vendredi 15 octobre 2010

Le Songe de la Veuve Dessus





Une des variations littéraires les plus étonnantes sur le thème de la femme dessus nous vient d`un texte singulier, longtemps occulté par la prude tradition philologique espagnole. Il s`agit du petit conte versifié (sorte de fabliau maniériste) Sueno de la viuda, attribué à fray Melchor de la Serna (manuscrit antérieur à 1609).

Accumulation de plaisants topoï issus de la tradition élégiaque, ce poème malicieux juxtapose le thème du rêve érotique évoqué par le titre à une gradation des plaisirs qui vont de la position citée au tribadisme et à hésitation titillante de l`hermaprhodisme.

Veuve éplorée et fortement frustrée par l`inactivité de son sexe, l`héroïne se met à rêver, comme Ovide (Coniugis ante oculos sicut praesentis imago est, Tristes, 3, 4b, 13) ou Properce avant elle (4,7), que son mari lui revient entre les bras. Contrairement à la gravitas des passages élégiaques cités, il s`en suit une chevauchée des plus réjouissantes de la tradition du coït rêvé occidental.

C`est alors qu`intervient le changement de position, écho rêvée des ébats pratiqués jadis avec l`attentioné conjoint (pour qu`elle ne se fatiguât point, nous dit le texte). Et, par un somnambulisme libertin que l`on retrouvera maintes fois dans le corpus érotique, elle se met à chevaucher réellement sa compagne de lit, la belle Teodora.

La réaction (ou plutôt l`absence d`icelle) de celle-ci rejoint une autre topique érotique, celle de la belle abusée dans son sommeil - que l`on songe, outre l’Art d’aimer (Non somnis posita tutum succubere mensa:/ Per somnos fieri multa pudenda solent, 3, 767-68 ), aux nombreux viols mythologiques de femmes endormies (Antiope, Théetis, Amymome ou encore Lotis qui faillit l`être par Priape ne fut-ce par le braiment de l`âne de Silène...).

C`est au réveil que vient le trouble de se retrouver toutes deux enlacées dans la position qui nous occupe. Et là le texte progresse dans le fantasme transgresseur, puisque la veuve, toujours dessus, commence à s`exciter par l`ambiguïté de la jouvencelle.

Le fantasme pousse alors jusqu`à la métamorphose fantastique, puisque Teodora se présente comme réellement transformée en rêve, étrange cas d`hermaphrodisme onirique dont on ne trouve pas de source avérée. Si les rêves de changement de sexe sont considérés comme étant des « rêves type » par l`école freudienne, voire archétypaux par les Junguiens, la transformation réelle pendant le rêve évoque plutôt l`univers des croyances paramédicales et magiques (on affirmait alors que des changements de sexe soudains pouvaient se produire chez des femmes après l`accouchement (1)).


Unissant ainsi dans une figure frappante (l`art maniériste est comme l`on sait tout entier tendu vers l`émerveillement du destinataire) les ambiguïtés du sommeil et de la veille à celles du genre sexuel, le texte allie métamorphose fantastique novatrice (Ovide lui-même n`y avait pas songé dans son catalogue encyclopédique des mutations mythologiques des êtres) et bizarrerie érotique.

Le motif fantastique, pour surprenant qu`il puisse être, hérite malicieusement de la « preuve onirique » introduit par Pindare dans son récit du rêve incubatoire de Bellérophon, preuve qui ici devient le phallus « nouveau-né ». Peut-être aussi peut on y lire l`écho amusé et ironique des relations de succubes érotiques avec lesquelles notre malin moine ne pouvait ne pas être familier. Comme l`on sait depuis Caro Baroja l`Espagne n`opta pas, pendant l`hystérie européenne de la chasse aux sorcières, par la croyance au pouvoir réel de celles-ci (ni, par extension, à la réalité du succubat)(2).

Mais c`est surtout la figure lascive de l`hermaphrodite qui triomphe, grand thème culturel du maniérisme comme l`affirma G. H. Hocke dans son étude aussi inégale que stimulante sur ce complexe mouvement esthétique (interprété comme Labyrinthe de l`art fantastique). « Dans la philosophie magique de la nature et dans l`art maniériste, l`hermaphrodite est le symbole du dualisme qui caractérise le monde surnaturel, l`emblème d`un magique « mariage chymique » (Hocke, Paris, Gonthier, 1967, p. 257). Dans le maniérisme « des représentations provenant de la fin de l`Antiquité contribuent à cette sécularisation qui n`engendre plus que des « curiosités »: « du domaine du mythe les hermaphrodites tombent dans les labyrinthes équivoques du pansexualisme pour devenir des « coeurs doubles », des vamps intellectuelles » (id, p. 258).

C`est à une telle dégradation des référents mythiques (Hermaphroditus le dieu, Tirésias le prophète) que l`on assiste ici. Significativement la représentation de Teodora ne peut qu`évoquer les sculptures hellénistiques des hermaphrodites endormies et offertes au regard (et, avant leur muséification, au toucher) impudique du spectateur. Comme elles elle reste « majoritairement » femme, tout en réservant sa « surprise » au détour d`un angle imprévu. Bien que la plus célèbre de toutes, celle de la Villa Borghese (appartenant à un autre érudit connaisseur de la Sainte Église Catholique, le cardinal Scipion Borghese), n`aie été déterrée qu`autour de 1608, le parallélisme ne peut qu`être frappant (s`agirait-il d`un paradoxe borgésien de l`imaginaire culturel?).

L`hermaphrodisme, enfin, fonctionne ici comme évitement du scandale lesbien, imposant en son sein le culte patriarcal du phallus, qui fait l`objet ici d`un véritable hymne pansexualiste à la limite de la liturgie blasphème, moment d`exaltation rhétorique avant que les deux partenaires ne se donnent à coeur joie à la célébration rituelle que ledit culte appelle.

“De aquellas dulces noches se acordaba
que con su buen marido ella dormia!
Y muchas, creo yo, que ella soñaba,
que entre sus blancas piernas le tenia
y quisiera durara el sueño un ano
por hurtarle la vuelta al desengaño

Pues como una, entre otras, sucediese
que un semejante sueño ella soñase,
y como si el marido alli estuviese,
aunque dormia, asi se menease.

Parece que el marido le dijese
que porque de la carga descansase,
se pusiera ella encima y él debajo
y asi repartirian el trabajo

Agradale el consejo a la señora,
en su dulce soñar perseverando,
y vuélvese a do estaba la Teodora
hacer, lo que soñaba, deseando.

Sobre la cual subiendo, y al ahora
con ella estrechamente se abrazando,
procede con su sueno felizmente
que la Teodora duerme y no lo siente

(...)
Dos horas después questo sucediera,
no sé si con los sones de la cama,
o por lo que decir querra cualquiera
segun los varios dichos de la fama,
despiertan como estaban, abrazadas
En verse asi, quedaron espantadas.

La de debajo, como era doncella,
esta turbada y calla temerosa
mas la duena questaba encima della
comiénzala a decir muy amorosa
-Yo no sé si eres él o si eres ella.
Respondeme, que soy muy cuidadosa,
porque de la mujer tienes el nombre
y tus hechos no son sino de hombre.

Responde la Teodora muy turbada:
-Senora, yo no sé qué responderme.
Estoy de mi figura tan mudada
que no puedo a mi misma conocerme.
De lo que agora soy, yo no sé nada,
ni quién varon de hembra pudo hacerme.
Verdad es que después de ser dormida
soñé que era en hombre convertida.

-Sin duda -dijo luego la senora-
y esa es la causa de lo que ha pasado.
Por tanto dime, amor es? Dime agora...
Dime, mi vida, qué es lo que has soñado?
Que en ese mismo punto y misma hora
un sueño soné yo tan concertado
con ese que tu dices que has tenido,
cuanto lo es el efecto sucedido.

Responde la Teodora convertida
en Teodoro, un mancebo muy apuesto:
-Luego que a prima noche fui dormida
soñé ser hombre, como ya he propuesto
y que siendo por mi vos requerida,
y no faltando a vos voluntad desto,
en esta cama, al fin, nos acostamos
y nos pusimos como agora estamos.

La dueña, vuelta en gozo y alegria
de que tan bien su sueno hubo acertado,
el sueño y la soltura bendecia
y al punto y hora en que fue soñado;
y su sueño a Teodora le decia,
para el uno con otro cotejando
viese cuan bien las dos se concertaron
y los dichosos sueños que soñaron.

Tómale después entre las manos
el miembro genital recién nacido,
al qual daba loores soberanos
poniéndole contino este apellido:

-¡O padre universal de los humanos
de quien tantas naciones an salido!
¡Tú solo das contento a las mugeres
y en ti se cifran todos sus plazeres!

Furiosamente a todas acometes,
y con mayor ardor a los doncellas,
entre las quales, quando te entremetes,
a la primera buelta triunphas dellas.

Tienes tanto dulçor quando te metes,
que aquel dolor que entonçes sienten ellas,
es puntilla del agro que se añade
al muy dulce manjar porque no enfade.

Entre casadas eres tan contino
que, si discretas son, nunca te dejan,
y aunque tengan hecho ya el camino
por más gustar se duelen y se quejan.

Mas como vienes luego y tomas tino,
y ellas mesmas la entrada te aparejan,
entras muy orgulloso y entonado
y sales muy humilde y despechado.

Viudas como yo, Dios sabe quántas
noches no duermen sin tu compañía,
de aquestas nunca vivo te levantas
por más que traygas brío y osadía.

Mas son sus artes y sus mañas tantas,
según se muestra por la mano mía,
que si cinqüenta veçes te marchitan
cinqüenta mill y más te resucitan.

Pues que quanto tú entras denodado
entre las debotísimas beatas,
donde encuentras un virgo remendado
que de solos tres golpes desbaratas.

Allí eres querido y regalado,
pues nunca das herida, que no matas,
y quando las matases desa suerte
sería darles vida con la muerte.

Tú das también el dote a muchas tristes
que huérfanas sus padres las dejaron,
y a las que están desnudas, tú las vistes
y a muchas das remedio que enfermaron.

Ninguna muger ay que no conquistes
y a las que de tus burlas se pribaron
más hazen con la gana y los deseos
que nosotras con obras y meneos.

Desde la mayor reyna hasta la esclava
ninguna muger ay que te aborrezca,
la ques autora no se muestra brava
y no porque desea que anochezca.

Aquella que mirarte rehusaba,
yo fiador que antes que amanezca
ella te ponga tal, aunqués muy sancta,
que llegues con los pies a la garganta.

¡O parte de quien naçe todo el todo,
herida sin lisión en la cabeça,
perdida por vençer del mismo modo
que vienes a perder la fortaleza!

Quien no te quiere, póngase de lodo
y pugne y vença a su naturaleza.
Sin quien no puedo ser, no quiero vida
ques vida violenta y aburrida.

Fray Melchor de la Serna, en El sueño de la viuda
en Antología de la poesía erótica española e hispanoamericana Par Pedro Provencio^p. 197-202

NOTES
1 I. Díez Fernández, La poesía erótica de los Siglos de Oro, Madrid, Arcadia de las Letras, Ediciones del Laberinto,  2003, p. 196

2 Dans le débat épistémologique sur la « réalité » de la sorcellerie qui divise les “augustiniens” (il s’agit d’un pur produit de l’imagination, peut-être sous l’action du Diable) et ceux qui y voient un vrai crime, l`Espagne appuya fortement la thèse augustinienne défendue encore par J. de Salisbuy dans son Policraticus qui accumulait les exempla satiriques se moquant des croyances « populaires »: « El espíritu maligno, con permiso de Dios, dirige su malicia a que algunos crean falsamente real y exterior, como ocurrido en sus cuerpos, lo que sufren en la imaginación y por falta propia (...) ¿Quién será tan ciego que no vea en ello malvada ilusión de los demonios? No hay que olvidar que a quienes tal ocurre es a unas pobres mujercillas y a hombres de los más simples y poco firmes” (J. Caro Baroja, Las brujas y su mundo, Madrid, Alianza, 1969, p. 99).

3 commentaires:

Enid a dit…

Bonjour,
très intéressant. Existe-t-il une traduction en français de Sueno de la viuda ?
Cordial,
Enid

Antonio Domínguez Leiva a dit…

Merci Enid,
non à ce que je sache, c`est bien dommage. Il reste quantité d`oeuvres surprenantes des "Siècles d`or" à découvrir pour les lecteurs francophones... peut-être des receleur/ses s`y attaqueront un jour!

Enid a dit…

ah... dommage ! Et vous ? ne tremperiez-vous pas votre plume pour cela ?
Juste pour celui-ci ? parce que je suis fâchée d'avoir le commentaire (instructif et piquant) sans le déploiement de la lecture et le détail original qui court comme une passemanterie de lit le long de cette histoire.