Un des textes les plus décisifs et les moins étudiés de la « révolution sexuelle » fut le Joy of Sex de Alex Comfort (1972). Après avoir critiqué des siècles de manuels sexuels terrorisants dans The Anxiety Makers ce respectable sexologue, connu désormais comme Doctor of Fun, lança la bombe du self-help-sex qui se vendit à plus de dix millions d’exemplaires.
Illustré par les très seventies Charles Raymond et Christopher Foss (inspiré par un couple anonyme qui restera à jamais les « unsung heroes » de cette révolution), le livre reprenait la tradition des catalogues libertins par un aggiornamento de l’ars sexualis, adapté au « Paradis Sursexé, Dopé et Hédoniste des Boom-Boom Seventies » (Tom Wolfe)[1].
Depuis, un véritable sous-genre s’est développé à partir de cette niche, constituant une part assez alléchante du marché éditorial et se diffusant, à travers les magazines féminins puis masculins, dans l’ensemble de notre « noosphère »[2].
Les deux figures de cette image anonyme illustrent bien cette vogue, ainsi que la logique contemporaine de la banalisation sexuelle, apothéose du fun postmoderne pour les uns, « tyrannie du plaisir » dénoncée par les autres.
Ces couples assez enfantins seraient, pour tout un courant « néo-décadentiste », l’emblème de notre « liberté imposée », celle de « l’orgasme obligatoire »[3]. Depuis l’annus mirabilis ( !) de The Joy of Sex des textes fourmillent (constituant un nouveau sous-genre, à leur tour) qui « assimilent la libération sexuelle au « chantage à l’érection permanente », au « stakhanovisme de l’hédonisme », à la « tyrannie du génital », à la dictature du coït »[4].
Notre image, reprise assagie et banalisée de l'ancien fantasme subversif de la femme dessus, illustrerait alors ce sexe devenu « corvée », empreint du productivisme de la jouissance industrialisée, hypertechnique et opérationnelle [5], « savoir-faire technicien » qui nous éloigne des jeux délicats et poétiques de l'amour dans une véritable « désérotisation du monde ». Derniers en date « des beaux arts ménagers, à côté de la cuisine et du jardinage », ces « manuels de civilité du couple moderne » érigent la « bienbaisance » en principe absolu[6].
Ces deux "partenaires", s’instrumentaliseraient l’un l’autre afin de parvenir à l’autosatisfaction, le plaisir étant devenu pure performance, voire défi sportif dans un « projet de santé parfaite » devenu idéologie[7] qui génère des nouvelles angoisses, se substituant aux vieilles peurs métaphysiques puis médico-légales …
[1] C’est à juste titre que The Joy of Sex est l’expression choisie pour illustrer les années 70 dans le Century of Sex de James R. Petersen, commandité par Hugh Heffner, un des principaux « héros » de cette « révolution du siècle ».
[2] La question posée en 1970 par une femme anonyme, convertie au sexe oral, à Playboy sur le « contenu calorifique de l’éjaculation », peut à juste titre figurer comme le tournant historique de cette vogue. Il fallut attendre 1972, précisément, pour que Playboy ose la publier… (Pour celles et ceux que la réponse intrigue, cela varie entre une et trois calories…).
[3] H. Schlesky, Sociologie de la sexualité, Paris, Gallimard, 1966, p. 212.
[4] Lipovetsky, Le Bonheur Paradoxal, Essai sur la société d’hyperconsommation, Paris, Gallimard, 2006, p. 266
[5] Guillebaud, La Tyrannie du plaisir, Paris, Seuil, 1998, p. 107-131
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