C’est ainsi une série de rapprochements qui se met en place : le pensionnat est figuré, dans la fiction érotique, comme une école, bien sûr, mais aussi comme une caserne, une forteresse, voire un bagne à l’instar de l’épouvantable Dotheboys Hall du Nicholas Nickleby [1838-1839] de Dickens. Mais, au-delà, d’autres images se profilent, notamment le sérail, lieux clos lui aussi et qui n’est au fond, si l’on en croit l’Histoire de Mademoiselle Brion dite comtesse de Launay, qu’un « bordel mystique »1. Ce mysticisme sexuel, qui était présent chez Louÿs, se retrouve, mais déplacé, dans le troisième tome d’Il Gioco de Manara où le pensionnat est devenu une secte de la serra pelada2. Comment comprendre cette fascination qu’exercent pensionnats, abbatiales et pénitenciers en tout genres3 ? Probablement par le fait qu’il s’agit toujours non de lieux réels, mais d’espaces fantasmatiques, clos sur une multitude de corps féminins où, comme dans les harems et sérails du XVIIIe siècle, la polygamie est monnaie courante, et où les jeunes filles sont toujours présentes et disponibles aux désirs et plaisirs masculins. Ces utopies sensuelles correspondent également à un rêve de domination des hommes sur les jeunes filles, des adultes sur la jeunesse. Dans cette perspective, le pensionnat renvoie à « cet érotique de la pluralité » qui se manifestait déjà dans « la liste du libertin et [dans] le sérail du despote oriental »4. Quantité de fictions érotiques ou pornographiques utilisent ces lieux communs, et, même, se fondent sur eux. C’est le cas du Dortoir des grandes (1953) d’Henri Decoin, des Demoiselles du pensionnat (1976) de Patrick Aubin, de Pensionnat de jeunes filles (1981) de Gérard Kikoine, de Das liebestolle Internat de Jürgen Enz (1982), des Petites Vicieuses au pensionnat (2007) de Pascal Saint-James et Bamboo, ou d'Éducation très sévère au pensionnat (2008) de Gazzman — ou, pour en revenir au neuvième art, du treizième volume des aventures de la jeune Indienne Savita Bhabhi, College Girl Savvi (2009), de Deshmukh. Le motif de l’étudiante – colocataire ou pensionnaire – est lui-même devenu un locus classicus de l’érotisme postmoderne, littéraire (The Horny Co-eds [1960] ou Naughty, Naughty Coeds. Erotic Adeventures of Good Girls Gone Wild [2006] de Sienna Rose), cinématographique (Erotic College Co-eds. Wet and Wild [2008]) ou pornographique (Co-ed Fever [1980]) ; et le cliché du college dorm et de la naughty roomate structure désormais l’imaginaire sexuel de la culture savante comme de la culture de masse – parfois même sur le mode humoristique comme dans I am Charlotte Simmons (2004) de Tom Wolfe où Beverly impose à la jeune héroïne naïve ses frasques et de nombreux « sexils » forcés. Wild Child (2009) de Nick Moore repose encore entièrement sur le scénario du pensionnat sévère et pourtant érotisé. Et puis, qui ne se souvient-il pas de la célèbre scène de Rules of Attraction (2002) dans laquelle Jessica Biel, grisée par les alcools, danse, à demi nue, dans le dortoir de son université ? Après tout, dans le dictionnaire érotique d’Alison Tyler qui décline, lettre après lettre, les archétypes des fantasmes sexuels, après « A is for Amour » et « B is for Bondage », « C is for co-eds ».
1Histoire de Mademoiselle Brion (1754), Paris, Tchou, 1968, p.1114.
2Milo Manara, Le Déclic, 4 vol., t.III, Paris, Albin Michel & L’Écho des savanes, 1994, p. 29 sqq.
3Je pense, bien sûr, à des Women in prison films comme Big Doll House. They Caged their Bodies but not their Desires (1971), Barbed Wire Dolls. Prisoners in a Barbaric Camp of Sadistic Perversions (1975) ou Women Behind Bars. Behind Bars no one Can Hear you Scream (1976).
4Christophe Marin, « Économie des passions et érotique de la collection » in De Rabelais à Sade, Saint-Étienne, Pu de Saint-Étienne, 2003, p.55.
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Voir aussi : Une vraie jeune fille, de Catherine Breillat.
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