samedi 19 avril 2008

Pied mignon


Précisément, donc, l’attitude de la sainte demeure équivoque, et l’extase mystique – qui, parce qu’elle invente les règles d’une éloquence intime, d’une oraison mentale, prépare de nouvelles possibilités d’introspection qui ne seront réalisées qu’au XVIIIe siècle – est très loin de se pouvoir réduire à un quelconque symptôme névrotique ou un orgasme céleste. L’ensemble du groupe statuaire est baigné par une lumière naturelle venue du haut et qui, réfléchie par les rayons dorés fixés au bord de l’oculus, éclaire les matériaux précieux de la chapelle : colonnes de breccia africana, plaques de marbres blanc et vert, tablettes d’albâtre, bandes de breccia semesanto. Sur un nuage de marbre lactescent, profond comme un coussin d’opiomane, la sainte est là, « couchée, évanouie d’amour […], les yeux demi-clos »[1], la tête rejetée en arrière, les yeux clos, les bras et les jambes traînant mollement, le pied déchaussé. Déchaussé ! Voilà bien, pensera-t-on, un signe indéniable d’érotisation !

Assurément, on se souvient du Joli Pied (1785) de Restif de La Bretonne, ce parfait nympholepte[2] : « Saintepallaie avait un goût particulier, et tous les charmes ne faisaient pas sur lui une égale impression : une jolie figure, […] une belle gorge [ont leur] prix : une taille svelte et légère, une belle main flattait son goût : mais le charme auquel il était le plus sensible, celui qui lui causait ce frémissement involontaire et délicieux qui remue toutes les fibres, c’était un joli pied : rien dans la nature ne lui paraissait au-dessus de ce charme séduisant, qui semble en effet annoncer la délicatesse et la perfection de tous les autres appas […]. Il ne pouvait, sans tressaillir, apercevoir une jolie chaussure de femme ; lorsqu’il en rencontrait quelques-unes qui n’étaient pas jolies, mais chaussées avec goût, il semblait que ce charme seul les rendit aimables ». Et Victor Hugo pour dépeindre une « belle jeune fille » sensuelle, « heureuse, effarée et sauvage » écrit d’elle, sobrement : « elle était déchaussée, elle était décoiffée ». Ce nonobstant – en soulier, en bottillon ou dénudé –, le « pied mignon », que la Renaissance avait confusément érotisé, n’est perçu comme véritablement voluptueux qu’au XVIIIe et surtout au XIXe siècles, chez le docte Rollinat aussi bien que dans la littérature populaire. Ainsi, saisir dans les orteils indolents de sainte Thérèse une forme de podophilie serait un pur anachronisme. Cela ne signifie aucunement, bien entendu, qu’il ne peut émoustiller celui qui, le contemplant aujourd’hui, apprécie également le vêtement et la pose de la sainte qui se retient et s’abandonne, mais seulement que, pour le Bernin, le pied nu de la sainte ne la désigne ni comme légère ni comme attirante : il renvoie directement à l’ordre des carmes « déchaux » que la glorieuse Thérèse d’Avila, précisément, venait de fonder. De même l’ange, auquel on prête souvent un regard libidineux et un sourire débauché, renvoie au pur amour de Dieu décrit par sainte Thérèse elle-même comme un aiguillon ardent perçant son cœur :


Quiso el Señor que viese aquí algunas veces esta visión: vía un ángel cabe mí hacia el lado izquierdo, en forma corporal; lo que no suelo ver sino por maravilla. Aunque muchas veces se me representan ángeles, es sin verlos, sino como la visión pasada que dije primero. En esta visión quiso el Señor le viese ansí: no era grande, sino pequeño, hermoso mucho, el rostro tan encendido que parecía de los ángeles muy subidos que parece que todos se abrasan. Deben ser los que llaman cherubines, que los nombres no me los dicen; mas bien veo que en el cielo hay tanta diferencia de unos ángeles a otros, y de otros a otros, que no lo sabría decir. Veíale en las manos un dardo de oro largo, y al fin del hierro me parecía tener un poco de fuego. Éste me parecía meter por el corazón algunas veces, y que me llegaba a las entrañas. Al sacarle, me parecía las llevaba consigo, y me dejaba toda abrasada en amor grande de Dios. Era grande el dolor que me hacía dar aquellos quejidos, y tan ecesiva la suavidad que me pone este grandísimo dolor, que no hay desear que se quite, ni se contenta el alma con menos que Dios. No es dolor corporal sino espiritual, aunque no deja de participar el cuerpo algo, y aun harto. Es un requiebro tan suave que pasa entre el alma y Dios, que suplico yo a su bondad lo dé a gustar a quien pensare que miento. [3]



[1] H. Taine, op.cit., p.266.

[2] Voir, entre autres, La Dernière aventure d’un homme de quarante-cinq ans (1783) et Journal d’une impardonnable folie.

[3] Santa Teresa de Jesús, Libro de la Vida (Letras Hispanicas), Madrid, éd. Cátadra, 1999, XXIX-13.



Sébastien Hubier

1 commentaire:

LM a dit…

Le pied mignon et le talon rouge : http://www.lamesure.org/article-36155942.html