Loin d’être idiots, nos courts-métrages contemporains – qui, comme l’épisode de Nana, associent beauté, jeunesse, brutalité et sottise – reprennent quantité de clichés des érotismes anciens et les déconstruisent jusqu’à mettre en place les canons de nouveaux désirs et de voluptés inédites. Un exemple, pour rester dans le domaine de la jeunesse érotisée et des Sexy Teddies : une publicité pour Love Cosmetics, ligne de produits de beauté de M&J, la célèbre firme de Philadelphie. L’affiche montre, en plan rapproché, une fille superbe et très jeune. Elle tient, par sa dignité et sa décence, des petites demoiselles sadiennes : « impossible d’être plus jolie : faite à peindre, une physionomie douce et céleste, blonde, de grands yeux bleus pleins du plus tendre intérêt »1. Son regard, pâle et vide, fixe celui qui la regarde comme l’Albaydé de Cabanel, véritable accoste muette. Cependant son visage, atone et froid, renvoie surtout à la figure de Méduse (Arnold Böcklin) et aux femmes fatales de la Belgique fin-de-siècle ou de la Vienne de Klimt. Ces jeux transparents sur l’arrière-texte méduséen sont renforcés par l’attitude de l’ours que la jolie nymphette serre sur sa jeune poitrine. Car il ne fait pas de doute qu’il est à la fois tétanisé et soumis par sa beauté. Peut-être même cet ursidé de mohair est-il un ancien amant devenu chose, peluche, par amour. Il est significatif, à cet égard, que l’affiche soit pensée comme un miroir : le regard de la fille et de l’ours renvoient l’un à l’autre, de même que le blanc du plantigrade fictif résonne avec le corsage à demi-défait de la fille et que les lèvres de l’un sont d’une couleur parfaitement identique à celles de l’autre, toujours dénué de sourire. Toutefois, conformément à la logique postmoderne de multiplication ad infinitum des références, cette affiche est aussi un jeu sur la Lolita de Nabokov (« Love’s Baby Soft. Because innocence is sexier than you think ») et une reprise amusée de la Belle et la Bête, cette histoire qui, depuis Apulée et Madame Leprince de Beaumont, s’est peu à peu hissée au rang de mythe – mythe que notre époque affectionne particulièrement, de Disney à Serpieri et son adorable Druuna en passant par les différentes versions hollywoodiennes de King Kong.
Des interprétations très semblables vaudraient – ceteris paribus sic stantibus – pour les magnifiques clichés de Coco Rocha pris par Arthur Elogort pour l’édition russe du magazine britannique Tatler en octobre 2010. On y retrouve, outre l’exceptionnel éclat des grands regards clairs, l’« énigamicité » des sourires, la sublimité des toilettes extravagantes et somptueuses de Christopher Kane et Phillip Lim, la mise en scène outrancière de la sophistication dans des cadres pourtant pastoraux, l’alliance baroque de la malignité et de la naïveté, le mariage décadent de la dureté et de la gentillesse, la combinaison de deux rôles complémentaires, la femme fatale et la femme-enfant, le rôle central du Sexy Teddy, lequel sert in fine la subversion des grands récits, en l’occurrence l’histoire folkorique de Boucle d’or et des trois ours. Goldilocks and the Three Bears ? Serait-ce donc là l’horizon indépassable de l’érotisme postmoderne ? En tout cas, il nous en dit beaucoup sur nous-mêmes et sur notre condition postmoderne, relation originale au temps, à autrui, nouvelle façon de vivre en société, de voir la beauté et de la désirer.
1 D.A.F. de Sade, Juliette ou les prospérités du vice, Paris, Gallimard, « la Pléiade », 1998, p.181.
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