jeudi 19 février 2009

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 6



C'est plus concrètement dans le futurisme russe que la dimension dionysiaque de la désagrégation du langage est la plus claire. Dans Explosion (1914), Kroutchenykh se réfère pour la première fois aux manifestations glossolaliques des sectes religieuses russes comme l'origine de son propre langage zaoum: il cite un passage de mots sans sens d'un membre des flagellants qui reconnaît qu'il parle, sans savoir de quoi ni même dans quelle langue, et y voit la preuve que l'homme libre de contraintes recourt en des moments cruciaux et extatiques à un langage «transrationnel», qu'il s'agira de retrouver ou réinventer.
La même année le formaliste russe Chklovski fera paraître le premier essai théorique sur le langage transmental «zaoum», Résurrection du mot.

Quant au surréalisme, il serait dionysiaque «dans la mesure où il y a un effort, de la part de l'individu qui parle, pour sortir de son individualité»(Brun, 1960: 66); les peintres et les poètes surréalistes cherchant «à fixer les vertiges afin que les êtres et les choses ne soient plus les uns à côté des autres mais les uns dans les autres»(Brun, 1960: 53).

La célèbre formule bretonienne selon laquelle «les mots font l'amour»constitue le jalon final du jeu entre dislocation et ré-agencement entrepris par «le démon de l'analogie» mallarméen puis par les «mots en liberté» de Marinetti pour qui «l'analogie n'est que l'amour immense qui rattache les choses distantes, apparemment différentes et hostiles. C'est moyennant des analogies très vastes que ce style orchestral, à la fois polychrome, polyphonique et polymorphe, peut embrasser la vie de la matière»(in Brun, 1976: 139). O. Paz interprète également l'analogie surréaliste, héritière de la pensée ésotérique comme «le rapport entre le cosmos polymorphe et l'architectonique des passions, qui est à la base de l'orgiasme»; «la métaphore orgiaque [étant] l'expression de ce rythme poétique qui entend unir, faire fusionner les éléments de la totalité hétérogène», dans cette «autre religion, où tout se tient» (Paz, 1976: 129).

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