mardi 10 mars 2009

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 7



Le surréaliste H. Bellmer, agenceur des déroutantes Poupées désarticulées, exprime ce sentiment dans un texte au ton nettement nietzschéen: «La durée d'une étincelle, l'individuel et le non-individuel sont devenus interchangeables et la terreur de la limitation du moi dans le temps et dans l'espace paraît être annulée. Le néant a cessé d'être: quand tout ce que l'homme n'est pas s'ajoute à l'homme, c'est alors qu'il semble être lui-même. Il semble exister (...) indépendamment de soi-même (...) C'est à ces instants de «solution» que la peur sans terreur peut se transformer en ce sentiment d'exister élevé en puissance: paraître participer -même au-delà de la naissance et de la mort- à l'arbre, au toi et à la destinée des hasards nécessaires»(in Brun, 1960: 54).

C'est dans les Poupées articulées et dans des lettres d'amour sadico-tératologiques que cette théorie trouve sa véritable dimension dionysiaque et tragique, fusion nietzschéenne de l'équation «Dionysos: sensualité et cruauté»(VP, IV, § 540). «Ma jolie, ta passion de te décomposer scrupuleusement devant moi, hier soir, ne pouvait pas être plus victorieuse (...) Veux-tu que nous essayions cette fois-ci de relever ta peau à partir de la croupe le long du dos jusqu'à voiler ta figure, le sourire excepté (...) nous mettrons au point cette forme dont tu aimes l'allure, l'aile gauche de l'os iliaque de ton bassin (...) se penchera légèrement vers ton oreille et tu seras belle»(in Brun, 1976: 141).

On retrouve là, comme dans les innombrables Massacres et orgies dessinées par A. Masson, une des dimensions psychopathologiques de ce processus d'«anéantissement de l'apparence, même la plus belle», par lequel «le bonheur dionysiaque atteint à son comble» (VP; IV, § 547). Dans le regard et l'écriture surréaliste la désintégration inter-anatomique a pour objet privilégié la figure féminine, à l'intérieur d'un réseau pervers profondément misogyne, selon les célèbres analyses de X. Gauthier (1971).

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