lundi 30 janvier 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 4














Enfin, la violence n’est pas toujours aussi manifeste que l’était le courroux des anciens guerriers écumants, le déchaînement des dieux métamorphosés en taureaux écumant, la furie de centaures enragés de désir comme Nessos pour Déjanire, la jolie femme d’Héraklès. L’animalité peut se faire discrète et mignarde – ce qui ne lui ôte en rien sa charge érotique. Ainsi, quatre petites toiles de Fragonard mettent clairement au jour, ce me semble, ce processus de transformation de l’animalité violente en gentillesse mignonne, en grâce délicate, en bienveillance affectée : Jeune fille aux petits chiens, Deux jeunes filles sur leur lit jouant avec leurs chiens, les deux versions de la Gimblette. Dans la première, qui ressemble à une esquisse, la minauderie d’une belle enfant se mêle indissolublement à la tendresse, et la douceur altruiste du geste est compensée par le déshabillé blanc, assez coquin, il faut bien le dire – d’autant que comme s’en amusait Armistead Maupin, « l’innocence est quelque chose de très érotique ». Dans la deuxième, une jeune fille à la chemise indécemment retroussée joue, debout sur sa couche, avec un chiot qui se prend dans ses jambes. Son amie, au chigon défait et qui partage son lit, joue, de son côté, au milieu des tentures d’or, avec un chiot blanc qui semble de peluche. Dans les deux dernières, une fille fort fraîche, renversée nue sur son lit, joue à soulever délicatement un chiot qu’elle tient entre ses pieds – posture qui révèle ses jeunes attraits. Cette mièvrerie érotisée de l’animal domestique parcourt le XIXe siècle bourgeois ; et les femmes et jeunes filles au chat de Renoir sont, par exemple, sont si célèbres que Picasso s’emploiera à les déconstruire dans ses fameux Desnudo acostado con flor y gato. Cette érotisation de l’animal – amollissement bourgeois de l’animalité bataillienne – a naturellement gagné le star system. Cameron Diaz se présentait récemment aux paparazzi, mi-maternelle mi-lascive avec un chiot qu’elle protégeait, à même sa peau, sous un grand pull de laine d’Écosse, tandis qu’Ashley Greene faisait, avec la plus grande langueur, l’éloge amoureux de son chien, Marlow, dans le magazine américain Maxim. Est-ce à dire que l’animalité érotique aurait tout perdu de sa violence à l’ère postmoderne ? Non, ce serait faire fi, par exemple, de Catwoman, féline jusques au bout du fouet. Ce personnage, créé en 1940 pour les DC Comics de la Warner, appelle plusieurs commentaires. Au fil du temps, la femme-chat a beaucoup changé, devenant toujours plus provocatrice et dominatrice. En effet, lors de sa première apparition au cinéma, en 1966, Lee Meriwether jouait le rôle d’une femme-chat plutôt obéissante dont l’innocence séduisait Batman. En 1972, Catwoman devient exubérante et manie désormais le martinet avec la virtuosité d’une maîtresse d’école victorienne. Significativement, c’est au moment où le costume en latex se raffine que le rôle de la femme-chat, incarnée par Sofia Moran, devient plus marquant. Cependant, c’est Michelle Pfeiffer qui, avec le Batman Returns (1992) de Tim Burton, confère à Catwoman sa véritable mesure érotique et animale. L’imaginaire S.M. fonctionne à plein dans un film qui accorde une place essentielle au fétichisme de l’héroïne, si belle dans un costume de vinyle noir renforçant sa dimension féline, c’est-à-dire joueuse, espiègle et batailleuse. Enfin, Halle Berry, accentue, en 2004, la sexualisation d’un personnage qui n’avait jamais été si dévêtu. On a beaucoup parlé de Megan Fox pour incarner prochainement Catwoman, il est tout à fait clair que si l’on se réfère à la pensée de Bataille ce serait là un choix excellent, associant la beauté au désordre, à la violence, à l’indignité, à l’animalité et aussi à une intelligence érudite et raffinée. Il faudrait simplement que les modistes lui inventassent un costume suffisamment dénudé pour qu’on puisse lire sur son omoplate droite la citation du Roi Lear qui y est tatouée : « We will all laugh at gilded butterflies ».

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