mercredi 22 avril 2009

L'homme dionysiaque, héros des avant-gardes 10



L'univers «fortement sexué»de Masson est «tourmenté, agressif, sauvage et sombre, tant l'agitent les déchirements de la germination et des métamorphoses. Tout y est perçu (...) dans la violence du sacrifice plus que de la fièvre amoureuse. Le désir est au corps ce que l'orage est à la nature»et «les dessins automatiques marquent le passage de la représentation du désir à l'enregistrement direct de son énergie (...) qui sexualise le dessin (...) et sa pénétration de l'œil»(Noël, 1993: 75). Éros apparaît ainsi comme la vitalité sanctifiée «qui ne cesse de crever toutes les belles surfaces sous lesquelles la culture a voulu la tenir captive»(id, 79).

Par ailleurs, nourri de Nietzsche, que Breton ignore et méprise, Masson ne cesse de réfléchir au tragique dans ses œuvres et ses écrits: «le peintre doit représenter le tragique (...) compris comme la conscience d'être au monde (...) comme l'être jeté heideggerien. Ses écrits parlent de la nécessité pour un artiste d'assumer le tragique, bien que son rejet soit caractéristique de toute la peinture contemporaine à partir de Impressionnisme»(VVV, 1989: 150). Cette réflexion sur le tragique se traduit en peinture, plus que par le choix d'un certain nombre de sujets spécifiquement dionysiaques, par l'imprégnation d'un érotisme «tragique et chtonien»dans la matière elle-même du tableau: «l'automatisme physique tend vers le déchirement (...), fait jaillir l'énergie originelle (...), force vitale qui se moque de votre existence, car l'individu lui est indifférent»(Noël, 1993: 78).

Masson opère en fait la transition entre le surréalisme français et l'expressionnisme abstrait américain, son exil aux Etats-Unis avec d'autres rescapés des avant-gardes européennes marquant le moment où l'art moderne se déplace définitivement vers New-York. Comme M. Ernst, Masson trouve dans «la Nature excessive du paysage américain» un déclencheur pour l'exploration intérieure de son monde héraclitéen «du flux perpétuel, du mouvement incessant«, qui «s'exprime par des zones chromatiques, presque des taches qui, en s'étalant, se dilatent, en englobent d'autres, modifiant ainsi les parties externes (...) Le peintre sent les formes vitales qui habitent les choses, s'en empare, les libère sur la toile»(id, 130). Ce sont ces peintures américaines, explosions dionysiaques telles que Pasiphaé (1947), La Sibille ou La Pythie qui marquent définitivement A. Gorky et W. De Kooning, imprimant leurs œuvres du singulier héritage nietzschéen.

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