jeudi 19 février 2009
Sexe, Opium et Charleston
Vient de paraître, aux Editions du Murmure, la nouvelle édition de
Antonio Domínguez Leiva,
Sexe, opium et charleston. Les vies surréalistes
Le premier volume de cette saga suit les aventures de ceux qui allaient devenir les Surréalistes jusqu'à 1920.
"amours, rêves, révoltes, sexes, drogues, suicides, alcools, rencontres, sommeils, bagarres, bordels, hasards, bars, mythes, guerres, manifestes, articles, poèmes, communisme, romans, amour, poésie, meetings, trahisons, pertes, déceptions, amitiés, photos, overdoses, bad movies, anarchisme, objets, tableaux, asiles, jazz, voyages, fuites, coincidences, anti-romans, folies, paranoïas, fétichismes, putes, muses, poupes, rues, villes...
pourquoi Breton ne prenait que des boissons à la couleur verte?
pourquoi Aragon gardait plus de dix mille cravates?
pourquoi Brauner perdit-il son oeil droit?
pourquoi Desnos essaya-t-il de poignarder Eluard?
pourquoi....
Sexe, opium et charleston... ainsi pourrait commencer l'histoire de ce mouvement qui précéda la bohème existentialiste et la dérive "beat", la révolution sexuelle "hippie", l'explosion punk et le vide intérieur de la génération X. Contemporain de l'autre génération perdue, celle des Américains expatriés, avec qui l'unissent des liens profonds, le mouvement surréaliste est avant tout une aventure dans la vie de quelques dizaines de jeunes révoltés et noctambules..."
Plus d'infos sur
http://editions-du-murmure.over-blog.com/
L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 6
C'est plus concrètement dans le futurisme russe que la dimension dionysiaque de la désagrégation du langage est la plus claire. Dans Explosion (1914), Kroutchenykh se réfère pour la première fois aux manifestations glossolaliques des sectes religieuses russes comme l'origine de son propre langage zaoum: il cite un passage de mots sans sens d'un membre des flagellants qui reconnaît qu'il parle, sans savoir de quoi ni même dans quelle langue, et y voit la preuve que l'homme libre de contraintes recourt en des moments cruciaux et extatiques à un langage «transrationnel», qu'il s'agira de retrouver ou réinventer.
La même année le formaliste russe Chklovski fera paraître le premier essai théorique sur le langage transmental «zaoum», Résurrection du mot.
Quant au surréalisme, il serait dionysiaque «dans la mesure où il y a un effort, de la part de l'individu qui parle, pour sortir de son individualité»(Brun, 1960: 66); les peintres et les poètes surréalistes cherchant «à fixer les vertiges afin que les êtres et les choses ne soient plus les uns à côté des autres mais les uns dans les autres»(Brun, 1960: 53).
La célèbre formule bretonienne selon laquelle «les mots font l'amour»constitue le jalon final du jeu entre dislocation et ré-agencement entrepris par «le démon de l'analogie» mallarméen puis par les «mots en liberté» de Marinetti pour qui «l'analogie n'est que l'amour immense qui rattache les choses distantes, apparemment différentes et hostiles. C'est moyennant des analogies très vastes que ce style orchestral, à la fois polychrome, polyphonique et polymorphe, peut embrasser la vie de la matière»(in Brun, 1976: 139). O. Paz interprète également l'analogie surréaliste, héritière de la pensée ésotérique comme «le rapport entre le cosmos polymorphe et l'architectonique des passions, qui est à la base de l'orgiasme»; «la métaphore orgiaque [étant] l'expression de ce rythme poétique qui entend unir, faire fusionner les éléments de la totalité hétérogène», dans cette «autre religion, où tout se tient» (Paz, 1976: 129).
lundi 16 février 2009
L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 5
De l'autre côté de la dichotomie esquissée par L. Ferry, celui de l'hyperréalisme nietzschéen, «c'est bien la réalité la plus réelle qu'il s'agit de rendre», du cubisme au surréalisme ou au suprématisme: une réalité qui n'est plus «rationnelle, harmonieuse, euclidienne, mais illogique, chaotique, informe et non euclidienne»(ibid.). C'est ainsi que pour J. Brun la «volonté d'abstraction»de l'art moderne découle du dionysiaque: «C'est un même processus que l'on retrouverait dans certaines formes d'expressions picturales comme l'art abstrait, le tachisme, où la figure, l'objet et l'univers se trouvent désintégrés en traits et en plages de couleurs (...) atomisation, désintégration de l'homme et du monde»(Brun, 1960: 49). L'envahissement de l'abstraction découle de «[l'expérience] de l'homme qui, dans son désir de s'aventurer hors de lui-même, veut se dissoudre dans un champ dionysiaque où se déploient toutes les permissions de combinatoires prometteuses d'extases»(Brun, 1976: 14).
En fait cette idée est déjà contenue dans les réflexions fondatrices de G. Apollinaire sur Les peintres cubistes: «Nietzsche avait deviné la possibilité d'un tel art (...) il fait, par la bouche de Dionysos, le procès de l'art grec (...) art de la conscience, de l'identité, de l'ordre, du visible», auquel s'oppose «le chaos, la brisure, la différence et l'ivresse» du dionysiaque (in Ferry, 1990: 324).
J. Brun continue son analyse du «retour de Dionysos» dans le champ esthétique et culturel de la modernité, associant la dislocation des mots en liberté futuristes, les poèmes phoniques expressionnistes et dadaïstes à un même dionysisme: «la lacération de Dionysos se traduit également dans le langage (...) que l'on ramène à des onomatopées et à des cris qui prétendent être un post-langage né de l'éclatement de la phrase, du mot, voire de la lettre (...) Arrachés au sens qui les portait, les mots se mettent à entrer dans la danse de Dionysos et le discours explose»(Brun, 1976: 100).
L'association de l'abstraction picturale à la crise du langage dans les avant-gardes, déjà soulignée par H. Ball en 1917, reçoit ainsi une interprétation nietzschéenne. Citons le célèbre «gadji beri bamba» de Ball lui-même, qui serait glorieusement réinterprété dans le contexte after-punk des années 80 par les Talking Heads:
«glandridi lauli lonni cadori
gadjama bim beri glassala
glandridi glassala tuffm i zimbrabim
blassa galassasa tuffm i zimbrabim
... »
lundi 9 février 2009
L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 4
Enfin, dernier paradoxe de ce réseau néomythique, l'Homme Nouveau retrouve une surprenante complicité avec son extrême opposé dans l'axe chronologique de l'évolution darwinienne, le Primitif. En effet le «dionysiaque» est amalgamé par un concept qui est au centre de l'épistémologie moderniste et des pratiques des différentes avant-gardes, celui de primitivisme. Ensemble d'idées complexe et multiple, le terme «primitivisme»décrit selon C. Rhodes, en ce qui concerne l'art moderne, «des tendances qui se retrouvent pratiquement tout au long de son évolution, du symbolisme et de l'Art nouveau des années 1890 à l'expressionnisme abstrait américain des années 1940»(1997: 7).
À la différence des mouvements avantgardistes, le primitivisme «ne désigne pas un groupe d'artistes organisés comme tel, ni même un style identificable ayant émergé à un moment historique donné; il rassemble plutôt diverses réactions d'artistes de cette période aux idées sur le primitif (...) Une grande partie de l'art primitiviste n'a pas de relation directe à l'art primitif (...) mais à des tentatives d'accès à des modes de pensée et de vision considérés comme plus fondamentaux»(Rhodes, 1997: 7-8).
Parallèllement il s'agit, avec l'irrationalisme qui est son corollaire direct, d'une des expressions idéologiques de l'impérialisme; expressions qui peuvent être employées de façon bivalente, soit dans le sens d'un anarchisme antirationnel qui vise à saper la culture bourgeoise occidentale, soit dans le sens d'un nationalisme délirant.
Cette double tendance est particulièrement sensible dans les contradictions des théoriciens de l'expressionisme allemand. Tantôt celui-ci vise à exprimer par ses aspects primitifs et sauvages «le combat de l'âme contre la machine» (H. Bahr, 1916), tantôt il exprime un nietzschéisme enraciné dans l'idéologie nationaliste allemande, comme dans l'analyse pionnière et programmatique de P. Fechter (1914), pour qui le mouvement «n'est que l'instint qui s'est toujours fait sentir dans le monde germanique. C'est le vieil esprit gothique qui (...) en dépit de tous les rationalismes et de tous les matérialismes relève toujours la tête»(in Willet, 1970: 100).
C'est l'idée du primitif comme étant «toujours plus instinctif, moins limité par les conventions artistiques et l'histoire et, d'une certaine façon, plus proche des aspects fondamentaux de l'existence humaine»(id, 9) qui le relie à l'homme dionysiaque ainsi qu'à l'artiste-«phare»du programme avantgardiste.
La fascination pour l'Urnatur dionysiaque s'étend à l'Urmensh, les primitifs devenant les seuls «êtres vrais» par opposition au civilisé: c'est ainsi que M. Ernst s'identifiera dans «Identité instantanée» à la fois au dieu Pan et à l'homme Papou, vivant en relation harmonieuse avec la nature (W. Rubin, 1987: 552).
L'analyse de cette collusion, qui hante les formulations théoriques et les réalisations pratiques des différentes «avant-gardes historiques«, ne peut malheureusement qu'être évoquée ici, car elle nous menerait des Danseuses de Kirchner (1924) à la Bacchanale de P. Picasso (1944), en traversant les différents manifestes primitivistes qui de l'expressionisme au dadaïsme reemploient des clichés post-nietzschéens vantant l'impulsion dionysiaque et vitaliste dans l'art («immédiateté», «authenticité», «vie brute», etc...).
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