Malgré ses importants travers, le culturalisme, indiquant à quel point les liens entre érotisme, pornographie, écriture et violence sont embrouillés, souligne que la pornographie est loin d’être une simple aliénation : s’étant déployée en Europe grâce au développement de l’édition de masse au XIXe siècle, elle a accompagné l’expansion de la démocratie – qui elle-même dépend de celle du capitalisme industriel1 – et a fréquemment servi de support à l’essor de nouvelles conceptions politiques et scientifiques. Une recherche véritablement comparatiste – c’est-à-dire liant indissolublement sociologie, anthropologie, poétique de la lecture et esthétique de la réception – pourrait montrer avec précision comment la représentation de la violence sert dans la pornographie une double modélisation axiologique et pulsionnelle, laquelle n’est possible que parce que le romanesque pornographique reproduit les tópoï de l’idylle érotique, mais en en inversant les valeurs, soit en adoptant le point de vue des bourreaux, soit en présentant des protagonistes si naïves que le lecteur brûle de les voir subir les derniers outrages2.
Car avec le rire, les rites funéraires, l’élaboration de fictions et la gastronomie, on est tenté de faire de l’activité vénérienne motivée par le plaisir et non par la reproduction un invariant anthropologique, ou, plus précisément, une constante de l’Occident moderne. Celui-ci en effet ne semble pas tant considérer la sexualité comme un mode de propagation de l’espèce (lié ou non à une quelconque sélection naturelle) que comme un art, une technique, un style, un commerce, une industrie, un doux péché, une exquise transgression, et ce même si, des Lumières à la postmodernité, une dérive culturelle s’est amorcée qui a banalisé la pornographie et les fantasmes et pratiques sado-masochistes, peu à peu absorbés par la mode. C’est pourtant parce qu’elle est essentiellement transgressive que la pornographie induit la dramatisation de tabous sans cesse renversés, dissimulés, réarticulés : inceste, masturbation, exhibition – voulue ou non –, domination, fessées et flagellations – tantôt poignantes, tantôt burlesques. Ces activités révèlent que ni la pornographie ni l’érotisme ne sont strictement réductibles à des intrigues stéréotypées, au spectacle d’actions mécaniques, à une machinerie morbide, à des descriptions affectées, à une forme dévaluée de la sexualité et à l’absence totale de sensualité – ce dont ils sont néanmoins parfois la marque. La pornographie, dont les diverses formes de fustigation ne sont qu’un concentré mis en abyme, peut également apparaître comme un jeu, comme une érotisation du pouvoir plutôt que de la violence et comme une subversion des relations de domination. En cela, elle est chargée d’une forte valeur heuristique ; et c’est pourquoi, depuis le XVIIIe siècle, les fessées licencieuses ne sont pas présentées comme d’authentiques punitions replaçant sur le droit chemin des personnages fourvoyés : l’apprentissage imposé à ceux-ci est essentiellement celui du supplice lui-même et du plaisir qu’il est possible – légitime – d’en tirer. Cette dimension initiatique est centrale ; elle explique qu’en dépit qu’en aient les censeurs et les amateurs de bluettes, la pornographie, comme la prostitution dont elle issue, est indéfectiblement liée au sacré. C’est dire que, comme l’art, elle se fonde essentiellement sur l’analogie et la métaphore, représente un monde exceptionnel gouverné par des lois différentes de celles qui s’appliquent quotidiennement3 et fait de la liberté, du style et du savoir les seules valeurs véritablement cardinales.
Car avec le rire, les rites funéraires, l’élaboration de fictions et la gastronomie, on est tenté de faire de l’activité vénérienne motivée par le plaisir et non par la reproduction un invariant anthropologique, ou, plus précisément, une constante de l’Occident moderne. Celui-ci en effet ne semble pas tant considérer la sexualité comme un mode de propagation de l’espèce (lié ou non à une quelconque sélection naturelle) que comme un art, une technique, un style, un commerce, une industrie, un doux péché, une exquise transgression, et ce même si, des Lumières à la postmodernité, une dérive culturelle s’est amorcée qui a banalisé la pornographie et les fantasmes et pratiques sado-masochistes, peu à peu absorbés par la mode. C’est pourtant parce qu’elle est essentiellement transgressive que la pornographie induit la dramatisation de tabous sans cesse renversés, dissimulés, réarticulés : inceste, masturbation, exhibition – voulue ou non –, domination, fessées et flagellations – tantôt poignantes, tantôt burlesques. Ces activités révèlent que ni la pornographie ni l’érotisme ne sont strictement réductibles à des intrigues stéréotypées, au spectacle d’actions mécaniques, à une machinerie morbide, à des descriptions affectées, à une forme dévaluée de la sexualité et à l’absence totale de sensualité – ce dont ils sont néanmoins parfois la marque. La pornographie, dont les diverses formes de fustigation ne sont qu’un concentré mis en abyme, peut également apparaître comme un jeu, comme une érotisation du pouvoir plutôt que de la violence et comme une subversion des relations de domination. En cela, elle est chargée d’une forte valeur heuristique ; et c’est pourquoi, depuis le XVIIIe siècle, les fessées licencieuses ne sont pas présentées comme d’authentiques punitions replaçant sur le droit chemin des personnages fourvoyés : l’apprentissage imposé à ceux-ci est essentiellement celui du supplice lui-même et du plaisir qu’il est possible – légitime – d’en tirer. Cette dimension initiatique est centrale ; elle explique qu’en dépit qu’en aient les censeurs et les amateurs de bluettes, la pornographie, comme la prostitution dont elle issue, est indéfectiblement liée au sacré. C’est dire que, comme l’art, elle se fonde essentiellement sur l’analogie et la métaphore, représente un monde exceptionnel gouverné par des lois différentes de celles qui s’appliquent quotidiennement3 et fait de la liberté, du style et du savoir les seules valeurs véritablement cardinales.
1 L. Hunt (éd.), The Invention of Pornography: Obscenity and the Origins of Modernity, 1500-1800, New York, Zone Books, 1993.
2 Cf. J.-M. Schaeffer, op.cit., p.9.
3 Reprenant les analyses proposées par Bataille au chapitre XII de L’Erotisme (1957), certains historiens ont montré que la prostitution s’était d’abord exercée dans les temples et leurs abords, en particulier en Mésopotamie. Gerda Lerner prouve, par exemple, que la prostitution était conçue à Babylone comme un service à la fois sexuel et cultuel : les officiants mimant pour les dieux, selon des rituels précisément codifiés de fertilité, des scènes sexuelles, si bien que, par une manière de métonymie, la prostitution et la pornographie qui en découle ont peu à peu été perçues comme salutaires pour l’ensemble de la population. Voir G. Lerner, The Creation of Patriarchy, New York, Oxford University Press, 1986, notamment, p.125.
1 commentaire:
Enfin des propos subtils sur la pornographie et une véritable mise en balance avec l'érotisme. Deux termes que le politiquement correct et les convenances tendent à opposer bêtement. Je cherche dorénavant à pouvoir retranscrire ces idées dans des termes plus simples pour les micro débats que suscite une exposition de photos réalisées avec ma chère et tendre amante.
Enregistrer un commentaire