samedi 20 décembre 2008

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes




Le terme d'«avant-garde»est d'abord une notion française née de la Révolution qui implique un mouvement, vers le progrès, en groupe; terme d'origine militaire sur lequel Baudelaire déjà ironise, préfigurant Nietzsche, dès 1864 : «Les littérateurs d'avant-garde. Ces habitudes de métaphores militaires dénotent des esprits, non pas militants, mais faits pour la discipline, c'est-à-dire pour la conformité, des esprits nés domestiques, des esprits belges, qui ne peuvent penser qu'en société» (in Meschonnic, 1988: 87).

Au niveau des mouvements organisés, l'origine est amplement discutée dans des querelles érudites: la logique de l'avant-garde (manifestes, contre salons, scandales et polémiques, réinvention de la tradition, etc...) est déjà acquise à l'époque symboliste. Plus précisément, pour L. Ferry «il semble que, dans le contexte français, ce soit le groupe des «Incohérents»(1882-1889) qui constitue la première avant-garde esthétique digne de ce nom» (Ferry, 1990: 275).

Le manifeste du Symbolisme publié par J. Moréas dans le Figaro du 18 septembre 1886 reste exemplaire, condensant les stratégies du processus de légitimation avant-gardiste. «Comme tous les arts, la littérature évolue: évolution cyclique avec des retours strictement déterminés (...) Il serait superflu de faire observer que chaque nouvelle phase évolutive de l'art correspond exactement à la décrépitude sénile, à l'inéluctable fin de l'école immédiatement antérieure (...) d'imitation en imitation ce qui fut le neuf et le spontané devient le poncif et le lieu-commun (...). Une nouvelle manifestation d'art était donc attendue, nécessaire (...). Nous avons déjà proposé la dénomination de Symbolisme comme la seule capable de désigner raisonnablement le tendance actuelle de l'esprit créateur en art (...) pour suivre l'exacte filiation de la nouvelle école il faudrait remonter jusques à Shakespeare, jusques aux mystiques, plus loin encore (...). Ainsi dédaigneux de la méthode puérile du naturalisme, le roman symbolique/impressionniste édifiera son oeuvre de déformation subjective» (Delevoy, 1982: 71).

Peu après le néologisme de l'«avant-garde» surgit un autre, adjectivation du nom d'un dieu grec insaisissable et méconnu. Le terme de «dionysiaque», né sous la plume de F. Nietzsche, marque une opération par laquelle le mythe de Dionysos est réinterrogé à l'intérieur du champ philologique puis philosophique, donnant lieu à une essentialisation qui, en tant que construction culturelle novatrice, deviendra une notion clé dans le répertoire de la modernité, problématisant l'articulation des rapports ambigus entre celle-ci et l'avant-garde. Le concept nietzschéen, à la fois central pour toute une modernité réticente à l'«avant-gardisme» et pour ce phénomène lui-même, permet d'interroger sous un angle novateur les rapports entre ces deux pôles.

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