mardi 24 juin 2008

Joys of Sex II

Néanmoins, contre les contempteurs (mais aussi les hérauts –de plus en plus rares) du frénétisme libidinal, on pourrait voir dans ces images l’illustration de la « relative tranquillité des mœurs sexuelles hypermodernes », nourrie « de l’idéal séculaire du sentiment et du bonheur que l’on assimile au « bonneur à deux » [1].

Mode d’emploi pour couple « cocooné » plus qu’aliénation performative, notre image renverrait alors à l’attention et le soin de soi qui, dans une « affectivation grandissante des rapports entre les êtres », se substituent à l’éclatement militant (quelque peu mythique) de la « libération sexuelle ».

Les positions sexuelles, au-delà de la substitution d’une discipline répressive des corps par une discipline jouissive, s’inscriraient alors dans le « sacre des petits bonheurs » de l’hyperindividu hypermoderne, au même titre que d’autres variations ludiques dans la vie quotidienne.

« De fait, l’imaginaire d’excellence technicienne et l’imaginaire relationnel progressent de concert : ce n’est pas une sexualité monadique qui triomphe mais un modèle fondé sur la dimension intersubjective, intégrant l’altérité désirante de l’autre (…) avec un idéal d’échanges des plaisirs, d’écoute du désir de l’autre, d’attention à ses rythmes et à ses préférences »[2]

Qui, sans être un tantinet hypocrite, pourrait vraiment s’en offusquer ?

Selon cette perspective, après avoir critiqué l’opulence capitaliste dont ils bénéficiaient largement, les tristes « intellocrates » (si fourbes[3]) s’attaqueraient maintenant aux plaisirs mêmes vers lesquels les poussent leur position doctorale et leur énorme narcissisme (car qui, sinon, se réclamerait intellectuel ?).

Les (petits) jouisseurs contempteurs de la jouissance des autres (empêcheurs de « jouir-en-rond »), ce serait le retour en force de Mr. Homais et de l’« expérience bourgeoise »[4].

L’inversion du sentimentalisme romantique par le culte « high » de Bataille serait ainsi devenue une « idéologie » de distinction de classe, opposée aux sexualités, bien plus satisfaisantes, de la culture « pop ».

Et la topique catastrophiste qui voudrait « liquider » la révolution sexuelle (peut-être la seule qui « changea la vie »[5]) ne serait autre chose que le substitut d’une millénaire rhétorique -finement analysée par J. Delumeau, peu convoqué néanmoins dans ces querelles- de condamnation religieuse des plaisirs éphémères de la chair?

Le débat (défaillant, pour ne pas dire autre chose) sur le sens de notre sexualité ("éréthisme discursif généralisé" symptomatique de la modernité occidentale selon l’analyse consacrée de M. Foucault) reste ouvert, comme le montra notre numéro historique de la Revue d’Etudes Culturelles consacré à « Erotisme et Ordre Moral ».

A vous de juger.



[1] G. Lipovetsky, op cit, p. 224.

[2] Id, p. 271-272

[3] Selon la théorie bien connue de P. M. Johnson, The Intellectuals, Harper, 1990

[4] « Il n’est peut-être pas inutile, rappelle Lipovetsky, de rappeler que la disjonction du sexe et du sentiment était autrement plus marquée quand les belles rhétoriques romantiques faisaient bon ménage avec la fréquentation assidue des bordels » (Op cit, p. 269).

[5] G. Duby, préface à Amour et Sexualité en Occident, Paris, Seuil, L’Histoire, 1991

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