mercredi 8 avril 2009

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 9



L'année suivante (1937) les dessins de Terre érotique combinent les deux univers, celui de l'orgiasme cruel et celui des mondes en ébullition. Le peintre transforme des paysages naturels qu'il a sous les yeux (l'Espagne, la France du Sud) en formes humaines érotiques s'accouplant, le tout foisonnant de «représentations d'organes sexuels et de zones érogènes qui sont en même temps images de plantes, ondulations (..) Ces paysages transfigurés subsument l'automatisme le langage figuré des fantasmes, la luxure des orgies, le viol des massacres»(id, 212). Ces dessins sont «traversés par un flux héraclitéen où tout se transforme en tout, où tendresse et violence se fondent l'une en l'autre pour l'éternité; c'est une jungle de croissance irrépressible, d'annihilation irrésistible et de nouvelles croissances»(id, 214). Cette conception d'un univers mu par un accouplement orgastique perpétuel est au plus proche de la pensée de G. Bataille, qui écrit dans l'Anus solaire -illustré précisément par Masson: «C'est ainsi qu'on s'aperçoit que la terre en tournant fait coïter les animaux et les hommes et (...) que les animaux et les hommes font tourner la terre en coïtant» (in id, 281).

Les deux amis, qui collaborent aussi dans le livre illustré Sacrifices (1936), portent un intérêt commun pour le sacré et pour les mythes les plus noirs de la Grèce. Pour tous deux, «l'homme ne peut plus se reconnaître dans les chaînes dégradantes de la logique», il se reconnaît, au contraire, «non seulement avec colère, mais dans un tourment extatique, dans la virulence de ses fantasmes»(Bataille, O.C.; II; 22). Cet érotisme dionysiaque, lié à la vie instinctive de l'homme dépourvu de raison et en proie au ravissement extatique diffère de celui, héritier de la tradition courtoise et idéaliste, de Breton, et explique les divergences constantes au sein du groupe. Érotisme qui diffère également avec l'œuvre, dionysiaque aussi, de P. Picasso, hantée toute sa vie par une sauvage obscénité (Extase, 1938, Bacchantes, 1964, Femme possédée, 1987...): alors que pour l'Espagnol «le sexe réclame le regard et l'érige pour qu'il pénètre (...), il excite le regard du voyeur et lui donne l'illusion de prendre», chez Masson «le sexe est présent pour éveiller l'obscur (...) entrer dans la germination, dans l'éruption du monde» (Noël, 1993: 320). Plus encore, ce n'est pas «une image conçue pour faire bander le voyeur», c'est «une réflexion visuelle qui montre la mécanique de la matière humaine tout en s'interrogeant sur son sens. L'érotisme y devient métaphysique» (Noël, 1993: 79).


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