jeudi 7 octobre 2010





N’en déplaise aux partisans des geriatric porn studies dont plusieurs ouvrages de Duke University ont cependant montré toute l’importance1, la belle jeunesse des pensionnats offre plus d’intérêt – du moins fantasmatique, sinon universitaire – aux yeux de la plupart de nos contemporains que l’affreuse décrépitude des hospices. Érotisme et pornographie usent et abusent ainsi du motif de la puella (ou de la uirgo), la jeune fille dont le corps progressivement s’éveille au désir, dont la beauté s’anime et qui, pour son bonheur, ignore encore les devoirs de l’épouse (uxor) et de la mère de famille (matrona). Du genre de l'erotic teen à celui du high school porn, le pensionnat joue un rôle capital dans l’imaginaire de la volupté de l’Occident. Et, même, bien au-delà, car les manga érotiques (ecchi) ou pornographiques (hentaï) nippons sont très fréquemment fondés sur l’érotisation de l’uniforme des lycéennes (blouse blanche, col marin, jupe plissée, loose socks), sur le désir que fait naître la vie commune des étudiantes – chez elles et, surtout, chez qui les observent, à la dérobée, se livrer à leurs jeux innocents ou pervers. L’érotisation du pensionnat – et, plus globalement, du milieu scolaire – est loin d’être neuve. Ses prémices sont, sans nul doute, à chercher, dès avant les Lumières, dans un roman dialogué comme L’École des filles (1655), souvent prêté à Michel Millot et à Jean L’Ange. Cependant au fur et à mesure que la jeunesse s’est imposée comme une notion centrale de nos discours critiques et de nos représentations sociales, au fur et à mesure que l’adolescence est apparue comme concept et s’est sexualisée dans les faits, et au fur et à mesure que l’éducation des jeunes filles2 s’est devéloppée, le pensionnat a acquis toujours plus d’importance dans les fictions érotiques. Or ledit pensionnat est peut-être moins un motif qu’un paradigme déclinant quantité d’images subalternes qui lui sont plus ou moins étroitement liées. Mädchen in Uniform (1931), film allemand de l’entre-deux-guerres, concentre ces icônes, ces métaphores et ces emblèmes qui n’ont jamais été inactuels, même aux époques où le pensionnat était momentanément passé de mode : érotisation de la jeunesse (en l’occurrence Manuela von Meinhardis, la protagoniste du film de Leontine Sagan, a quatorze ans), appartenant souvent à un groupe social en voie de déclassement (l’institution de Potsdam est réservée aux filles de la haute société dont les familles connaissent des difficultés financières), apprentissage de l’amour et du désir par un mentor, un personnage tutélaire (amour de Manuela pour Mademoiselle de Bernburg qui est son professeur), saphisme (renforcé, en France, par les sous-titres ambigus rédigés par Colette), intervention brutale d’une figure autoritaire, voire tyrannique ou sadique (la cruelle directrice), emprisonnement (Manuela est recluse dans une chambre d’isolement), désespoir (Manuela tente de se donner la mort en se jetant dans les escaliers), révolte d’adolescentes perçues non plus comme des individus mais comme un groupe, et, cependant, retour à l’ordre dans un pensionnat qui est comme une caserne, voire comme une prison (la sonnerie finale du couvre-feu). Le socle inconscient de l’érotisation du pensionnat est, me semble-t-il, une forme de paraphilie duelle qui conjugue le fantasme de domination (lequel, précisément, avec la claustration, motive le rapprochement de la pension avec la prison, la caserne, le couvent, le sérail) et le fantasme de l’uniforme de pensionnaire (qu’on retrouve aujourd’hui dans le sailor fuku japonais et qui est au cœur de groupe de jpop comme Akb48). Il faudrait naturellement ajouter à tout cela un fait culturel observable depuis les origines de notre postmodernité : l’attirance des adultes envers les jeunes étudiantes (la précision féminine est d’importance car l’éphébophilie est un phénomène d’origine psychique et social sensiblement différent). De ce point de vue, il faudrait analyser l’érotisation du pensionnat avec les notions et les concept que les critiques japonais ont forgé, notamment celui d’enjo kōsai qui demande d’ailleurs à être rigoureusement distingué du lolicon, nettement pédopornographique.
Olive Schreiner, l’auteur féministe de From Man to Man (1926), déclarait sans détour : « Of all cursed places under the sun, where the hungriest soul can hardly pick up a few grains of knowledge, a girls boarding-school is the worst. They are called finishing schools, and the name tells accurately what they are. They finish everything but imbecility and weakness, and that they cultivate ». Elle ne faisait que reprendre là – dans un Entre-deux-guerres qui, à bien des égards, prolongeait, sur le plan des mœurs, le XIXe siècle bourgeois – les lieux commun attachés à la représentation du pensionnat de jeunes filles, ce vaste cachot où la mélancolie le dispute aux corrections. C’est là la face sombre des internats. Il en heureusement une autre que nous présente avec bonheur les fictions faite de badineries, d’amours, de désirs et de plaisirs. C’est là, cette fois, la pension des délices.



1Voir notamment Linda Williams (éd.), Porn Studies, Durham, Duke University Press, 2004 ou encore Laura Kipnis, Bound and Gagged. Pornography and the Politics of Fantasy in America, Durham, Duke University Press, 1999.
2Voir avant tout : Françoise Lelièvre & Claude Lelièvre, Histoire de la scolarisation des filles, Paris, Nathan, 1991 et Rebecca Rogers, Les Bourgeoises au pensionnat : l’éducation féminine au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.

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