On pourrait, dans cette perspective, s’intéresser à la manière dont un film comme Cloverfield (2008), qui modernise la Bête de saint Jean et le Cthulhu de Lovecraft, apparaît comme une ample variation ludique sur Independance Day (1996), Godzilla (1954 & 1998), War of the Worlds (1898-2005) et même d’une certaine façon sur Alien. Cependant, d’un point de vue formel et non plus thématique, c’est à The Blair Witch Project (1999) que ce film apocalyptique s’apparente, en adaptant au monde urbain le procédé de la steadicam qui avait fait le succès du film de Daniel Myrick et d’Eduardo Sánchez. Bien sûr, ce procédé de la caméra portée inscrit Cloverfield à la lisière de l’imaginaire et du véridique et reproduit, de manière fascinante, les images des attentats du World Trade Center. La presse américaine ne s’y était d’ailleurs pas trompée et avait clairement observé, dès la sortie du film de Matt Reeves : « Cloverfield can’t ever quite escape comparisons to the terrorist attacks on September 11th, 2001, and those echoes stand out even more starkly on the small screen, because that’s how most of us saw those attacks »1. Mais ce ne sont pas seulement des analogies techniques qui unissent Cloverfield et The Blair Witch Project ; c’est une manière inédite de susciter chez le spectateur des angoisses comparables, issues des mêmes canevas anthropologiques, psychologiques et sociétaux : angoisse de la perte, de la séparation, de l’abandon, panique à la pensée d’errer dans un monde hostile et labyrinthique, affolement devant la Bête étrangère à affronter, crainte de l’anarchie et du chaos. Ainsi à la rhétorique filmique correspond étroitement une « rhétorique de l’inconscient »2 qui lui-même est un langage3 ; et, déjà, Christian Metz insistait sur la nécessité de passer de l’analyse d’une esthétique consciente du cinéma à l’étude des réponses inconscientes que le spectateur apporte au matériau fantasmatique du film qu’il regarde.
1 Cf. M. Dargis, « We’re All Gonna Die! Grab your Video Camera » in The New York Times, 18 janvier 2008.
2 Angèle Kremer-Marietti, Lacan ou la rhétorique de l’inconscient, Paris, Aubier Montaigne, 1978.
3 Cf. J. Lacan, Séminaire III, Les Psychoses, 1955-1956, Paris, Seuil, 1981, p.20 : « l’Inconscient, c’est un langage ». Voir, dans le même volume, p.135 : « l’Inconscient est, dans son fond, structuré, tramé, chaîné, tissé de langage ».
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