Dans leur volonté parfois provocatrice, ces clichés noirs et blancs ont de baroque la difformité des corps qu’ils présentent, l’extrême blancheur des peaux, les ambiguïtés sexuelles, la réflexion mélancolique sur l’amour et le temps qui passe, hélas. « Ces corps mêlés qui, se tordant, se pâmant, s’abîment dans des excès de volupté, sont à l’opposé de ce qui les vouera plus tard au silence de la corruption »1. Et les mêmes remarques valent pour beaucoup d’œuvres contemporaines qui, modifiant notre image des corps, contreviennent aux identités organiques, redéfinissent les interdits anciens et les vieilles limites, mettent systématiquement en scène, dans le cadre d’un nouvel érotisme, les souffrances et la mort (Inez Van Lamsweerde, André Serrano, Bob Flanagan, Nobuyoshi Araki). Or, cet érotisme est d’autant plus efficace qu’il ne transgresse plus seulement l’ordre moral et ses censures mais aussi la permissivité et l’incessante promotion d’une sexualité innocente, toute naturelle.
Ainsi, l’érotisme nous distingue de l’animalité, tout comme le désir se distingue de l’instinct. Ou, plus exactement, il est une façon singulière d’élaborer un art à partir d’une simple fonction biologique, d’un simple besoin physiologique. C’est pourquoi, pour reprendre les termes de Bataille, il relève non de l’utilité, propre au monde du travail organisé, mais de la dépense, caractéristique des dandys, des esthètes, des artistes, des aristocrates et des intellectuels – des intellectuels à l’ancienne, du moins. L’érotisme est donc plus équivoque qu’il n’y paraît. D’un côté, comme le souligne Milan Kundera dans L’Identité, il est, « commercialement, une chose ambiguë car si tout le monde convoite la vie érotique, tout le monde aussi la hait comme la cause de ses malheurs, de ses frustrations, de ses envies, de ses complexes, de ses souffrances »2. De l’autre, il met en en jeu notre part d’animalité pour la détourner. C’est là ce qui motive les investissements fétichistes de tous les fragments de bête en l’humain et qui sont autant de tabous, en ce qu’ils relèvent du sacré au sens étymologique où Bataille l’entendait : le sacer opposé au profanus. Voilà qui explique quantité d’investissements fétichistes ou d’interdits érotiques : la prohibition de l’exhibition du système pileux dans la pornographie japonaise, le mansclaping, que les métrosexuels ont emprunté aux homophiles, l’acomoclitisme dont il faudrait au reste faire toute une histoire comparatiste sur le modèle de celles de l’odorat et de l’orgasme proposées par Alain Corbin et Robert Muchembled. Ainsi, dans l’Égypte de Néfertiti, le corps lisse et sans poil était seul signe de beauté absolue, de jeunesse et d’innocence. En Perse, l’épilation pubienne s’imposait comme un rite religieux et dans la Grèce de Rhodope et d’Aspasie, comme dans la Rome des bacchantes, les femmes avec des poils sur le pubis étaient considérées comme abominables, monstrueuses, horror horribilis. En revanche, Catherine de Médicis interdit aux dames de sa cour de s’épiler, tandis que les Années folles inventèrent la Bush-coiffure, la mise en plis des poils pubiens. A contrario, depuis les swinging sixties, l’épilation intime est redevenue en vogue, grâce notamment à l’influence qu’exerce sur les esprits la pornographie de masse. Cependant, en Corée, l’implantation de poils pubiens est courante et dans le japon postmoderne des pinsaro (ピンサロ) qui ne sont rien d’autre que des bars à fellations, les jeunes filles se couvrent le bas-ventre de perruques pubiennes (nommées merkin ou « Fleur nocturne »). De même que le souvenir humain de l’animalité explique que les représentations de la pilosité oscillent entre le rejet, la sublimation et le contre-investissement ornemental, il motive l’alternance culturelle entre révulsion du pied et podophilie. Si la Chine, par exemple, du Xe au XIXe siècle, pratiqua si assidument le « pied de lys », c’est parce que le pied féminin était considéré comme la partie la plus sexy du corps, un parfait fétiche, un membre authentiquement glamour. Voilà, du reste, pourquoi les petits souliers traditionnellement portés durant le mariage présentaient des scènes érotiques explicites – un érotisme de soumission à l’homme, où la jeune fille aux pieds éduqués était une offrande ; les féministes parleraient aujourd’hui de femme objet, victime du sexisme et du système patriarcal. On aurait bien tort de croire qu’une telle érotisation est orientale. En effet, du « pied mignon » des XVIIIe et XIXe siècles au footjobs et shoejobs de la pornographie hypermoderne, les fantasmes podophiles – tout comme la podiaphilie et autres amours ancillaires – occupent une place centrale dans l’échauffement des sens occidentaux.
Ainsi, l’érotisme nous distingue de l’animalité, tout comme le désir se distingue de l’instinct. Ou, plus exactement, il est une façon singulière d’élaborer un art à partir d’une simple fonction biologique, d’un simple besoin physiologique. C’est pourquoi, pour reprendre les termes de Bataille, il relève non de l’utilité, propre au monde du travail organisé, mais de la dépense, caractéristique des dandys, des esthètes, des artistes, des aristocrates et des intellectuels – des intellectuels à l’ancienne, du moins. L’érotisme est donc plus équivoque qu’il n’y paraît. D’un côté, comme le souligne Milan Kundera dans L’Identité, il est, « commercialement, une chose ambiguë car si tout le monde convoite la vie érotique, tout le monde aussi la hait comme la cause de ses malheurs, de ses frustrations, de ses envies, de ses complexes, de ses souffrances »2. De l’autre, il met en en jeu notre part d’animalité pour la détourner. C’est là ce qui motive les investissements fétichistes de tous les fragments de bête en l’humain et qui sont autant de tabous, en ce qu’ils relèvent du sacré au sens étymologique où Bataille l’entendait : le sacer opposé au profanus. Voilà qui explique quantité d’investissements fétichistes ou d’interdits érotiques : la prohibition de l’exhibition du système pileux dans la pornographie japonaise, le mansclaping, que les métrosexuels ont emprunté aux homophiles, l’acomoclitisme dont il faudrait au reste faire toute une histoire comparatiste sur le modèle de celles de l’odorat et de l’orgasme proposées par Alain Corbin et Robert Muchembled. Ainsi, dans l’Égypte de Néfertiti, le corps lisse et sans poil était seul signe de beauté absolue, de jeunesse et d’innocence. En Perse, l’épilation pubienne s’imposait comme un rite religieux et dans la Grèce de Rhodope et d’Aspasie, comme dans la Rome des bacchantes, les femmes avec des poils sur le pubis étaient considérées comme abominables, monstrueuses, horror horribilis. En revanche, Catherine de Médicis interdit aux dames de sa cour de s’épiler, tandis que les Années folles inventèrent la Bush-coiffure, la mise en plis des poils pubiens. A contrario, depuis les swinging sixties, l’épilation intime est redevenue en vogue, grâce notamment à l’influence qu’exerce sur les esprits la pornographie de masse. Cependant, en Corée, l’implantation de poils pubiens est courante et dans le japon postmoderne des pinsaro (ピンサロ) qui ne sont rien d’autre que des bars à fellations, les jeunes filles se couvrent le bas-ventre de perruques pubiennes (nommées merkin ou « Fleur nocturne »). De même que le souvenir humain de l’animalité explique que les représentations de la pilosité oscillent entre le rejet, la sublimation et le contre-investissement ornemental, il motive l’alternance culturelle entre révulsion du pied et podophilie. Si la Chine, par exemple, du Xe au XIXe siècle, pratiqua si assidument le « pied de lys », c’est parce que le pied féminin était considéré comme la partie la plus sexy du corps, un parfait fétiche, un membre authentiquement glamour. Voilà, du reste, pourquoi les petits souliers traditionnellement portés durant le mariage présentaient des scènes érotiques explicites – un érotisme de soumission à l’homme, où la jeune fille aux pieds éduqués était une offrande ; les féministes parleraient aujourd’hui de femme objet, victime du sexisme et du système patriarcal. On aurait bien tort de croire qu’une telle érotisation est orientale. En effet, du « pied mignon » des XVIIIe et XIXe siècles au footjobs et shoejobs de la pornographie hypermoderne, les fantasmes podophiles – tout comme la podiaphilie et autres amours ancillaires – occupent une place centrale dans l’échauffement des sens occidentaux.
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