lundi 11 mai 2009

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 11


Ainsi, que ce soit dans le culte de l'Homme Nouveau, «Dieu joueur«, constructeur de valeurs à coups de marteaux ou dans l'exploration du fonds d'un cosmos dionysien, l'avant-gardisme marque l'avènement et l'institutionnalisation progressive du «sujet brisé«, type d'individualisme irrationaliste, héritier du Romantisme, opposé au premier individualisme qui allait du cogito à la Révolution française.


Au-delà du concept strict du «dionysiaque«, nous voyons alors à l'œuvre, dans les différentes avant-gardes, une véritable constellation de (my)thèmes nietzschéens relatifs à ce même concept. Nous pouvons décomposer le «réseau dionysiaque»nietzschéen en une série de thèmes: le jeu, la possession (entre d'un côté l'intoxication et de l'autre la démence), la danse, l'orgie et le sentiment tragique de l'existence. Tous présentent des parallélismes avec les différentes avant-gardes historiques, certains plus évidents que d'autres et c'est sans doute dans cette constellation éclatée que l'héritage de Nietzsche a porté les fruits les plus inattendus. Nous n'avons néanmoins pas le temps d'esquisser une cartographie de cette constellation souvent ignorée par la critique, séduite par d'autres formations concurrentes ou associées. Certains thèmes étant suffisamment explorés de façon autonome dans plusieurs travaux (ainsi le jeu, l'humour ou le tragique), nous évoquerons rapidement, à titre d'illustration, l'orgie surréaliste, thème où nous retrouvons un dionysisme agressif et ludique.


Dans l'entourage de A. Breton, X. Gauthier constate que «prendre pour objet de désir plusieurs personnes à la fois semble la forme de «perversion»la plus odieuse«, du fait d'un idéalisme latent qui instaure une dichotomie constante entre les sentiments et la technicité sexuelle; idéalisme qui dénonce la «dépersonnalisation des partenaires» rêvée par Nietzsche (Gauthier, 1971: 224). Ainsi Aragon, en pleine crise amoureuse, condamne énergiquement les gens qui pratiquent l'amour collectif. «Quelle sacrée tristesse dans toutes les réalisations de l'érotisme! (...) Quand ils ont bâti une pyramide avec leurs corps, ils sont à bout d'imagination. Tous lâchent leurs coups, un peu au hasard, et finalement le pantin multiple se dégonfle et s'aplatit, dans la sueur, les poils et les foutres. Grotesque baudruche» (Gauthier, 1971: 225). Néanmoins, tout un courant hétérodoxe au sein du mouvement, -courant auquel nous avons déjà fait allusion-, fait de l'orgiasme un rêve utopique de libération sexuelle et cosmique.


On retrouve l'univers orgastique de Masson crûment exploré dans un des rares textes surréalistes ouvertement pornographiques, Les rouilles encagées de B. Péret (1928). Saisis d'une vague dionysiaque le cosmos entier se met à copuler: les humains (le vicomte Branleur des Couilles-Molles et ses 4 femmes), les animaux (le perroquet «encula d'un seul coup (...) le chien qui sommeillait»; «le chien frottant sur le dos des femmes un petit poisson rouge», etc...) et les végétaux («ce végétal qui était fait d'un assemblage bizarre de queues et de couilles projetait sans cesse de l'un quelconque de ses membres un jet de sperme», Péret, O.C., 178) ainsi que les éléments («la mer s'agite comme une femme qui se branle», id, 181, etc); puis les objets quotidiens («la montre était sur le point de jouir en rejetant tous ses rouages au loin et en enfonçant ses aiguilles dans le con de la femme»; «le miroir se fendit par le milieu sur toute sa longueur, dessinant un vaste con par où s'écoulait une cascade séminale») et, dans une parodie blasphème du vin liturgique, le porto branlé par le vicomte («la mousse du porto ne tarda pas à s'émouvoir. Ce n'est pas en vain qu'on branle du vin, même cuit», id, 177) puis l'hostie «qui, prise, à son tour, de frénésie, se trémoussait sous leurs doigts (...) et faisait des efforts désespérés pour pénétrer dans son con» (id, 193)...


Cette orgie carnavalesque brouille toutes les distinctions possibles et désamorce la logique des oppositions binaires (par sexes, par âges, les vivants et les morts, les espèces animales, l'inanimé et l'animé, etc.), parodiant les célèbres Enquêtes sur la sexualité auxquelles Péret prit une partie active («As-tu sodomisé des animaux au jardin des plantes? Lesquels? (...) Ah! oui, presque tous. Il n'y a guère que le crocodile que je n'ai pu avoir, il était trop serré...», id, 179).

1 commentaire:

losfeld a dit…

Merci pour vos commentaires sur mes blogs, les votres ont l'air passionnants. Dès que j'ai un peu de temps je m'y plonge!
Sinon non, hélas, je ne suis pas le vrai Losfeld qui est mort l'année de ma naissance mais j'aurais bien aimé l'être!