallèlement, dans La Mauvaise Élève (2005), Ardem raconte comment Mathilde – une lycéenne nonchalante effrayée par les garçons – apprend les rudiments de la sexualité grâce aux cours très particuliers que lui dispense son professeur principal (et aussi, du reste, le portier de l’internat). Enfin, la célèbre trilogie Twenty d’Erich von Götha réactualise – ou, plus exactement resémantise – le motif du pensionnat voluptueux. En effet, cette lolita qu’est Twenty fait son apprentissage à l’école Clifford, institution chargée d’éduquer librement les jeunes filles. C’est là qu’elle rencontre Gilbert, producteur et réalisateur de films pornographiques, qui bientôt fait d’elle une star du X, ce qui assure sa fortune. Elle peut ainsi reprendre la direction du pensionnat où elle a, elle-même, étudié. C’est là qu’un célèbre auteur de bande dessinée, Erich von Götha, la rencontre. Il souhaiterait, en effet, qu’elle interprète dans un film son héroïne des Malheurs de Janice, une bande dessinée qu’il a réalisée quelques années auparavant. Un jeu complexe de références intertextuelles se met alors en branle qui renvoie Twenty à d’autres œuvres de Götha, elles-mêmes entremêlées : Les Malheurs de Janice mais aussi Prison très spéciale, volumes explicitement sado-masochistes5.
1Anaïs Nin, « le Pensionnat » in Vénus Erotica [Delta of Venus, Erotica, 1940-1978], Paris, le Livre de Poche, 1991, p.47 sqq.
2 Cf. C. Reichler, L’Âge libertin, Paris, Minuit, 1987, p.46-48. Voir aussi le livre, passionnant, de Catherine Bell, Ritual Theory, Ritual Practice, Oxford, Oup, 1992.
3« Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l’amour et ses plaisirs : mais n’ayant jamais été au couvent, n’ayant point de bonne amie, et surveillée par une mère vigilante, je n’avais que des idées vagues et que je ne pouvais fixer ; la nature même, dont assurément je n’ai eu qu’à me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit qu’elle travaillait en silence à perfectionner son ouvrage. Ma tête seule fermentait ; je n’avais pas l’idée de jouir, je voulais savoir ; le désir de m’instruire m’en suggéra les moyens ». Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses ou lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres, 1782/ 1796, Paris, Bibliothèque des curieux, 1913, p.163.
4Bruno Coq, La Vie de Flora, Ipm, 2003.
5Voir Tim Pilcher, La B.D. Érotique. Histoire en images. 2 vol., t.I, Des Origines à l’underground, t.II, Des Années 1970 à nos jours, Paris, éd. Tabou, 2008-2009.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire