On sait, par exemple, combien le stade anal est marqué par le passage du clivage à l’ambivalence qui, déplacée de l’Objet même à tout l’entourage, s’exprime par une alternance d’activité et de passivité, d’obéissance et de désobéissance. Coexistent, dans ce cadre, le sadisme et le masochisme et, au-delà, avec le désir de posséder, un fort sentiment de vacuité, une propension à agresser et un plaisir toujours plus vif à être menacé. Si, du premier au troisième opus de Species (1995 & 2004), la rhétorique filmique apparaît si différente, malgré la reprise de scénarios apparemment redondants, c’est précisément parce qu’on assiste à un tel glissement, du clivage à l’ambivalence. C’est peut-être bien, du reste, ce substrat inconscient qui permet de saisir l’enjeu de la violence dans un film qui, fondé sur le mécanisme de l’identification projective, clive les personnages humains, notamment de scientifiques, et les projettent sur des aliens féminins — Sil, Eve et Sara. Au fur et à mesure que l’on avance dans cette série, Species, ce qui est projeté vers l’alien est vécu comme de moins en moins étranger, au point que le spectateur en vient progressivement à ce moment où le « Moi sympathise avec l’objet »1 : il fusionne avec celui-ci, il est dans celui-ci, il devient celui-ci. C’est justement là ce qui permet le passage du clivage — en bon et mauvais objet — à l’ambivalence, organisation mentale plus mature. Suivre la série Species revient ainsi à revivre inconsciemment cette avancée décisive sur le plan psychique. Dans les premiers épisodes règne, selon la logique du clivage, la division (division du Moi et division de l’objet) induite par la coexistence face à l’angoisse de deux attitudes contradictoires, résolument étrangères l’une à l’autre. Personnages et spectateurs perçoivent l’Autre de manière à la fois partielle et excessive : soit, en vertu du processus d’idéalisation, comme excessivement bons (Eve au début du deuxième épisode), soit, au contraire, comme diablement mauvais (les hybrides agonisantes et anonymes du troisième volet). Ce registre du clivage maintient la diégèse dans une perpétuelle oscillation entre idéalisation et persécution, et la violence n’est que le fruit de cette division dualiste, sinon simpliste, du Bien et du Mal, de la satisfaction et de la frustration. L’ambivalence, a contrario, rend présente simultanément des tendances, des attitudes, des sentiments opposées. C’est bien, dans le troisième épisode, ce que représente Sara qui peut à la fois aimer et honnir Dean, le protéger et le menacer. L’acceptation de cette ambivalence ouvre la voie à la problématique œdipienne qui fonde véritablement la reconnaissance de l’altérité et de la sexualité — sur laquelle s’achève justement Species 3 en une manière de parodie de Frankenstein. Or, plus l’ambivalence l’emporte sur le clivage et plus devient prégnante l’angoisse, dépressive, de séparation, contre laquelle la fiction, précisément, vient s’inscrire — bref, plus l’horror movie est efficace.
1 Otto F. Kernberg, La Personnalité narcissique et les troubles limites de la personnalité, Toulouse, Privat, 1980 [Borderline Conditions and Pathological Narcissism, New York, Jason Aronson, 1975].
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