lundi 9 février 2009

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 4



Enfin, dernier paradoxe de ce réseau néomythique, l'Homme Nouveau retrouve une surprenante complicité avec son extrême opposé dans l'axe chronologique de l'évolution darwinienne, le Primitif. En effet le «dionysiaque» est amalgamé par un concept qui est au centre de l'épistémologie moderniste et des pratiques des différentes avant-gardes, celui de primitivisme. Ensemble d'idées complexe et multiple, le terme «primitivisme»décrit selon C. Rhodes, en ce qui concerne l'art moderne, «des tendances qui se retrouvent pratiquement tout au long de son évolution, du symbolisme et de l'Art nouveau des années 1890 à l'expressionnisme abstrait américain des années 1940»(1997: 7).

À la différence des mouvements avantgardistes, le primitivisme «ne désigne pas un groupe d'artistes organisés comme tel, ni même un style identificable ayant émergé à un moment historique donné; il rassemble plutôt diverses réactions d'artistes de cette période aux idées sur le primitif (...) Une grande partie de l'art primitiviste n'a pas de relation directe à l'art primitif (...) mais à des tentatives d'accès à des modes de pensée et de vision considérés comme plus fondamentaux»(Rhodes, 1997: 7-8).

Parallèllement il s'agit, avec l'irrationalisme qui est son corollaire direct, d'une des expressions idéologiques de l'impérialisme; expressions qui peuvent être employées de façon bivalente, soit dans le sens d'un anarchisme antirationnel qui vise à saper la culture bourgeoise occidentale, soit dans le sens d'un nationalisme délirant.

Cette double tendance est particulièrement sensible dans les contradictions des théoriciens de l'expressionisme allemand. Tantôt celui-ci vise à exprimer par ses aspects primitifs et sauvages «le combat de l'âme contre la machine» (H. Bahr, 1916), tantôt il exprime un nietzschéisme enraciné dans l'idéologie nationaliste allemande, comme dans l'analyse pionnière et programmatique de P. Fechter (1914), pour qui le mouvement «n'est que l'instint qui s'est toujours fait sentir dans le monde germanique. C'est le vieil esprit gothique qui (...) en dépit de tous les rationalismes et de tous les matérialismes relève toujours la tête»(in Willet, 1970: 100).

C'est l'idée du primitif comme étant «toujours plus instinctif, moins limité par les conventions artistiques et l'histoire et, d'une certaine façon, plus proche des aspects fondamentaux de l'existence humaine»(id, 9) qui le relie à l'homme dionysiaque ainsi qu'à l'artiste-«phare»du programme avantgardiste.

La fascination pour l'Urnatur dionysiaque s'étend à l'Urmensh, les primitifs devenant les seuls «êtres vrais» par opposition au civilisé: c'est ainsi que M. Ernst s'identifiera dans «Identité instantanée» à la fois au dieu Pan et à l'homme Papou, vivant en relation harmonieuse avec la nature (W. Rubin, 1987: 552).

L'analyse de cette collusion, qui hante les formulations théoriques et les réalisations pratiques des différentes «avant-gardes historiques«, ne peut malheureusement qu'être évoquée ici, car elle nous menerait des Danseuses de Kirchner (1924) à la Bacchanale de P. Picasso (1944), en traversant les différents manifestes primitivistes qui de l'expressionisme au dadaïsme reemploient des clichés post-nietzschéens vantant l'impulsion dionysiaque et vitaliste dans l'art («immédiateté», «authenticité», «vie brute», etc...).

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