mercredi 12 octobre 2011
Quand les princesses décapitaient leurs grenouilles 6
Le conte fonctionne alors comme un double inversé de l´imaginaire de la sorcellerie propre au discours savant (manipulations de la créature qui provoquent sa métamorphose), s´appuyant sur une ambivalence symbolique centrale des batraciens qui oppose fortement les grenouilles et les crapauds. Il est d´ailleurs étonnant que le texte français préfère « crapaud » au « der frosch » allemand original ou au « frog » anglais, mais les textes écossais eux-mêmes évoquent la formule ambivalente losgann, à la fois grenouille et crapaud. Le conte illustre pourtant l´imaginaire solaire de la première au détriment de celui, démoniaque, du second. Chtonien (face au caractère aquatique de sa rivale), le crapaud présente une peau pourvue de petites verrues et sans éclat qui le désigne comme figure de la laideur (alors que les illustrations pour enfants insistent sur la brillance symbolique de la couleur verte dont la grenouille est parée à des fins mimétiques, en devenant même l´incarnation). Mais c´est surtout sa toxicité qui en fait, anthropologiquement, une figure de l´abjection (et du coup aussi de la praxis magique, devenue sorcellerie). Les crapauds possèdent des petites glandes excrétrices parotoïdes en arrière de leurs yeux qui synthétisent et libèrent une substance laiteuse qui les protégent des prédateurs, bloquant le système nerveux de ceux-ci voire provoquant sa paralysie ou encore la mort. Sur les entrefaites de cette fascinante bivalence, nous ne pouvons que vivement conseiller la lecture de l´ouvrage de Valérie Boll Autour du couple ambigu crapaud-grenouille: recherches ethnozoologiques.
Une autre symbolique du crapaud qui a pu influencer le motif culturel du baiser provient de l´iconographie alchimique. Nous en trouvons l´illustration dans le classique L'Atalanta fugiens ou "Les nouveaux emblèmes chymiques des secrets de la nature" publié en 1617 par Michael Maier, physicien de l'empereur occultiste Rodolphe II. L´emblème V « Appone mulieri super mammas bufonem, ut ablactet eum, & moriatur mulier, sitque bufo grossus de lacte » est suivi de l´étrange imago érotique où, au milieu d´une rue praguoise où flânent les badauds, le rituel du don courtois se transforme en agression au sein alléchant de la belle ébahie.
Suit, selon l´usage, l´épigramme qui découple l´effet d´énigme produit par le symbolon:
« Sur le sein de la femme place un crapaud glacé
Pour que, tel un enfant, il s’abreuve de lait.
Tarissant la mamelle, qu’il s’enfle, énorme bosse,
Et la femme épuisée abandonne la vie.
Ainsi tu te feras un illustre remède
Qui chasse le poison du cœur, ôtant son mal »
Et enfin le « Discours » qui explique tout cela par une série de digressions caractéristiques de la raison baroque, faisant notamment appel à la philosophia naturalis :
« les philosophes disent qu’il faut placer sur le sein de la femme un crapaud, pour qu’elle le nourrisse de son lait, à la manière d’un enfant. C’est là chose déplorable et affreuse à contempler, disons même impie, que le lait destiné à un petit enfant soit présenté au crapaud, bête venimeuse et ennemie de la nature humaine. Nous avons entendu et lu des récits sur les serpents et les dragons qui tarissent les pis des vaches. Peut-être les crapauds auraient-ils la même convoitise si l’occasion s’en offrait à eux chez ces animaux. (…)le crapaud occupe non la bouche mais le sein de la femme, dont le lait le fait croître jusqu’à ce qu’il devienne d’une grandeur et d’une force considérables et que, de son côté, la femme, épuisée, dépérisse et meure. Car le venin, par les veines de la poitrine, se communique facilement au cœur qu’il empoisonne et éteint, comme le montre la mort de Cléopâtre : elle plaça des vipères sur son sein quand elle eut décidé d’être devancée par la mort, pour ne pas être tramée dans les mains et les triomphes de ses vainqueurs. Mais, afin que nul n’estime les philosophes assez cruels pour ordonner d’appliquer à la femme un serpent venimeux, on doit savoir que ce crapaud est le petit, le fils de cette même femme, issu d’un enfantement monstrueux. Il doit, en conséquence, selon le droit naturel, jouir et se nourrir du lait de sa mère. Il n’entre pas dans la volonté du fils que la mère meure. Car il n’a pu empoisonner sa mère, celui qui avait été formé dans ses entrailles et s’était augmenté, grâce à son sang »
Le récit digressif se complexifie et nous voici partis dans un jeu de labyrinthes dont affectionne l´âge baroque, car le crapaud de l´image n´est donc nul autre que le fils de la belle ( !). Et de cette « scène primordiale » quasi-freudienne nous passons à la minéralogie alchimique :
« Est-ce, en vérité, un prodige, que de voir un crapaud naître d’une femme ? Nous savons que cela s’est produit à une autre occasion. Guillaume de Newbridge, écrivain anglais, écrit dans ses Commentaires (avec quelle fidélité, que d’autres en décident !) que, tandis que l’on partageait une certaine grande pierre, dans une carrière située sur le territoire de l’évêque de Wilton, on trouva à l’intérieur un crapaud vivant muni d’une chaîne d’or. Sur l’ordre de l’évêque, il fut enfoui à la même place et plongé dans de perpétuelles ténèbres, de peur qu’il ne portât avec lui quelque mauvais sort. Tel est aussi ce crapaud, car il est rehaussé d’or. Ce n’est pas sans doute un or apparent et consistant en l’ouvrage artificiel, d´une chaîne, mais un or intérieur, naturel, celui de la pierre que d’autres nomment borax, chelonitis, batrachite, crapaudine ou garatron ».
Madone alchimique, la femme allaitant le crapaud en vient à illustrer donc une des modalités de la Grande Œuvre, opération délicate de la Matière Première pour obtenir la Pierre Philosophale... Comme l´explique Rafal T. Prinke :
“In the English alchemical tradition the Toad is a symbol of the First Matter of the Work, which is Saturnine in nature (which does not have to mean lead but any substance associated with Saturn). Sometimes it refers only the the phase of Putrefaction or Caput Corvi, on account of its Saturnine symbolism ("Regnum Saturni"), sometimes also to the Philosophers' Stone itself, as the "jewel" hidden in the Toad's head (i.e. in the First Matter). This kind of symbolism seems to have been continued by later alchemists in England, through continuous interest in the works of Ripley displayed by such authors as Elias Ashmole, Eirenaeus Philalates, or Samuel Norton, the grandchild of Ripley's supposed apprentice Thomas Norton” (The Hermetic Journal, 1991, 78-90)
De fait, comme Prinke le signale, l´épigramme de Meier reprend la symbolique du poème The Vision de George Ripley:
A Toad full Ruddy I saw, did drink the juice of Grapes so fast,
Till over-charged with the broth, his Bowels all to brast:
And after that, from poyson'd Bulk he cast his Venom fell,
For Grief and Pain whereof his Members all began to swell.
mais en l´infléchissant: « In this case the Toad drinks Virgin's Milk instead of Juice of Grapes, which may be just different terminology. However, it is the woman who dies, not the Toad. The sexual interpretation can also have been intended as a woman with a toad on her breast is identical with the symbol of debauchery or sexual attraction used by Bosch”. Ce passage “from physical alchemy of Ripley and his contemporaries (i.e. probably describing actual chemical processes) to the highly spiritualized (and possibly incorporating the sexual aspect) alchemy of the 17th century Rosicrucian Englightenment” retrouve donc, détourné, l´imaginaire saturnien et sinistre qui hantait les crapauds de la sorcellerie…
Il n´y a pas une préséance des mythes de la sorcellerie ou de l´alchimie sur la logique imaginaire du conte, mais sans doute une contiguïté de représentations par laquelle les usages rituels du crapaud et ses pouvoirs de transformation furent inversés axiologiquement dans la symbolique des grenouilles chère aux contes populaires. Figure bivalente dans le conte des Grimm elle passa du dégoût à l´acceptation non seulement à l´intérieur du récit mais aussi, historiquement, dans les différentes versions qui allèrent de la mise à mort transformatrice au baiser magique, geste à forte valeur anthropologique avant que d´être banalisé et dessubstantialisé dans quantité de productions culturelles.
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A la piste psychanalytique on est tenté d´ajouter, comme le fit Propp dans le deuxième volet de son étude sur le conte russe (dont on ne retient que la partie morphologique, qu´il ne voyait pourtant que comme une nécessaire propédeutique), la piste culturaliste de l´histoire des symboliques.
Nul besoin, pourtant, de plonger dans les velléités des vieux comparatismes anthropologiques à la James Frazer et remonter à des hypothétiques hiérogamies totémiques dont ces contes du cycle du mariage animal ("beast marriage cycle") et plus concrètement de transformation nuptiale d´un reptile ou un amphibien que l´on retrouve dans le monde entier (et dont un des plus clairs exemples est le conte Kafir The Bird That Made Milk, dans lequel un crocodile retrouve sa forme première lorsqu´une gentille fille lui lèche le visage, Leach 1972, p. 426). Les pionniers Romantiques de l´ethnologie crurent trouver dans des lointaines croyances orientales à la métempsychose la racine universelle de cet univers en perpétuelle métamorphose qui caractérise les contes, sans pouvoir retracer les étapes de ce diffusionnisme.
L´on ne saura jamais exactement comment ces vieilles structures rituelles et mythiques se sont « dégradées » ou tout simplement transformées jusqu`à n´être plus que des bribes narratives agglutinés dans des cycles de contes immémoriaux. Mais l´on peut retrouver des symboliques culturelles précises qui ont du travailler les représentations, dans la lignée de l´ethnohistoire qui historicise, précisément, ce temps des contes que l´on a trop longtemps cru immobile.
Il est ainsi frappant de voir que l´univers du conte constitue l´envers en quelque sorte diurne d´éléments propres à une sphère essentielle de la première modernité, celle du « monde des sorcières » pour reprendre le titre de l´incontournable étude de Julio Caro Baroja, toujours si pertinente.
Certaines utilisations magiques des crapauds dans l´Europe de la première modernité correspondent en effet au traitement cruel qu´inflige la princesse à son prétendant dans les contes.
“The Toad Fair was held annually in Dorsetshire during the beginning of May by the local cunningman during which charms were sold against various illnesses were sold. There are several regional differences as to the manner in which the charm was constructed. In Stalbridge, the legs of a live toad were torn off and then placed in a bag to be worn around the neck against scofula and the king's evil.. These same charms in Lydlinch used the whole toad. The charm made in Blackmore Vale Dairy was good against the king's evil and tubercular wounds. The patient was first told to open their clothing so that their chest was bared. Then, the cunningman chopped off the head of the toad and dropped the writhing creature into a muslin bag which was then suspended around their neck and dropped down the patient's chest. If the patient did not get nauseated by the experience they would live and the charm would be successful.” (Open Ways Magazine, Samhain 2000 Issue, p. 5-6)
Notons aussi que les crapauds décapités, ébouillantés ou pulvérisés étaient des ingrédients traditionnels de la cuisine des sorcières.
“Toads were common ingredients in various magical recipes. According to lore, witches decapitated and skinned them and then threw them into their ca uldrons along with other bizarre ingredients. A lotion made of toad’s spittle and sowthistle sap could make a witch invisible. In folk magic remedies, the ashes of a burned toad mixed with brandy was believed to be an effective cure for drunkenness. In fantastic tales of witches’ sabbats during the witch hunts, witches were said to bite, mangle and tear apart toads in their worship of the Devil” (Rosemary Guiley, The encyclopedia of witches, witchcraft and wicca, Facts on file, 2008, p. 345).
Pour ce qui est du baiser, c´est bien entendu une des variantes du « osculum infame » ou baiser de la honte que les sorcières sont censées administrer lors de leurs rencontres avec le Diable : “Tales from the 12th century tell of Satan appearing to his followers in the form of black cats or toads and demanding kisses under the cat´s tail or in the toad´s mouth” (Id, p. 192).
Le motif du baiser du crapaud, outre sa symbolique de la pure abjection (renforcée par les référents bibliques qui en font une anti-créature), pourrait même renvoyer, dans le sillage des études de Ginzburg et A. Escohotado, à des pratiques déformées par l´imaginaire confus de la sorcellerie fantasmé par les inquisiteurs. L´on connaissait alors l´utilisation toxique et pharmacologique de la bufotérine, à la fois poison et puissant hallucinogène.
“Toad skins are covered with glands that secrete a thick, white poison when the toad is provoked or injured. The poison, bufotenin, also called toads’ milk in popular lore, is hallucinogenic. Depending on the species of toad, the poison may simply taste bad or it may kill.
As early as Roman times women used poisonous toads to remove unwanted husbands or lovers.[The fungus gets its name because Europeans believe toads ingested their venom by eating poisonous mushrooms, hence toadstool.] Medieval soldiers wounded their enemies by discreetly rubbing the secretions of Bufo vulgaris, the common toad, into the skin. When boiled in oil, the bufo easily secreted venom which could be skimmed off the top..” Id, p. 273
L´on peut alors voir la composante chamanique de ces baisers des crapauds ainsi que des transformations humaines que l´on leur supposait, puisque c´est une des créatures essentiellement métamorphes de l´imaginaire. Dans le contexte inquisitorial ce pouvoir ne peut que renvoyer au Malin. Ainsi celui-ci se transforme très souvent en crapaud, comme le montre entre quantité d´autres exemples le procès de Amy Duny de Lowestoft, Suffolk, évoqué par Cotton Mather dans On Witchcraft: Being the Wonders of the Invisible World (1692).
“Duny’s fate as a witch was sealed when she was hired as a baby-sitter by Dorothy Durent for her infant. Duny tried to nurse the baby, William, contrary to Durent’s instructions, and was reprimanded, much to her (obvious) displeasure. Not long after, the baby began having fits that went on for weeks. Durent took it to a “white witch” doctor (a man), who told her to hang the child’s blanket in a corner of the chimney for a day and a night, then wrap the infant in it and burn anything that fell out. According to Mather: “. . . at Night, there fell a great Toad out of the Blanket, which ran up and down the Hearth. A Boy catch’t it, and held it in the Fire with the Tongs: where it made a horrible Noise, and Flash’d like to Gun-Powder, with a report like that of a Pistol: Whereupon the Toad was no more to be seen."(Id, p. 44)
Inversement les sorciers peuvent se métamorphoser eux-mêmes en crapauds, comme le montre le cas de John Palmer de St Albans
“In another English witchcraft case in 1649, John Palmer of St. Albans confessed that he had metamorphosed into a toad in order to torment a young man with whom he had had a quarrel. As a toad, Palmer waited for the man in a road. The man kicked the toad. After he returned to the shape of a man, Palmer then complained about a sore shin and bewitched his victim. In areas where witchcraft fears ran high, the sight of nearly any hare or stray dog caused great concern.”
Id, p. 231
Les crapauds sont par ailleurs les “familiers” naturels des sorcières, qui les nourrissaient avec du lait comme l´on voit sur l´illustration (supra), en vue sans doute de l´utilisation de leurs vertus pharmacologiques.
« Witches were said to take great care of their familiars. As Emile Grillot de Givry described in Witchcraft, Magic and Alchemy (1931) “they baptized their toads, dressed them in black velvet, put little bells on their paws and made them dance.” Familiars were dispatched to bewitch people and animals into sickness and death. They also protected their witches. In return, witches gave them what they craved: blood".
Id, p. 122
L´intoxication et la métamorphose sont bel et bien des traits essentiellement caractéristiques de ces « techniques archaïques de l´extase » étudiées par M. Eliade dans sa Somme célèbre sur Le Chamanisme. De l´ingestion rituelle du poison hallucinogène au motif du baiser infâme il y a certes un chemin tortueux, plus encore que celui qui va de la décapitation au baiser de la grenouille dans les contes, mais l´on ne peut ignorer le poids anthropologique de ces rituels sur les représentations dans ce « temps immobile » qui caractérisa les sociétés paysannes.
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Curieusement, c´est ici que notre trace se perd : nul ne sait qui introduit le motif du baiser transformateur propre à d´autres récits de métamorphose mais opposé aux avatars cruels des versions originaires. Cette mutation majeure de l´histoire du conte inaugural, et peut-être le plus schématiquement archétypal, du recueil des frères Grimm, n´a pas laissé de trace. Maria Tatar, dans The Annotated Brothers Grimm, l´attribue aux "versions Américaines de l´histoire", sans apporter aucune précision.
Nous pouvons néanmoins tenter de comprendre la logique qui mena de la décapitation à la projection puis à l´érotisation du baiser, désormais image de marque de l´univers féerique dans la culture populaire. Il y a tout d´abord la piste psychanalytique puisque cette inversion de l´agressivité en érotisme obéit à la logique même de l´ambivalence qui entoure ce rite de passage, version pratiquement translucide de la perte de la virginité, à la fois source de rejet ritualisé et d´acceptation à un nouveau régime de vitalité.
C´est la piste tracée par Bruno Bettelheim dans sa célèbre étude The Uses of Enchantment (1975).
« The closer the frog comes to the girl physically, the more disgusted and anxious she gets, particularly about being touched by it. The awakening to sex is not free of disgust or anxiety, even anger. anxiety turns into anger and even hatred as the princess flings the frog against her bedroom wall.
By thus asserting herself and taking risks in doing so -- as opposed to her previous trying to weasel out and then simply obeying her father's commands -- the princess transcends her anxiety, and hatred changes into love (…) At the end she has developed her own independence by going against her father's orders. As she thus becomes herself so does the frog: it turns into a prince” (p. 288).
Ainsi, "the story tells that we cannot expect our first erotic contacts to be pleasant, for they are much too difficult and fraught with anxiety. But if we continue, despite temporary repugnance, to permit the other to become ever more intimate, then at some moments we will experience a happy shock of recognition when complete closeness reveals sexuality´s true beauty" (p. 288).
De là la transition, dans les réécritures mêmes du conte, du dégoût vers cette cohabitation paisible dans le lit nuptial. Ne connaissant pas les variantes décapitatrices du texte, le psychanalyste perd une bonne occasion d´évoquer la figure de la castration qui pour Freud se cachait derrière les représentations oniriques ou artistiques de ce supplice et qui deviendrait donc ici figure suprême du rejet du phallus intrusif, dont l´insistence même est insupportable.
"Mais et la grenouille alors?" demande judicieusement Bettelheim. "It, too, has to mature before union with the princess can become possible. Like every child, the frog desires an entirely symbiotic existence. What child has not wished to sit on Mother's lap, eat from her dish, drink from her glass, and has not climbed into Mother's bed, trying to sleep there with her? But after a time the child has to be denied the symbiosis with Mother, since it would prevent him from ever becoming an individual. Much as the child wants to remain in bed with Mother, she has to 'throw' him out of it -- a painful experience but inescapable if he is to gain independence" (p. 289).
Cette délicate économie fantasmatique du conte enveloppe pour le psychanalyste une vraie propédeutique à la sexualité, sans confronter l´enfant à l´évocation du réel lacanien. « It must be conveyed to children that sex may seem disgustingly animal-like at first, but that once the right way is found to approach it, beauty will emerge (...) and in due time this disgusting frog will reveal itself as life´s most charming companion”.
Julius Heuscher reprend et résume cette interprétation: "The innocent young girl's fear of and repugnance toward the male genitals and the transformation of this disgust into happiness and sanctioned matrimony can hardly be symbolized better than by this transformation of the frog into the prince" (Heuscher 1974).
On voit alors comment la surimposition du motif du baiser fonctionne à la fois comme une explicitation de la composante érotique de l´histoire et comme une occultation de cette dynamique essentielle qui va du dégoût à l´appétit, pour paraphraser Bossuet et Gainsbourg qui le détourne.
Inévitable, cette transformation ne pouvait que simplifier l´ambivalence du conte, voire, ultimement, le banaliser.
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D´estomper la grenouille contre le mur, comme on le lit dans la version des frères Grimm n´est on le voit qu´une atténuation du geste radical des variantes anglo-écossaises. Or, symptomatiquement, les Grimm vont atténuer encore cette violence dans leur deuxième version du conte qui sera par la suite exclue de leurs rééditions, étant donné la trop grande redondance entre les versions.
“Before she fell asleep she heard something scratching at the door and a voice singing:
Open up! Open up!
Youngest daughter of the king.
Remember that you promised me
While I was sitting in the well,
That you would be my sweetheart dear,
If I would give you water clear.
"Ugh! That's my boyfriend the frog," said the princess. "I promised, so I will have to open the door for him." She got up, opened the door a crack, and went back to bed. The frog hopped after her, then hopped onto her bed where he lay at her feet until the night was over and the morning dawned. Then he jumped down and disappeared out the door.
The next evening, when the princess once more had just gone to bed, he scratched and sang again at the door. The princess let him in, and he again lay at her feet until daylight came. He came again on the third evening, as on the two previous ones. "This is the last time that I'll let you in," said the princess. "It will not happen again in the future." Then the frog jumped under her pillow, and the princess fell asleep. She awoke in the morning, thinking that the frog would hop away once again, but now a beautiful young prince was standing before her. He told her that he had been an enchanted frog and that she had broken the spell by promising to be his sweetheart. Then they both went to the king who gave them his blessing, and they were married”.
Jacob and Wilhelm Grimm, Der Froschprinz, Kinder- und Hausmärchen, 1st ed. (Berlin, 1812/1815), v. 2, no. 13
La symbolique violente de l´ab-réaction féminine à l´égard de cette présence bestiale est ici effacée par une symbolique somme toute beaucoup plus sexuelle, celle du partage itératif de la couche nuptiale.
C´est cette version édulcorée (mais ironiquement plus érotisée) du motif de la métamorphose que retiendra le traducteur anglais de l´œuvre, Edgar Taylor, pour le public enfantin victorien.
« And when he had eaten as much as he could, he said, "Now I am tired. Carry me upstairs and put me into your little bed."
And the princess took him up in her hand and put him upon the pillow of her own little bed, where he slept all night long. As soon as it was light he jumped up, hopped downstairs, and went out of the house.
"Now," thought the princess, "he is gone, and I shall be troubled with him no more."
But she was mistaken; for when night came again, she heard the same tapping at the door, and when she opened it, the frog came in and slept upon her pillow as before till the morning broke.
And the third night he did the same; but when the princess awoke on the following morning, she was astonished to see, instead of the frog, a handsome prince gazing on her with the most beautiful eyes that ever were seen, and standing at the head of her bed.
He told her that he had been enchanted by a malicious fairy, who had changed him into the form of a frog, in which he was fated to remain till some princess should take him out of the spring and let him sleep upon her bed for three nights. "You," said the prince, "have broken this cruel charm, and now I have nothing to wish for but that you should go with me into my father's kingdom, where I will marry you, and love you as long as you live."
German Popular Stories, translated [by Edgar Taylor] from the Kinder und Haus Märchen, collected by M. M. Grimm, from Oral Tradition (London: C. Baldwyn, 1823), pp. 205-210.
La place était ouverte pour une sentimentalisation de la métamorphose que l´on retrouve, par exemple chez les frères Colshorn.
“Darkness fell, and after the maiden had awakened from her unconsciousness, she heard the frog outside singing wonderfully sweet melodies. As midnight approached, he sang ever more sweetly, and came closer and closer to her. At midnight the bedroom door opened, and the frog jumped onto her bed. However, he had touched her with his sweet songs, and she took him into bed with her and warmly covered him up.
The next morning when she opened her eyes, behold, the ugly frog was now the handsomest prince in the world. He thanked her with all his heart, saying, "You have redeemed me and are now my wife!" And they lived long and happily together”.
Carl and Theodor Colshorn, Der verwunschene Frosch, Märchen und Sagen (Hannover: Verlag von Carl Rümpler, 1854), no. 42, pp. 139-141
Quand les princesses décapitaient leurs grenouilles 2
Même motif structurel dans « The Tale of the Queen Who Sought a Drink From a Certain Well », conte écossais recueilli de la bouche d´une informatrice locale par le folkloriste John Francis Campbell dans Popular Tales of the West Highlands (1860), et dont les traces les plus lointaines remonteraient à la Complaynt of Scotland de 1548.
"They had betaken themselves to rest in the night when the toad came to the door saying:--
"A CHAOMHAG, A CHAOMHAG,
AN CUIMHNEACH LEAT
AN GEALLADH BEAG
A THUG THU AIG
AN TOBAR DHOMH,
A GHAOIL, A GHAOIL."
"Gentle one, gentle one,
Rememberest thou
The little pledge
Thou gavest me
Beside the well,
My love, my love."
When he was ceaselessly saying this, the girl rose and took him in, and put him behind the door, and she went to bed; but she was not long laid down, when he began again saying, everlastingly:--
"A hàovaig, a hàovaig,
An cuineach leat
An geallug beag
A hoog oo aig
An tobar gaw,
A géule, a géule."
Then she got up and she put him under a noggin; that kept him quiet a while; but she was not long laid down when he began again, saying --
"A hàovaig, a hàovaig,
An cuineach leat
An geallug beag
A hoog oo aig
An tobar gaw,
A géule, a géule."
She rose again, and she made him a little bed at the fireside; but he was not pleased, and he began again saying, "A chaoimheag, a chaoimheag, an cuimhneach leat an gealladh beag a thug thu aig an tobar dhomb, a ghaoil, a ghaoil." Then she got up and made him a bed beside her own bed; but he was without ceasing, saying, "A chaoimheag, a chaoimheag, an cuimhneach leat an gealladh beag a thug a thug thu aig an tobar dhomb, a ghaoil, a ghaoil." But she took no notice of his complaining, till he said to her, "There is an old rusted glave behind thy bed, with which thou hadst better take off my head, than be holding me longer in torture."
She took the glave and cut the head off him. When the steel touched him, he grew a handsome youth; and he gave many thanks to the young wife, who had been the means of putting off him the spells, under which he had endured for a long time. Then he got his kingdom, for he was a king; and he married the princess, and they were long alive and merry together".
Popular Tales of the West Highlands: Orally Collected, vol. 2 (Edinburgh: Edmonston and Douglas, 1860), no. 33, pp. 130-32.
Enfin, même décapitation du batracien dans la version anglo-écossaisse The Well of the World's End, recueillie par Joseph Jacobs, l´éditeur du journal fondateur Folklore, dans ses célèbres English Fairy Tales (1890, n. 41)
And when the frog had finished, it said:
"Go with me to bed, my hinny, my heart,
Go with me to bed, my own darling;
Mind you the words you spake to me,
Down by the cold well, so weary."
But that the girl wouldn't do, till her stepmother said: "Do what you promised, girl; girls must keep their promises. Do what you're bid, or out you go, you and your froggie."
So the girl took the frog with her to bed, and kept it as far away from her as she could. Well, just as the day was beginning to break what should the frog say but:
"Chop off my head, my hinny, my heart,
Chop off my head, my own darling;
Remember the promise you made to me,
Down by the cold well so weary."
At first the girl wouldn't, for she thought of what the frog had done for her at the Well of the World's End. But when the frog said the words over again she went and took an axe and chopped off its head and lo! and behold, there stood before her a handsome young prince, who told her that he had been enchanted by a wicked magician, and he could never be unspelled till some girl would do his bidding for a whole night, and chop off his head at the end of it.”
Enfin d´autres versions soumettent le batracien à un traitement encore plus cruel, la princesse l´ébouillantant vivant tel que l´évoque Maria Leach dans Funk & Wagnalls standard dictionary of folklore, mythology, and legend. New York: Funk & Wagnalls (1972).
Quand les princesses décapitaient leurs grenouilles 1
1. Qu´il ne faut point embrasser les grenouilles...
Le rituel vaguement zoophilique d´embrasser les grenouilles pour qu´elles se transforment en princes est un exemple assez frappant du processus de domestication et sentimentalisation qu´ont connu les contes populaires dans le droit fil du "processus de civilisation" étudié jadis par Norbert Elias et l´acculturation des sociétés paysannes analysée par son disciple R. Muchembled.
Faussement attribué à des sources populaires, ce geste amoureux en est venu à constituer un des topoï identificateurs de la féerie elle-même, sans cesse véhiculé et parodié dans des productions qui vont du dysnéien The Princess and the Frog à la trilogie Shrek.
Par un effet de "mélecture" vivace on s´obstine à l´associer avec le conte des frères Grimm qui instaure la métamorphose du batracien en figure princière, « Der Froschkönig oder der eiserne Heinrich », « Le Roi Grenouille ou Henri de Fer », conte qui occupe symptomatiquement une position inaugurale dans le premier tome des célèbres Contes de l'enfance et du foyer (Kinder- und Hausmärchen, 1812).
Or il n´y est nulle question d´embrasser la répugnante créature, tout au contraire. Tenue de devenir sa compagne en échange de son aide pour récupérer sa balle d´or au fond d´une fontaine (étrange pacte pour une non moins étrange hiérogamie), la princesse doit subir les pressantes demandes de cet hôte malséant.
"Lorsqu’il eut mangé à sa faim, il dit : « Maintenant je suis fatigué et je veux aller dormir, porte-moi dans ta chambrette, prépare ton petit lit douillet et nous nous y étendrons ensemble ».
La fille du roi fut effrayée quand elle entendit cela, elle avait peur du crapaud et de son corps froid, elle n’osait pas le toucher et voilà qu’elle devrait partager son lit avec lui. Elle se mit à pleurer et refusa. Alors le roi se fâcha et lui ordonna, puisqu’elle s’y était engagée, de faire ce qu’elle avait promis. Rien n’y fit, elle dut faire ce que son père voulait, mais son cœur était rempli de colère. Elle prit le crapaud du bout des doigts et le monta dans sa chambre, elle se coucha sur son lit mais au lieu de le coucher à côté d’elle, elle le lança violemment contre le mur : « Et maintenant, laisse-moi tranquille, vilain crapaud ».
Le crapaud ne retomba pas mort sur le lit, mais c’est un joli prince qu’elle vit alors à son côté. Il devint son cher compagnon, elle l’aima et l’estima comme elle l’avait promis. Heureux d’être ensemble ils s’endormirent".
Voilà pour cette étrange métamorphose, éminemment sexuelle, qui se passe de sentimentalisations et relève de la pure abjection.
2... mais les décapiter
La réaction de la charmante princesse n´est rien comparée à celle de ses homologues dans les versions les plus anciennes du conte, qui dans la classification des contes-types d'Aarne et Thompson donne titre aux contes de type AT 440 (« Les Rois-Grenouilles »).
Ainsi dans Popular Rhymes of Scotland (1842), Robert Chambers réfère-t-il une version du conte que lui aurait raconté son ami Charles Kirkpatrick Sharpe qui l´aurait entendu de sa nourrice vers 1784 et où l´héroïne décapite carrément la bestiole.
"O ay," says the mother, "put the poor paddo to bed." And so she put the paddo to his bed. (Here let us abridge a little.) Then the paddo sang again:
Now fetch me an axe, my hinnie, my heart,
Now fetch me an axe, my ain true love;
Remember the promise that you and I made,
Down i' the meadow, where we twa met.
Well, the lassie chappit aff his head; and no sooner was that done, than he started up the bonniest young prince that ever was seen. And the twa lived happy a' the rest o' their days”.
Popular Rhymes of Scotland: New Edition (London and Edinburgh: W. and R. Chambers, 1870), pp. 87-89
Notons, fait symptomatique, l´escamotage (sous couvert d´économie narrative) du moment où l´amant-grenouille entre dans le lit nuptial, avant de demander à être décapité.
La scène est plus longuement évoquée dans Popular Rhymes and Nursery Tales: A Sequel to the Nursery Rhymes of England (1849) de James Orchard Halliwell-Phillipps, tout aussi régie par la décapitation transformatrice.
“That night, immediately supper was finished, the frog again exclaimed:
Go wi' me to bed, my hinny, my heart,
Go wi' me to bed, my own darling;
Remember the words you spoke to me,
In the meadow by the well-spring.
She again allowed the frog to share her couch, and in the morning, as soon as she was dressed, he jumped towards her, saying:
Chop off my head, my hinny, my heart,
Chop off my head, my own darling;
Remember the words you spoke to me,
In the meadow by the well-spring.
The maiden had no sooner accomplished this last request, than in the stead of the frog there stood by her side the handsomest prince in the world, who had long been transformed by a magician, and who could never have recovered his natural shape until a beautiful virgin had consented, of her own accord, to make him her bedfellow for two nights. The joy of all parties was complete; the girl and the prince were shortly afterwards married, and lived for many years in the enjoyment of every happiness”
Popular Rhymes and Nursery Tales: A Sequel to the Nursery Rhymes of England (London: John Russell Smith, 1849), pp. 43-47.
lundi 9 mai 2011
Baudelaire et ses cervelles d´enfant 5
Pour le Divin Marquis à l´ombre duquel se situe le Romantisme noir dont Baudelaire hérite et qu´il transforme en un tournant capital, l´infanticide et le cannibalisme constituent deux profonds piliers du système libertin. Tous deux s´érigent en parfaits exemples du régime meurtrier de la Physis (la Nature étant, chez Sade, la parfaite Ogresse), puisque les crimes "les plus utiles, sans doute, sont ceux qui troublent le plus, tels que le refus de la propagation ou la destruction" (Histoire Juliette, IV, IX, 172), notamment l´infanticide qui reste "l´action qui s´accorderait le mieux aux vues de la nature parce qu´elle rompt la chaîne de la progéniture, elle ensevelit un plus grand nombre de germes" (HJ, IV, IX 176) ; d´autant plus que, anticipant la boutade d´Alfred Jarry déjà cité, "la prompte facilité que tout homme possède de réparer ce léger délit en absorbe entièrement tout le mal" (HJ, IV, pIX, 176).
Dolmancé se fait un devoir d´en faire l´apologie dans La Philosophie dans le Boudoir:
« Étendant la mesure de nos droits, nous avons enfin reconnu que nous étions parfaitement libres de reprendre ce que nous n'avions donné qu'à contre-cœur ou par hasard, et qu'il était impossible d'exiger d'un individu quelconque de devenir père ou mère s'il n'en a pas envie; que cette créature de plus ou de moins sur la terre n'était pas d'ailleurs d'une bien grande conséquence, et que nous devenions, en un mot, aussi certainement les maîtres de ce morceau de chair, quelque animé qu'il fût, que nous le sommes des ongles que nous retranchons de nos doigts, des excroissances de chair que nous extirpons de nos corps, ou des digestions que nous supprimons de nos entrailles, parce que l'un et l'autre sont de nous, parce que l'un et l'autre sont à nous, et que nous sommes absolument possesseurs de ce qui émane de nous. En vous développant, Eugénie, la très médiocre importance dont l'action du meurtre était sur terre, vous avez dû voir de quelle petite conséquence doit être également tout ce qui tient à l'infanticide, commis sur une créature déjà même en âge de raison; il est donc inutile d'y revenir: l'excellence de votre esprit ajoute à mes preuves. La lecture de l'histoire des mœurs de tous les peuples de la terre, en vous faisant voir que cet usage est universel, achèvera de vous convaincre qu'il n'y aurait que de l'imbécillité à admettre du mal à cette très indifférente action ».
Non seulement ces deux extrêmes trouvent leur justification dans la nature (« Combien de races parmi les animaux nous donnent l’exemple de l’infanticide ! Combien en est-il qui, comme le lapin, n’ont pas de plus grand plaisir que celui de dévorer leurs enfants ! », La Nouvelle Justine, VI, op. cit., t. 2, p. 559) mais ils constituent un des « combles » de la jouissance, comme le montrent entre autres l´ogre Minsk ou le pape Braschi (« Ce fut là où je reconnus toute la cruelle scélératesse de ce monstre. Il suffit d'être sur le trône pour porter ces infamies à leur dernier période : l'impunité de ces coquins couronnés les entraîne à des recherches que n'inventeraient jamais d'autres hommes. Enfin ce scélérat, ivre de luxure, arrache le cœur de cet enfant, et le dévore en perdant son foutre », Histoire de Juliette, V).
Le Romantisme noir va transformer la rupture anthropologique sadéenne en volonté de provocation anti-bourgeoise, accompagnant la mutation du rôle de l´écrivain dans le champ littéraire régi désormais par les règles strictes du marché capitaliste.
C´est ainsi que l´artiste nouveau se pare de l´ombre du Divin Marquis pour se désigner comme une créature d´exception et instaurer fantasmatiquement un nouvel ordre de légitimité, en tout point opposé aux exigences nouvelles qui pèsent sur sa carrière et régissent le corps social dans son ensemble. Dandys, les écrivains romantiques du Petit Cénacle jouent aux cannibales au Graziano, en une performance avant-la-lettre de Gérard de Nerval, tel que le rapporte Théophile Gautier.
« Son père, en sa qualité d'ancien chirurgien d'armée, avait une assez belle collection anatomique. Le crâne avait appartenu à un tambour-major tué à la Moskowa, et non à une jeune fille morte de la poitrine, nous dit Gérard, et je l'ai monté en coupe au moyen d'une poignée de commode en cuivre fixée à l'intérieur de la boîte osseuse par un écrou tourné sur un pas de vis. On remplit la coupe de vin, on la fit passer à la ronde, et chacun en approcha ses lèvres avec une répugnance plus ou moins bien dissimulée.
- Garçon, de l'eau des mers! s'écria, lorsque la tournée fut finie, un néophyte outrant le zèle.
- Pourquoi faire, mon garçon? lui dit Jules Vabre.
- N'est-il pas dit de Han d'Islande : « II buvait l'eau des mers dans le crâne des morts »? Eh bien! je veux faire comme lui et boire à sa santé; il n'y a rien de plus romantique et de plus... comique, nous n'avons pas pu nous empêcher d'en rire un peu dans les Jeunes-France.
C'est là, dans cette petite maison rouge, digne Joseph Prudhomme, respectable élève de Brard et Saint-Omer, expert assermenté près les tribunaux, que moi, ton paisible voisin d'omnibus, je buvais dans un crâne comme un pur cannibale, par bravade, ennui et dégoût de ta bêtise solennelle » (T. Gautier, Histoire du Romantisme, Charpentier, 1874, V, p. 51).
Faisant le pont entre la génération du « parfait magicien des lettres françaises » auquel il dédie ses Fleurs du Mal et les poètes maudits que sacrera Verlaine, Baudelaire hérite, dans sa boutade des cervelles, du personnage nouveau de l´écrivain ogre, devenant ainsi, par ce réseau d´images, à la fois un barbare, un révolutionnaire, un pervers sexuel et un dandy.
Enfin il s´agit là aussi, bien entendu, un des fantasmes du discours colonial, réactivé dans le cas de Baudelaire par sa relation scandaleuse avec Jeanne Duval, comme le souligne Emmanuel Richon :
« L´important ici n´est pas de démêler le vrai du faux, la part mystificatrice de l´écrivain de celle inventée de toute pièce par une critique journalistique en mal de sensationnel. L´essentiel, c´est de remarquer que tous ces portraits se rejoignent dans l´image symptomatique du cannibale et que cette image fantasmatique est associée à l´époque à une certaine vision raciste de l´africain. Dans cette vision il paraît évident que Jeanne possède malgré elle un rôle et que leur vie commune est clairement condamnée à travers le rejet du recueil et des critiques haineuses et dénigrantes qui entourent le couple; derrière le cannibale, c´est la proximité de Jeanne qui est visée » (Jeanne Duval et Charles Baudelaire, p. 243)…
C´est donc une sorte de sommet culturel de la dépravation que recherche le poète en haine du bourgeois. Ogre dévorant ses propres enfants, hérétique, sorcier, sans-culotte, primitif, pervers, juif et colonisé, il se pare de toutes les exclusions pour dire sa place foncièrement instable dans le nouveau champ littéraire où il ne peut, paradoxalement, triompher que par l´opprobre… et l´échec.
samedi 7 mai 2011
Baudelaire et ses cervelles d´enfant 4
Pour ce qui est de la boutade anthropophagique elle-même, extrait significatif de « l´œuvre » vitale baudelairienne (et écho de toutes ces cervelles qui prolifèrent dans les Fleurs du Mal), W. T. Bandy (Baudelaire judged by his contemporaries, p. 127) a montré que Baudelaire (ou son hagiographe involontaire le peintre Léon Fauré) avait pu emprunter cette plaisanterie de croquemitaine à Swift dont Léon de Wailly traduit précisément en 1859 les Opuscules humoristiques.
Il s’agit bien entendu de la Modeste Proposition, et peut-être, plus concrètement, du passage suivant:
"Un jeune américain de ma connaissance, homme très-entendu, m'a certifié à Londres qu'un jeune enfant bien sain, bien nourri, est, à l'âge d'un an, un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l'étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu'il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût" (pp. 164-165).
La satire swiftienne (à la fois des projets utopiques chers aux Lumières et du colonialisme qui en constitue la « dialectique cachée » selon l´analyse de Horkheimer et Adorno) se réincarne ainsi dans la figure du poète comme ogre.
Les accusations du repas infanticide remontent par ailleurs, comme l´on sait, aux plus anciennes polémiques religieuses de l´Antiquité, tel que l´a étudié Norman Cohn dans son incontournable Les démons familiers de l´Europe. Tertullien rend compte, dans sa célèbre Apologétique de l´accusation lancée par les Romains contre la secte des Chrétiens :
« Nous sommes, dit-on, de grands criminels, à cause d'une cérémonie sacrée qui consisterait à égorger un enfant, à nous en nourrir, à commettre des incestes après le repas (…). Ceux qui veulent être initiés ont coutume, je pense, d'aller trouver d'abord le « père des mystères » et de fixer avec lui les préparatifs à faire. Il leur dit alors : « Il te faudra un enfant, encore tendre, qui ne sache pas ce que c'est que la mort, qui sourie sous ton couteau; et puis, du pain, pour recueillir le sang coulant; en outre, des candélabres, des lampes et quelques chiens avec des bouchées de viande, pour les faire bondir et renverser les lumières. Surtout, tu devras venir avec ta mère et avec ta sœur. » (…) Viens, plonge le fer dans le corps de cet enfant, qui n'est l'ennemi de personne, qui n'est coupable envers personne, qui est le fils de tous; ou bien, si un autre accomplit cet office, toi, va voir cet homme qui meurt avant de vivre; attends que cette âme toute neuve s'échappe, recueille ce jeune sang, trempes-y ton pain, rassasie-toi avec délices » (VIII, 1-6)
Ironiquement, l´accusation sera reprise par les Chrétiens contre leurs ennemis dès leur arrivée au pouvoir, à commencer par les Juifs (le premier infanticide rituel imputé aux Juifs remonte à 1144 à Norwich, lançant une vague d´émeutes antijuives et de massacres sur tout le royaume). Symptomatiquement, l´antisémite Drumont qui se prononce contre la statue de Baudelaire rédige aussi la préface au livre de son collaborateur Albert Monniot Le crime rituel chez le Juif (1914), affirmant "l´instinct sémitique qui attire les Hébreux vers Moloch, le dieu mangeur d´enfants" (les fascismes colporteront cette vision fantasmatique du « molochisme sémitique »), instinct racial irrépressible qui les pousse vers l´infanticide.
Des Juifs l´accusation passe comme l´on sait aux Hérétiques, dans une étrange boucle qu´évoque Norman Cohn…
“It seems ... that ecclesiastical and secular authorities alike, while pursuing Waldensians, repeatedly came across people — chiefly women — who believed things about themselves which fitted perfectly with the tales about heretical sects that had been circulating for centuries. The notion of cannibalistic infanticide provided the common factor. It was widely believed that babies or small children were devoured at the nocturnal meetings of heretics. It was likewise widely believed that certain women killed and devoured babies or small children; also at night; and some women even believed this of themselves. It was the extraordinary congruence between the two sets of beliefs that led those concerned with pursuing heretics to see, in the stories which they extracted from deluded women, a confirmation of the traditional stories about heretics who practiced cannibalistic infanticide” (N. Cohn, 1975, p.228).
Et enfin des hérétiques l´accusation passe aux sorcières. C´est ainsi que Claude Tholasan, magistrat dans le Dauphiné, dit avoir rencontré des sorcières qui partageaint les mêmes tendances infanticides et cannibales que les hérétiques plus "conventionnels" (H. P. Broedel, The Malleus Malificarum and the construciton of witchcraft, p. 127). C´est encore cet imaginaire qui anime la vision de Goya, auteur fétiche, comme l´on sait, de Baudelaire, notamment dans son Capricho n. 45 « Mucho hay que chupar » (1799 "Il y a beaucoup à sucer"). « Cauchemar plein de choses inconnues » dans les termes même du poète, celui-ci présente la délectation nourricière des chairs potelées réduites en poudre, contrepoint grotesque du célèbre et ogresque Saturne; l´anthropophagie parcourt d´ailleurs en sourdine l´oeuvre du peintre, sombre revers des Lumières, condamnées à replonger dans les ténèbres de la barbarie première.
Cette vision de Goya est par ailleurs à rapprocher des caricatures contre-révolutionnaires de son contemporain James Gillray qui transfère, très significativement, l´infanticide cannibale aux sans-culottes français, populace revenue à un état abject de sauvagerie primitive.
L´image de la sorcière s’y superpose d´ailleurs, enduisant de sauce sa brochette enfantine, à celle de la tricoteuse, tandis que les enfants eux-mêmes se gavent goulument de boyaux. Le cauchemar macabre plonge ici aussi, sous couvert de propagande, dans des fantasmes anthropologiques étonnamment proches de cet autre phare du crépuscule des Lumières que fut le Marquis de Sade.
jeudi 5 mai 2011
Baudelaire et ses cervelles d´enfant 3
Rémi de Gourmont fait le point sur la légende des cervelles "à la Baudelaire", prolongeant les intuitions de Jules Vallès sur la psychologie sociale (le terme était apparu sous la plume de Gabriel Tarde) de l´artiste nouveau, à la fois soumis aux impératifs du régime de la publicité et à ceux du champ littéraire officiel qui le marginalise :
« Comme beaucoup de poètes, comme, par exemple, François Villon, Baudelaire mena une assez triste vie de pose et de mensonge ; son génie étant insuffisant à lui procurer la gloire et la fortune, ni ses vers n'étant lus, ni sa prose estimée, il souhaite d'attirer quand même sur lui l'attention des sots et il se fabriqua, lui-même, une légende : passer pour un exquis criminel accompli, pour un sadique méconnu, pour un tortureur de femmes et un mangeur d'enfants. Voilà ce qu'il voulut et il n'y réussit que trop bien.
Dites tout haut dans un restaurant, surtout si vous avez des yeux pervers et des cheveux de coupe inusitée : « Cette cervelle est quasi aussi bonne que de la cervelle de petit enfant... moins fondante... moins parfumée... les cervelles de nouveau-né au cary, quel régal ! » Dites cela d'un air détaché, comme si vous compariez tout simplement le pâté de pieds d'éléphant au confit de bosse de bison — et il se trouvera bien deux ou trois naïfs pour confier dans la soirée à leurs amis : « Mon cher, j'ai dîné à côté d'un poète... il tenait des propos... quel monstre ! Je ne comprends pas qu'on laisse ces individus-là vaguer en liberté... J'en verrais guillotiner quelques-uns avec plaisir ! »
Quinze jours après, votre réputation est faite et votre meilleur camarade, consulté sur votre anthropo..., ou plutôt, paidophagie, répondra : « Eh ! il en est bien capable ! »
Donc, après s'être remémoré de telles anecdotes, M. Brunetière a conclu : Elever un monument à Baudelaire, ce serait immoral» (La question Baudelaire 1892)
C´est donc assez logiquement que la légende qui intronise l´« artiste maudit » dans l´imaginaire collectif (Verlaine a publié son célèbre recueil six ans auparavant, en 1884) devient aussi celle qui repousse sa reconnaissance officielle. De fait le projet de statue commandé à Rodin (celui-ci avait déjà illustré les érotiques des Fleurs du Mal) est paralysé (il n´en restera que la tête que vous voyez ci-dessus) alors que Brunetière (qui avait lancé la vague d´indignation journalistique) est élu à l´Académie française.
Il faudra attendre encore une décennie pour qu´un monument soit érigé au cimetière Montparnasse par un inconnu spécialiste de l´art funéraire, José de Charmoy. Ce sera l´année de l´Immoraliste, de l´Hérésiarque et du Surmâle, écrit par celui qui, comme on sait, « monté sur le toit de sa maison, s'amusait un jour à « tirer » les pommes d'une voisine.
Elle poussa des cris !
- Arrêtez, misérable, vous allez tuer mes enfants !
Il lui répondit :
- Je vous en ferai d'autres, madame ! » (Sacha Guitry, Si j'ai bonne mémoire, Plon, 1934).
L´artiste ogre avait bel et bien un avenir devant lui.
mardi 3 mai 2011
Baudelaire et ses cervelles d´enfant 2
Le portrait de l´artiste en (plus tout jeune) cannibale s´étoffe et s´amplifie par d´autres anecdotes (à Bruxelles il se serait fait passer pour un parricide... anthropophage: "Oui, Monsieur, parce que j´ai assassiné mon père, et que je l´ai mangé, sans le faire bouillir", rapporte Henri Blaze de Bury) et se cristallise finalement sous la plume de Maxime Rude (pseud. Adolphe Perreau) dans une petite scénette à la Henri Monnier de ses Confidences d’un journaliste:
« Un soir, dans un restaurant où il était connu, Baudelaire commande un filet cuit à point, — tendre surtout. Le filet servi, — le patron lui- même, brave père de famille, monte voir si son client est satisfait.
— C'est bien le filet que je désirais, — répond celui-ci : if est tendre comme de la cervelle de petit enfant.
— Comme de la cervelle?...
— De petit enfant, — reprend le mystificateur en relevant la tête avec son regard le plus fixe et le plus aigu.
Le restaurateur descendit l'escalier en toute hâte pour garer ses enfants de ce client qui lui paraissait déjà un monomane féroce.
Baudelaire, du reste, n'aimait pas les enfants.
— Ça dérange les papiers, — disait-il, — et ça poisse les livres. » (1876, p. 168).
Une décennie plus tard l´anecdote est partout banalisée comme en témoignent les correspondances (« une autre fois il dit : « je viens de manger de la cervelle d’enfant, c’est fin comme des cerneaux », Lettre de Jules Troubat à Eugène Crépet, 16 août 1886). Et elle va, de fait, jouer un certain rôle dans la querelle journalistique qui entoure la polémique souscription lancée par La Plume en vue de l´érection d´une statue à la gloire du poète en 1892.
« Elever une statue à Baudelaire était à coup sûr l´idée la plus saugrenue qui se puisse concevoir", écrit Edouard Drumont. "L´homme éprouvait le besoin d´étonner par des originalités voulues, qui étaient parfois drôles. Chez Dinocheau [cabaret de la rue Bréda] il amenait avec lui une chatte qui mangeait des huîtres, et quand on lui demandait ce qu´il désirait, il déclarait qu´il avait envie de manger de la cervelle de petit enfant. On avait le temps, à cette époque, et l´on riait de tout cela"
Louis de Gonzague Privat évoque aussi l´anecdote dans sa diatribe :
« Baudelaire n´était pas sincère et goûtait une évidente satisfaction à voir courir le long des tables d´hôte des "restaurateurs de lettres" de son temps, ces mots soi-disant cruels qu´il affectionnait: "les noix fraîches ayant le goût de la cervelle d´un petit enfant" et tant d´autres balivernes qui le faisaient regarder comme un phénomène de corruption savante par les tout jeunes d´il y a trente ans » (13 septembre 1892).
Pour les défenseurs du projet il s´agit de renoncer à cette hagiographie du maudit : « Les harangues élogieuses que nous promet également l´inauguration feront justice définitive sans doute des racontars bébêtes, des légendes absurdes et des blagues injurieuses dont le grand poète fut toujours l´objet (...). Les anecdotes sur les noix, presque aussi bonnes à manger, lui faisait-on dire, que des cervelles de petit enfant; le citron pressuré sur les muqueuses de sa Malabaraise; d´autres raffinements sadiques, qu´on lui prêtait pêle-mêle avec des fumisteries de commis-voyageur, disparaîtront sous l´auréole de la glorification officielle (Lepelletier, 17 août 1892).
Anatole France illustre notamment cette tentative de récupération du poète qu´il dit avant tout « chrétien » : « M. Brunetière n'a vu dans l'auteur des Fleurs du mal qu'un extravagant et un fou. Il l'a dit avec sa franchise coutumière. Et ce jour-là, il a, par mégarde, offensé les muses, car Baudelaire est poète. Il a, je le reconnais, des manies odieuses; dans ses mauvais moments, il grimace comme un vieux macaque. Il affectait dans sa personne une sorte de dandysme satanique qui semble aujourd'hui assez ridicule. Il mettait sa joie à déplaire et son orgueil à paraître odieux. Cela est pitoyable et sa légende, faite par ses admirateurs et ses amis, abonde en traits de mauvais goût.
--Avez-vous mangé de la cervelle de petit enfant? disait-il un jour à un honnête fonctionnaire. Mangez-en; cela ressemble à des cerneaux et c'est excellent… » (Le Temps, 14 avril, 1889)
samedi 30 avril 2011
Baudelaire et ses cervelles d´enfant 1
« Baudelaire a créé sa légende (…). Cette légende est une œuvre ; ce recueil doit prendre place à la suite des Œuvres complètes »…
Comme l’affirmait déjà Asselineau, « derrière l’œuvre écrite et publiée il y a toute une œuvre parlée, agie, vécue, qu’il importe de connaître, parce qu’elle explique l’autre et en contient, comme il l’eût dit lui-même, la genèse » (in H. Coulet, Baudelaire devant ses contemporains, p. 10).
Parmi les éléments les plus célèbres de cette « autre œuvre » singulière qui annonçait, sous couvert de dandysme, la redéfinition moderne du personnage social de l´artiste, il y en a un particulièrement délicieux rapporté, tout d´abord, par Firmin Maillard (auteur par ailleurs du très savoureux Requiem des gens de lettres. Comment meurent ceux qui vivent du livre, 1901) dans son Histoire anecdotique et critique de la presse parisienne, parlant de « cet homme auquel un commencement de calvitie donne l'air d'un moine rongé par les ardeurs de la chair… » :
« quand, chez un marchand de vins ou il mangeait de noix fraîches, M. Baudelaire aurait dit avec extase en passant sa langue sur ses lèvres : On dirait qu'on mange de la cervelle de petit enfant... que m'importe; fait-on souvent des livres comme son Salon de 1846 ou comme les Fleurs du mal ! comme ses Etudes sur les Caricaturistes ! » (1859, p. 117-118).
Maillard lui-même nous livre quelques années plus tard la réaction du poète à cette anecdote, dans son hommage élégiaque aux Derniers bohèmes :
« Baudelaire vient d'entrer ; il ôte son talma, enlève son cache-nez rouge et apparaît vêtu d'un habit bleu à boutons d'or; il me fixe, me fascine et m'attire dans un coin. J'ai fait un portrait de lui qu'il ne trouve pas ressemblant, aussi se répand-il en doléances assez amusantes : — Voyons, voyons je ne suis ni sec ni osseux et je ne suis pas aussi répugnant que le Figaro essaye de le persuader. Vous aurez pris un autre Baudelaire pour moi. On m'a montré, à moi-même, un M. Baudelaire qui était fort désagréable...; quant à l'anecdote des noix et des cervelles d'enfant, là vrai, est-ce que vous y croyez? C'est une invention joviale de mon ami Forey, un élève de Delacroix » (Maillard, Les Derniers Bohêmes, Sartorius, 1874, p. 41-42).
On retrouve en effet cette attribution (il s´agit probablement du peintre Léon Fauré, dans l´image) dans une lettre du 6 juillet 1859 de Baudelaire à Maillard (Correspondance, t. I, p. 1085), que celui-ci théâtralise.
Mais la légende était déjà lancée comme en témoigne Francis Magnard dans son article pour le Figaro (journal essentiel dans la campagne anti-baudelairienne) "Paris au jour le jour" du 7 septembre 1867:
"Il y a dis ans déjà (donc deux ans avant la parution du texte de Maillard), Baudelaire étant locataire de l´hôtel de Dieppe, les propriétaires avaient une jolie petite fille, espiègle, intelligente, mais d´une mutinerie contre laquelle échouaient les caresses et les menaces. Quand la mère était à bout de patience, de sa plus grosse voix elle lui disait: "Allons, ne pleure plus, ou je te fais manger par M. Baudelaire. L´enfant, rentrant aussitôt sa colère et ses larmes, redevenait sage comme par enchantement".
Théodore de Banville lui aussi évoquera plus tard la prégnance de l´anecdote (qui varie marginalement en ce qui concerne le mets dont on vante les délices):
« Entrant chez moi pour la première fois, il y a une vingtaine d´années, un écrivain, qui vient de mourir, me questionna ingénument à propos du poète.
-Monsieur, me dit-il, on m´a assuré que, mangeant un beignet de pommes, M. Baudelaire a dit: "cela est bon comme de la cervelle de petit enfant". Il sait donc quel goût a la cervelle de petit enfant, et il en a donc mangé? »
Mais il s´agira alors de légitimer et démythifier l´ami disparu. « Ces anecdotes sont toutes également bêtes, et il convient de les raturer toutes, avec une impartialité sereine » (La Revue contemporaine, 25 mars 1885).
Jules Vallès s´appuie sur l´anecdote pour attaquer l´émergence de ce nouvel « histrionisme » qui accompagne la promotion de l´artiste dans la société du journalisme industriel… « On sait son mot, tandis qu'il mordait dans des noix fraîches.
«On dirait qu'on mange de la cervelle de petit enfant».
(…) Tout cela, hélas ! était non pas du gros et bon scepticisme, le feu de l'ironie française, la flamme de la gaieté gauloise, c'était de la singularité douloureuse et forcée, l'exhibition savante de phrases phénomènes !
Il combinait d'avance ses mots et ses gestes. » (La Situation, 5 septembre 1867)
Et Vallès de "situer" cette mutation conjointe du champ littéraire et du personnage du poète :
« On parla de ses dislocations, on rit de ses grimaces ; il n'en faut pas plus pour intéresser ces journalistes qui sont las de banalité et avides d'inattendu, blasés que le monstre amuse. Baudelaire se fit monstre »… en attendant, pourrait-on rajouter, non pas seulement Warhol ou Michael Jackson mais ces petits Monsters chers à Lady Gaga. « Combien de morts déjà parmi ceux de son âge ! » continue-t-il (annonçant, cette fois-ci le célèbre Howl de Ginsberg), « Cette génération est donc maudite ? Il y a à ces folies horribles et à ces morts précoces, une raison historique, fatale. Quoi donc ? Mais il faut se pencher plus avant dans l'abîme. Restons aujourd'hui au cimetière, nous chercherons un autre jour le secret de ces agonies ».
samedi 19 mars 2011
Silence des agneaux 3
Cependant, ces films reposaient toujours sur un « système de valeurs inambigu (dualiste) » imposant « des règles d'action : ce n'est que dans un univers où l'on sait toujours distinguer l es bien du mal, la bonne voie de la mauvaise, que l'on peut affirmer, fut-ce implicitement, la nécessité de suivre l'une et d'éviter l'autre »1. Or, justement, The Silence of the Lambs, redistribuant sans cesse les rôles, bouleverse l'ensemble des orientations fantasmatiques sur lesquelles se fonde la culture américaine. Bien sûr, il est habituel que les personnages de serial killer mettent à mal, plus ou moins obliquement, l'american way of life. Cependant, c'est d'autre chose qu'il s'agit ici, une réflexion, souvent contradictoire sur les sexes, les genres, le désir. Moins, d'ailleurs, parce que Clarisse est vue par Crawford et par les aliénés masturbatoires de la prison de Lecter, comme un objet sexuel2 que le crime de Buffalo Bill ne consiste pas tant à tuer qu'à désirer (à Lecter, qui l'interroge sur l'homme qu'elle cherche, Clarrise répond à tort qu'il massacre des femmes. Le psychiatre anthropophage la corrige sur le champ : « no, he covets. That's his nature » – « il les convoite. C'est dans sa nature »)3. Si le film de Jonathan Demme est anxiogène – bien plus, au fond, que le sanglant Hannibal (2000) de Ridley Scott – c'est qu'il fictionnalise les inquiétudes qui ont agité l'Amérique des années Reagan et qui effraient encore notre monde globalisé. Le choc entre une volonté de restauration des valeurs de la classe moyenne, hétéorsexuelle et conservatrice, une réaction contre le mouvement féministe qui néanmoins se durcit et parvient à imposer dans la dóxa la double du critique du patriarcat et capitalisme, une mise en scène des valeurs viriles et, conjointement, leur effondrement. C'est sans doute Julius Evola qui, sans le savoir, décrivit le mieux cette les soubresaut de cette période, d' « une société qui ne sait plus rien de l’Ascète, ni du Guerrier ; dans une société où les mains des derniers aristocrates semblent faites davantage pour des raquettes de tennis ou des shakers de cocktails que pour des épées ou des sceptres ; dans une société où le type de l’homme viril – quand il ne s’identifie pas à la larve blafarde appelée « intellectuel » ou « professeur », au fantoche narcissique dénommé « artiste », ou à cette petite machine affairée et malpropre qu’est le banquier ou le politicien – est représenté par le boxeur ou l’acteur de cinéma ». « Nous voyons la civilisation moderne se tourner vers le nivellement, vers un stade qui, en réalité, n’est pas au-delà, mais en-deça de l’individuation et de la différence entre les sexes ». Or, justement, l'indifférenciation sexuelle – qui, avec le syncrétisme idéologique et le néo-tribalisme, forme le socle de postmodernité – est au cœur de The Silence of the Lambs, qui peut être interprété comme symptôme de cette nouvelle guerre des sexes. Guerre passablement hystérisée, au sens où « hystériser, c'est mettre du désir, de la libido là où, au premier abord, il n'y a pas lieu d'en mettre », « c'est faire naître dans le corps de l'autre un foyer ardent de libido [...], c'est érotiser une expression humaine quelle qu'elle soit alors que par elle-même, intimement, elle n'était pas de nature sexuelle »4. Le même processus sert de moteur à quantité de thrillers ; notamment, bien sûr, au genre, si particulier, de l'erotic thriller à la manière de Basic Instinct (1992), Original Sin (2001), Unfaithful (2002) ou In the Cut (2003).
1 Susan R. Suleiman, « Le Récit exemplaire », Poétique, n°32, Paris, Seuil, 1977, p.487. Voir, du même auteur, Authoritarian Fictions. The Ideological Novel as a Literary Genre, New York, Columbia University Press, 1983.
2 Voir notamment Greg Garrett, « Objecting to Objectification. Re-Viewing the Feminine in The Silence of the Lambs », Journal of Popular Culture, XXVII, n°4, 1994, p.1-12.
3 Cf. Diane Negra, « Coveting the Femining: Victor Frankenstein, Norman Bates, and Buffalo Bill », Literature Film Quaterly, XXIV, n°2, 1996, p.193-200.
4 Juan-David Nasio, L'Hystérie, ou l'enfant magnifique de la psychanalyse, Paris, Payot, 2001.
jeudi 17 mars 2011
Silences des agneaux 2
Toutefois, une seconde relation triangulaire – Lecter, Clarice, Buffalo Bill – se superpose bientôt à la première (Lecter, Clarice, Crawford). En effet, Buffalo Bill se présente clairement comme l'antithèse de Lecter, un être aux limites de l'humanité, un primitif vivant dans une cave qui, du reste, a tout d'une grotte. La véritable altérité pour l'agent Starling, c'est lui et non point Hannibal : il est le vrai monstre, sans identité, sans sexe, sans autre corps même que la cape qu'il coud avec les peaux de ses victimes. Tandis que Lecter ne s'en prend qu'à ceux qui le tourmentent et qui, d'une certaine façon, sont à sa mesure (le docteur Chilton ou les policiers chargés de sa surveillance), Buffalo Bill s'acharne sur les femmes, créatures qui, à l'exception de Clarice, sont présentées sinon comme faibles, du moins comme innocentes — « very gentle and kind » pour reprendre les termes de Mme le sénateur Martin parlant de sa fille Catherine1.
Mais si Lecter se caractérise, je l'ai dit, par sa maîtrise de lui-même, vertu cardinale des sociétés patriarcales, Buffalo Bill est un emblème des défauts que les cultures phallocentrées prêtent aux femmes : foucades, extravagances, psychasthénie, hystérie, narcissisme (la scène est fameuse et éloquante où, s'adressant à son reflet dans le miroir, Buffalo Bill sussure : « Would you fuck me? I'd fuck me. I'd fuck me hard. »). En somme, et pis que tout le reste, un efféminé, tout comme le docteur Chilton, le tendre ennemi de Lecter2. En somme, un de ces wimps honnis par l'ère Reagan3. La perméabilité des rôles masculin et féminin est du reste une constante des films terrifiants : d'un côté, lors de l'affrontement avec le tueur, la final girl est clairement masculinisée par une violence qu'elle excerce au demeurant au moyen d'une arme phallique, gourdin, couteau ou cognée. Carol Clover4 souligne qu'a contrario le méchant est presque toujours un homme dont la masculinité et la sexualité sont pour le moins problématiques : c'était le cas de Bates, ce sera encore celui de Billy et de Stu dans le film postmoderne de Wes Craven. S'inscrivant dans ce sillage, The Silence of the Lambs reprend bien la dichotomie de la bonne et de la mauvaise violences, tradition du cinéma hollywoodien, qui n'a eu de cesse de la questionner du western (Pale Rider), du rape and revenge (Death Wish), du film d'action (Lethal Weapon) en passant par le war movie (Rambo:the Mission).
1 De ce point de vue, il est indéniable que « The Silence of the Lambs deconstructs femininity as it has been constructed in four classic genres: the serial killer movie, the horror or monster movie, the 'pupil and mentor' movie and the 'psychiatrist and patient' movie. The Silence of the Lambs can be shown to deconstruct the generic amalgam of voyeurism, the 'male gaze' of the camera, castration anxiety and the confused and reinstated gender identities typical of the serial killer movie ». Voir Diane Dubois, « “Seeing the Female Body Differently”. Gender issues in the Silence of the Lambs », Journal of Gender Studies, vol. X, n°3, 2001, Londres, Routledge, p.297 sqq.
2 Julie Thorp, « The Travestite as Monster », Journal of Popular Films & Television, XIX, n°3, 1991, p.106 sqq.
3 Voir S. Jeffords, Hollywood Masculinity in the Reagan Era, New Brunswick, Rutgers Up, 1994.
4 Carol J. Clover, op.cit.
mercredi 16 mars 2011
Le silences des agneaux 1
Transposition de l'excellent roman de Thomas Harris qui, paru en 1988, reprenait le personnage du docteur Hannibal Lecter, le villain de Red Dragon (1981), qui sera lui-même adapté à l'écran en 2002 par Brett Ratner, The Silence of the Lambs de Jonathan Demme, sorti en 1991 sur les écrans, a très vite connu un immense succès et a obtenu cinq oscars, tous amplement mérités. Il s'inscrit naturellement dans la longue série des films de serial killer, dont certains sont, comme lui, d'authentiques chef-d'œuvres : Psycho (1960), Dirty Harry (1971), Copycat (1985) ou Henry: Portrait of a Serial Killer (1986). Il inspira, du reste, quantité de films : Basic Instinct (1992), Se7en (1995), American Psycho (2000), Zodiac (2007) ou Righteous Kill (2008) — pour ne rien dire de la remarquable série Profiler crée par Cynthia Saunders pour NBC au penchant du XXe siècle.
Cependant, ce film présente, ce me semble, quelques particularités remarquables. D'abord, il met en scène deux monstres, complémentaires et opposés – Lecter et Buffalo Bill. De ce point de vue, The Silence of the Lambs rompt avec les habitudes induites par le genre du slasher dont il reprend les tópoï pour les subvertir. Cette dimension parodique est d'ailleurs sensible dès le début du film. En effet, dans la scène initiale, Clarice, s'aguerrissant, en sueur, sur son parcours d'obstacle, est suivie, traquée, par la caméra sur un fond sonore pour le moins anxiogène qui évoque Hallowen ou Jaws. Mais ce n'est pas elle qui est pourchassée par un serial killer, elle s'entraîne au contraire, en tant qu'agent spécial du FBI à poursuivre les tueurs au mépris de la douleur, des tourments et de la souffrance (« Hurt, agony and pain : love it »). Qui est la proie, qui le prédateur ?, c'est la question inquiétante que ce film ne cesse de poser, et de retourner.
Ce curieux slasher movie est aussi, d'entrée de jeu, un Bildungsfilm, l'histoire d'un double accomplissement, personnel et professionnel. Or l'apprentissage de Clarice est précisément fondé sur les rapports, complexes, qu'elle entretient avec les deux faces de la sauvagerie ou, plutôt, de la cruauté qui, comme l'a bien montré Michel Erman a moins pour finalité de tuer que de profaner, de tuer deux fois1 en quelque sorte. Lecter – et, sur ce point aussi, les habitudes du spectateur sont renversées cul par dessus tête – est un affable dandy, un esthète avenant, un intellectuel d'une grande finesse, un docteur perspicace, courtois, cultivé (il cite Marc-Aurèle et admire les variations Goldberg de Bach, au clavecin), gourmet (« I ate his liver with some fava beans and a nice chianti ») et spirituel (« I'm having an old friend for dinner »). Il est à la fois un aristocrate à la manière du comte Dacrula, et un animal, une créature aussi féroce et endurante qu'un zombie. Il est aussi un parfait exégète, un herméneute achevé, un surhomme, omnipotent, une image du père imainaire, une incarnation de l'idéal de maîtrise, du savoir absolu, suscitant tout à tour l'amour et la haine. Ne parvient-il pas à contrôler jusqu'à son propre pouls pour faire croire à sa mort ? N'est-ce-pas grâce à lui qu'in fine l'énigme de l'identité de Buffalo Bill est résolue ? Enfin, dans le cadre du jeu, de plus en plus fréquent dans les films et séries de serial killers, du quid pro quo, pour reprendre l'expression qui sert de titre au quatrième épisode de la neuvième saison de Profiler, il est, pour Clarice, un Pygmalion, un nouveau guide qui vient se substituer à la figure de Crawford, le directeur des études du comportement au Bureau Fédéral d'Investigation, singulièrement antipathique. Civan Gürel a commenté cette première relation triangulaire sous l'angle de l'autoréflexivité et l'a interprétée « comme une parabole unissant les figures du producteur (Crawford), du réalisateur (Lecter) et de l'actrice (Clarice), le premier engageant la troisième qui est auditionnée, dirigée et lancée par le deuxième. Cette mise en abyme qui glorifie le créateur aux dépens du décisionnaire paraît aussi en résonance avec le système hollywoodien tel qu'il se met en place au milieu des années 1970, suite à la fin définitive de l'ère des studios, qui sont achetés par des multinationales. C'est dans ce milieu-là qu'évolue une nouvelle “espèce” de cinéastes, dite film school generation, issus d'école de cinéma ou de télévision, techniciens accomplis, cinéphiles jusqu'au bout des ongles, soucieux de s'établir à la fois comme hommes d'affaires et comme créateurs (Coppola, Spielberg, Scorsese, Lucas, Landis, etc.) »2. En somme, ce sont les conflits, les hésitations et les paradoxes du New Hollywood que figurerait, sur un mode implicite, The Silence of Lambs qui est loin d'être un simple « slasher pour yuppies – bien fait, bien joué, une version bien conçue de l'histoire parfaitement connue de la l'héroïne victime qui combat un persécuteur monstrueux et, pour finir, triomphe de lui, sans l'aide des hommes »3, comme dans Blue Steel (1989) ou Sleeping with the Enemy (1990). Cependant, comme ces films, le thriller de Jonathan Demme renverse bien les traditionels codes de genre (au sens de gender autant que de genre) et déstabilise les identifications – tantôt à l'habituelle position féminine (celle des victimes du psychokiller), tantôt à la position masculine (celle de la final girl qui fait sienne les attributs phalliques du tueur et finit par triompher de celui-ci). De ce point de vue, Clarice Starling, qui terrasse Buffalo Bill, qui n'est jamais qu'un nouveau Norman Bates, s'inscrit dans la lignée d'Ellen Ripley, de Laurie Strode, de Sally Hardesty, de Nancy Thompson et renforce l'idée, avancée par Linda Williams4, que la figure féminine dans le cinéma d'épouvante est souvent moins une victime du monstre que son double (voilà qui expliquerait, par parenthèse, que, dans le Dracula de Stocker comme dans ses adaptations cinématographiques, Mina soit aussi importante, affolante et inquiétante que le vampire lui-même5).
1 M. Erman, La Cruauté. Essai sur la passion du mal, Paris, Puf, 2009.
2 Civan Gürel, « Portrait de l'artiste en serial killer » in Projections. Actions cinéma/audiovisuel, Portraits d'artiste, n°22, décembre 2006, p.9 sqq. Jean-Marc Génuite & Civan Gürel, « Le Silence des agneaux : quand le loup devient gourou (“c'est pour mieux te guider mon enfant”) » in Tausend Augen, Lille, 2000 (www.tausendaugen.com/archives/ta19/dc6.pdf).
3 Carol J. Clover, Men, Women and Chain Saws. Gender in the Modern Horror Film, Princeton, Pup, 1993, p.232 : « slashers movies for yuppies – well-made, well-acted, and weel-conceived versions of the familiar story of a female victim-hero who squares off against, and finally blows away, without male help, a monstrous oppressor ».
4 Linda Williams, « When a Woman Looks » in Mary Ann Doane, Patricia Mellencamp & Linda Williams (éd.), Re-Vision: Essays in Feminist Criticism, American Film Institute, 1983, p.83-99. Voir aussi, du même auteur, Hardcore, éd.cit., p.208 sqq.
5 Cf. M. Picard, La Littérature et la mort, Paris, Puf, 1995, p.95 sqq.
lundi 7 mars 2011
"C'est le moment où la lune réveille le vampire blafard sur sa couche vermeille..."
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