mardi 6 mai 2008

Assaut et volupté


Ce que l’époque baroque a ainsi mis en place c’est une série d’analogies entre mystère et émoi, espérance et fièvre, ravissement et violence, soumission et outrage, sensualité et brutalité, plaisir et outrance. Le lien entre l'assaut – amoureux ou guerrier – et la volupté est, depuis lors, constitutif de l’érotisme ; et c’est à titre qu’elle sera analysée par Bataille pour lequel le meurtre et le désir sont au fond deux types voisins d’effraction. Dans le premier cas, le corps est rompu et profané ; dans le second, c’est une déchirure de l’intériorité qui émeut, effarouche et méduse les amants. Dans la violence de l’étreinte, le corps obéit à une rage dans laquelle nul ne se reconnaît plus. L’orgasme lui-même, cette jeune Parque, est conçu comme une fuite hors de soi, comme une abdication de toute identité, comme un effondrement du moi. Depuis l’époque baroque – qui, je le répète, revivifie, par réarticulations successives, d’anciens motifs disparates – spiritualité, érotisme et violence sont irrémédiablement liés, s’opposant (ou bien servant à leur insu) ces valeurs paisiblement bourgeoises mais bien peu catholiques que sont la rentabilité, la respectabilité, la raison.
Le rôle central du Baroque dans la constitution de l’imaginaire licencieux a de quoi suprendre. Le Concile de Trente proscrit en effet sans appel l’érotisme et s’en prend violemment à l’indécence. En 1564, au lendemain de la mort Michel-Ange, une commission issue du Concile fait ainsi recouvrir les parties honteuses de ses nus, confirmant la mainmise de la censure de la Contre-Réforme sur l’art religieux et sur la littérature profane, soumise, depuis la parution du premier Index librorum prohibitorum (1557), aux rigueurs de l’Inquisition. Or si l’érotisme semble alors à ce point importun, c’est précisément parce qu’il est en train de cristalliser quantité de motifs fondés sur une paradoxale esthétisation de la perversité — ce que mettra en scène spectaculairement, quatre siècles plus tard, le théâtre de Genet, qu’il est possible de considérer, à plus d’un titre, comme un dramaturge baroque.

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