jeudi 27 novembre 2008
Le dionysiaque et la danse moderne 5
Symptomatiquement, la «libération des corps» souhaitée par les chorégraphes à la suite de Nietzsche est contemporaine d'un mouvement culturel plus ample, notamment dans le contexte allemand, de «retour à la nature», qui unit dans un même «Zeitgeist»«les cosmiques, la Ligue moniste et les divers systèmes pseudo-philosophiques bâtis autour du vitalisme nietzschéen, à la Jeunesse Allemande et aux mouvements de végétarisme et nudisme» (Rhode, 1997: 34).
La nouvelle conception du nudisme, héritière des mythes du bon sauvage du XVIIIe siècle, s'est développée au XIXe siècle dans une perspective hygiéniste et médicale, en réaction à la société industrielle naissante. Ce courant de libération qui entretient des rapports multiples avec la genèse de la danse moderne s'inscrit dans le développement plus vaste de la «culture physique», porteuse déjà d'ambiguïtés annonciatrices des fascismes, et qui dit la recherche d'un équilibre de l'individu dans ses relations avec les environnements sociaux, politiques et aussi urbains en pleine mutation; nostalgie du monde rural et d'une culture festive harmonisée dans des rythmes naturels dont la danse est un élément central.
R. Saint-Denis réfléchissait sur cette dimension libératrice dans son article déjà cité: «La Danse est le mouvement naturellement rythmique d'un corps qui a longtemps été nié, distordu, et le désir de danser serait aussi naturel que celui de manger, de courir, de nager, si notre civilisation n'avait pas employé d'innombrables moyens, pour diverses raisons, de mettre au ban cette action instinctive et joyeuse de l'être harmonieux. Nos religions formelles, nos villes bondées, nos vêtements, nos moyens de transport sont largement responsables de l'inertie de la masse humaine, qui jusqu'à il y a très peu de temps était enserrée dans des corsets. Mais nous commençons à émerger, à nous jeter dehors, à exiger l'espace pour y penser et y danser» (in Ginot, 90).
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