mardi 7 février 2012

De l'animalité bataillienne aux sexy teddies 9














Le corps est devenu le support d’enjeux symboliques, en foi de quoi les préoccupations strictement biologiques s’estompent au profit de pratiques qui l’embellissent, et ce, d’autant que le fitness ou les spas, ces nouveaux thermes somptueux et exotiques, ont aussi un contenu axiologique qui associe l’effort à l’agrément, le bien-être au luxe. Ces dimensions symboliques sont encore plus importantes dans les champs de la parure, de la beauté, de la séduction – bref, de l’érotisme. Ce dernier – on peut toujours le regretter ! n’est plus seulement un art, il correspond à un dispositif de socialisation, c’est-à-dire qu’il impose des codes de conduite aux individus. Ce sont ces codes – maquillage, mode, cosmétiques, lingerie, gestes, regards, expressions – qui permettent ensuite la séduction, laquelle est une communication sociale avant d’être émotive et kinésique1. Au nom de quel puritanisme (au sens où le puritanisme conjugue le rejet des apparats à une morale tellement stricte qu’elle conduit à la névrose) blâmer les parfums qui appellent à la volupté, les crèmes qui adoucissent les peaux, les pommades qui enrayent heureusement la décrépitude ? Parce que les industries cosmétiques sont des multinationales cotées en bourse ne produisant pas gratis pro deo leurs philtres et leurs onguents ? Et alors ? De même que Hollywood, « the dream factory », fait commerce du rêve, elles nous vendent de la beauté, ce qui n’est déjà pas si mal. Pourquoi faudrait-il désavouer les justaucorps dont les décolletés mettent en valeur les jolies poitrines de nos lolitrashes ou blâmer ces shorts de jean déchiré qui, rebrodés de dentelles, embellissent les jambes bronzées de nos jeunes filles en fleurs postmodernes ? De même, il est désormais convenu de s’en prendre avec force à la tyrannie de la minceur et au diktat de la jeunesse. Mais, préfèrerait-on donc un monde de gros et de vieillards ? Serait-ce plus érotique ? Certes, les fat admirers et les gérontophiles ont droit à leur désir propre. Mais qu’il soit au moins permis, en retour, à ceux qui ne seraient guère séduits par les manifestes de la size acceptance ou les mirages de la matrolagnie de souscrire à l’idée de Baudrillard que « le corps est notre plus bel objet de consommation »2 et de jouir à leur guise de leurs fantasmes normés. Au surplus, non seulement la coquetterie et le narcissisme postmodernes sont fascinants (au sens où la fascination est une dialectique de l’attirance et de la répulsion), mais encore s’inscrivent-ils dans un mouvement, fort ancien, d’érotisation de l’hygiène3. Ce dernier explique l’importance aussi bien des représentations culturelles des tribades (Les Bains maures de Gérôme) et des odalisques (Hugo, Ingres) que l’image récurrente de la femme au bain (Diane, Bethsabée, Suzanne, pour ne rien dire des Jeunes Femmes au bain de Picou ou de Lempicka). Ce motif associe immanquablement les figures qui, dans notre longue histoire culturelle, sont caractéristiques de l’érotisme : ritualisation, purification, vénusté, jeux de regards et jeux d’eau dans des espaces clos ou, en tout cas, protecteurs, innocence dévoilée à la convoitise, propreté et fraîcheur appelant à la concupiscence. La scène est célèbre qui, chez Zola, met aux prises Nana – « au sortir du bain », et « vêtue seulement d’un grand peignoir de flanelle blanche et rouge » – avec le capitaine Philippe qui vient de lui offrir un drageoir ancien4. C’est cette érotisation de l’hygiène que l’on retrouve, en réalité, dans les publicités postmodernes pour les cosmétiques. Je pense, par exemple, aux réclames pour le gel douche Tahiti (http://www.ina.fr/pub/hygiene-beaute-sante/video/PUB3784137143/tahiti-douche-gel-douche-monoi.fr.html), retombée directe dans la culture de masse des représentations érotiques de Téha’amana, la compagne polynésienne de Gauguin, ou au spot publicitaire pour le parfum Dior (http://www.dailymotion.com/video/x253ha_pub-j-adore-dior-avec-charlize-ther_people) qui met en scène la superbe Charlize Theron, en une esthétique mêlant étrangement les univers baroque, baudelairien et gainsbourien.
1 Cf. Marie-Thérèse Duflos-Priot, « Le Maquillage, séduction protocolaire et artifice normalisé » in Communications, vol. XXXXVI, 1987, p.245-253.
2 Jean Baudrillard, op.cit., p.70.
3 Voir, notamment, Denise Jodelet, « Imaginaires érotiques de l’hygiène féminine intime. Approche anthropologique » in Connexions, vol. I, n°87, p.105-127. On se reportera aussi au très beau livre de Jacque Bonnet, Femmes au bain. Du voyeurisme dans la peinture occidentale, Paris, Hazan, 2006.
4 Émile Zola, Nana (1880), Paris, Garnier, coll. « Classiques », 1994, p337-338.

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