lundi 16 février 2009

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 5



De l'autre côté de la dichotomie esquissée par L. Ferry, celui de l'hyperréalisme nietzschéen, «c'est bien la réalité la plus réelle qu'il s'agit de rendre», du cubisme au surréalisme ou au suprématisme: une réalité qui n'est plus «rationnelle, harmonieuse, euclidienne, mais illogique, chaotique, informe et non euclidienne»(ibid.). C'est ainsi que pour J. Brun la «volonté d'abstraction»de l'art moderne découle du dionysiaque: «C'est un même processus que l'on retrouverait dans certaines formes d'expressions picturales comme l'art abstrait, le tachisme, où la figure, l'objet et l'univers se trouvent désintégrés en traits et en plages de couleurs (...) atomisation, désintégration de l'homme et du monde»(Brun, 1960: 49). L'envahissement de l'abstraction découle de «[l'expérience] de l'homme qui, dans son désir de s'aventurer hors de lui-même, veut se dissoudre dans un champ dionysiaque où se déploient toutes les permissions de combinatoires prometteuses d'extases»(Brun, 1976: 14).

En fait cette idée est déjà contenue dans les réflexions fondatrices de G. Apollinaire sur Les peintres cubistes: «Nietzsche avait deviné la possibilité d'un tel art (...) il fait, par la bouche de Dionysos, le procès de l'art grec (...) art de la conscience, de l'identité, de l'ordre, du visible», auquel s'oppose «le chaos, la brisure, la différence et l'ivresse» du dionysiaque (in Ferry, 1990: 324).

J. Brun continue son analyse du «retour de Dionysos» dans le champ esthétique et culturel de la modernité, associant la dislocation des mots en liberté futuristes, les poèmes phoniques expressionnistes et dadaïstes à un même dionysisme: «la lacération de Dionysos se traduit également dans le langage (...) que l'on ramène à des onomatopées et à des cris qui prétendent être un post-langage né de l'éclatement de la phrase, du mot, voire de la lettre (...) Arrachés au sens qui les portait, les mots se mettent à entrer dans la danse de Dionysos et le discours explose»(Brun, 1976: 100).
L'association de l'abstraction picturale à la crise du langage dans les avant-gardes, déjà soulignée par H. Ball en 1917, reçoit ainsi une interprétation nietzschéenne. Citons le célèbre «gadji beri bamba» de Ball lui-même, qui serait glorieusement réinterprété dans le contexte after-punk des années 80 par les Talking Heads:

«glandridi lauli lonni cadori
gadjama bim beri glassala
glandridi glassala tuffm i zimbrabim
blassa galassasa tuffm i zimbrabim
... »

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