mardi 13 mai 2008

Aristote chevauché IX


Nouvelle variation de Hans Baldung sur le motif du philosophe chevauché par la courtisane, le rapport érotique est ici, plus qu’ailleurs, explicite.

Dans ce hortus conclusus intime (dominé par l'écho allégorique des vignes), le "jeu" de la cavalcade gagne en concentration. Alexandre spectateur est d'ailleurs banni de la scène (à moins qu’on le devine dans la minuscule fenêtre sur notre point de fuite).

La prostration animale est totale, évocatrice de l’image du Maître d’Amiens.

Toute l'intensité de la scène est cadrée sur le dialogue muet des deux regards, celui, résolument dominateur de Phyllis et celui, d'une soumission abjecte mais heureuse, d'Aristote.

La poigne résolue de la femme ainsi que son geste décidé de menace renforcent cette complicité.

En contraste avec la beauté de sa dominatrice, les traits caricaturesques du Maître illustrent ce tournant délicat, évoqué par U. Eco dans sa récente Histoire de la laideur, entre l'allégorisation de la laideur, analogon d'un vice moral, et l'émancipation de celle-ci comme physiologie.

De même l’anecdote morale s’estompe au profit d’un portrait de mœurs, illustrant une nouvelle fois la dynamique que nous avons esquissée. Ainsi on peut avec profit le rapprocher du beau texte d’un juriste contemporain de Coelius qui réécrit l’anecdote de Pic, hésitant encore entre l’ars amandi et la scientia sexualis dans une ambiguïté qui allait caractériser tout l’érotisme « classique » de l’Occident :

« Des personnes dignes de foi assureront avoir connu, il y a quelques années, un homme qui, par un contraste bien étonnant et qu’on aura peine à croire, joignait au physique le plus froid et le plus inhabile aux plaisirs de Vénus, l’imagination la plus érotique et le génie le plus ardent. Il n’avait d’aptitude, de chaleur et de force pour la lutte amoureuse, qu’à proportion des coups de verge qu’il avait reçus, et vous n’eussiez pu savoir lequel lui causait le plus de volupté, ou de la volupté elle-même, ou de la douleur qui en était la source et l’agent : à moins que la juste proportion de la seconde ne le conduisit à la perfection des délices de la première. Il s’abaissait jusqu’aux prières pour être frappé de verges qu’il avait fait durcir, depuis la veille, dans du vinaigre. La rage qu’allumaient en lui les désirs, le portait à accabler de reproches et d’injures celui qu’il avait chargé de cet office, dès qu’il frappait trop mollement, et lui faisait remarquer comme imparfaite, infructueuse et nulle, toute séance qui n’était pas terminée par une effusion de sang. Cet homme est, je crois, le seul qui, également avide de plaisirs et de souffrances, ne savourait l’un qu’au moyen de l’autre, et pour qui les plaies les déchirements et l’effusion de sang fussent et le prélude et le complément des titillations et de la jouissance. »

André Tiraqueau, Traité des lois du Mariage, 1513, art .V

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