dimanche 22 mars 2009
L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 8
Il faudrait par ailleurs tempérer l'analyse de J. Brun pour différencier au sein du surréalisme entre la tendance bretonienne, marquée par un refus virulent de Nietzsche ainsi que des valeurs dionysiennes (la musique, la danse, l'orgie et l'intoxication) tels qu'on le trouve dans différentes déclarations du Pape tout au long de sa vie, et un autre surréalisme qu'on peut appeler nietzschéen et qui se concrétise autour du groupe hétérodoxe de la rue Blomet, notamment à travers la figure agglutinante de A. Masson, dont l'œuvre est entièrement dominée par le concept du dionysiaque. Tout dans les comportements (usage des stupéfiants, culte du jazz, expériences sexuelles aventuristes mais hantées par l'obsession des rapports entre érotisme et cruauté...) et les œuvres de ce groupe est le produit d'une virulence dionysiaque que celui de la rue Fontaine -qualifié par Bataille comme d'«emmerdeurs idéalistes»- a souvent masqué sous des formules esthétisantes et sublimatoires.
Dans Le Peintre et ses fantasmes Masson définit l'automatisme comme «un état voisin de celui de la transe» par opposition au Pape Breton pour qui il s'agit simplement d'un «détachement de soi». C'est très précisément dans l'art de A. Masson que l'on trouve la formulation la plus explicite du dionysisme surréaliste. Dès ses dessins pornographiques de ses 25 ans, en 1921, on sent la fusion obsessionnelle du sexe et de la violence animée par «l'esprit dionysiaque des rythmes sauvages»(VVV, 1989: 211). La découverte du dessin automatique s'inscrit dans ce dionysisme, modifiant les tendances préalables du surréalisme biomorphique en peinture. C'est dans l'importante série des Massacres orgiaques (1931), contemporains des réunions avec G. Bataille, A. Artaud, G. Limbour et M. Leiris, que le dionysisme cruel atteint sa concrétion plastique la plus durable: «les forces souterraines remontent à travers cette danse sadique et, touchées par la lumière, s'éclaircissent en révélant l'imagination déchirée ou déchirante de la force vitale »(Noël, 1993: 62).
Parallèlement, ses peintures sont de plus en plus dominées par l'univers en désagrégation analysé par J. Brun, fait des tourbillons de lignes, des entrelacs de formes, germinations, métamorphoses et éclosions: «la ligne, sinueuse, enveloppe les corps et en même temps les anime, les agite, les transforme, les ouvre les broie. Qu'ils soient unis par un transport érotique ou opposés dans un combat furieux, les corps se dilatent en pénétrant le fond du tableau»(VVV, 1989: 98). Dans sa série des Métamorphoses entamée à l'ombre de la guerre d'Espagne, Masson est pris d’une fureur cosmique largement inspirée du dionysisme nietzschéen; il «entraîne les choses du monde dans un tourbillon irrésistible, en brouille les confins (...) dans l'érotisme exaspéré qui accompagne la fixité de l'instant où l'être prend conscience, de celui où il la perd»(id, 116).Dans ces peintures autodéfinies comme de l'«expressionnisme paroxystique», toute forme «devient», «elle est toujours intermédiaire entre un règne et un autre, tous simultanément présents» dans une «représentation convulsive de notre univers»(id, ibid.). « Tout doit revenir au feu originel», écrit Masson dans son poème Du haut de Montserrat, fruit d'une nuit d'extase en 1935, «Tempête de flammes/ Ainsi parlait Héraclite/ (...) Et toi, Zarathoustra, oeil de lumière/ Au centre du monde terrible et joyeux»(in VVV; 1989: 281).
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