mardi 20 mai 2008

Antiquomanie cochonne


Cette gravure de Thomas Rowlandson constitue une parodie ambiguë (comme toute parodie) de l'antiquomanie cochonne qui dominait le crépuscule des Lumières, entre revival néoclassique et subterfuge érudit pour contourner la censure.

C’est ainsi que le chevalier d’Hancarville consacrait une planche (XXV) de ses célèbres Monuments du culte secret des dames romaines (1784), à la femme dessus, affirmant, sous couvert de reconstitution érudite (cette « restitution intégrale du passé » qui caractérise le nouveau paradigme, historien, des sciences humaines), que cette attitude plaît à beaucoup d’hommes et de femmes car elle permet au priape de pénétrer au plus profond[1].

La prolifération de statues cochonnes qui encombre littéralement le cadre, parodie des décorations des villas néo-palladiennes à la mode, crée une pornotopie excessive (l’excès corporel « néobaroque » étant une des caractéristiques de l’art de Rowlandson mais aussi de la gravure romantique).

S’y opère une métalepse visuelle où les statues s'animent dans une incarnation profane tandis que les amants réels se figent dans un pastiche du monumentalisme acrobatique de Carraci. On reconnaît notamment le geste assurée de Julie saisissant le membre de son athlète, ainsi que la centralité du pénis au stade "liminaire" (artifice de visibilité qui hantera longtemps l'image pornographique), substitut réjouissant du ciseau tombé à terre.

Il s’agit en fait d’une représentation ironique du mythe de Pygmalion (Victoria and Albert Museum), emblème de l’artiste génésiaque uni à son œuvre séductrice. La pâleur de la chair, intermédiaire entre les statues et le vivant, est ainsi à la fois idéal esthétique et fable.

A ceci s'ajoute le contraste entre références classiques et dynamisme du nouveau corps Romantique, que Rowlandson, tout comme ses contemporains Gillray, Cruikshank, et Newton, contribua à établir sous le versant caricaturesque et grotesque hérité de Hoggarth.

Contrairement aux gravures satiriques obscènes, les amants sont ici également esthétisés (face au contraste habituel, chez Rowlandson et les siens, entre la beauté du corps nu féminin et la monstruosité de ses assaillants, que l’on retrouve aussi dans le système sadien). Le voyeurisme des « cunnyseurs » (titre équivoque d’une autre gravure obscène) est ici directement thématisé, associé à la fois à la consommation effrénée de l’élite géorgienne et au régime du Nu.

Hypertextualisée, contaminée par l’inanité de la reconstitution factice du passé, la performance du couple devient une illustration d'un Quichotisme sexuel (le quichotisme étant un des emblèmes, on le sait, du nouveau paradigme), où la femme dessus, bien qu'avide de son plaisir (qui littéralement l'anime), n'est plus bien menaçante.

Matérialisation littérale de la fantaisie de l'artiste, celui-ci la subit en onaniste transfiguré.

Le processus de civilisation des mœurs érotiques est ici à son comble, menacé de ridicule par le nouveau culte de l’authenticité et de l'imagination créatrice toute-puissante.


[1] Forberg, op cit, p. 53.

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